J’ai découvert Hervé Le Corre avec son roman Après la guerre, sombre mais fichtrement haletant, pour ensuite être déçue par deux autres lectures, beaucoup moins convaincantes sur le plan scénaristique (dont une que je n’ai même pas chroniquée tant elle m’a laissée froide). Un succès sur trois, c’est peu, mais je me suis malgré tout arrêtée sur la dernière parution de l’auteur ; sans doute le dernier essai si celle-ci ne me convenait pas.

Résumé de l’éditeurPrendre les loups pour des chiens - Hervé Le Corre

Après avoir purgé cinq ans pour braquage commis avec son frère Fabien, Franck sort de prison. Il est hébergé par les parents de Jessica, la compagne de Fabien. Le père maquille des voitures volées, la mère fait des heures de ménage dans une maison de retraite. Et puis il y a la petite Rachel, la fille de Jessica, qui ne mange presque rien et parle encore moins. Qu’a-t-elle vu ou entendu dans cette famille toxique où règnent la haine, le mensonge et le malheur ?

Mon avis

Franck quitte l’univers carcéral pour un autre guère plus rutilant. Bien malgré lui, le jeune homme se retrouve piégé (il n’a pas d’autres recours) au sein d’une famille au mode de vie indigent et crasseux, où il n’y a ni intimité, ni respect, ni politesse, ni éducation. Les parents sont répugnants dans leur langage, leur tenue, leurs gestes. La fille, Jessica, est une droguée, nymphomane, décérébrée et maltraitante envers sa petite Rachel, gamine solitaire et quasi muette qui voit mais ne dit rien. Franck, après cinq ans d’abstinence, s’abreuve de sexe avec l’ivresse d’un ancien alcoolique, bien trop facilement excité par la vulgarité de Jessica qui, par ces chaleurs écrasantes, se trimbale à moitié nue devant père et mère ; offrant son cul au premier venu.

Voilà pour le tableau de la famille. Pour le reste, ce n’est pas plus reluisant. La déchéance s’étend tout autour de notre personnage principal qui va être pris dans une sombre histoire de trafic de drogue, dans laquelle son frère, soi-disant parti rejoindre l’Espagne, a baigné.

Hervé Le Corre, comme à son habitude, se complaît dans la laideur humaine, nous offrant un récit résolument moche qui met les nerfs à dure épreuve et donne envie, à notre tour, d’insulter le monde entier. Tout est ici haïssable. Le moteur de ma lecture a été cette haine viscérale inspirée par chaque personnage. Ce bon vieux Franck réagit en chien affamé et abruti, les neurones grillés par la chaleur, ses années de prison et la danse obscène de Jessica. Le temps qu’il met à réagir est abominablement long, quand nous, lecteurs, sommes de gentils citoyens bien sous tous rapports qui voyons d’un mauvais œil la bassesse intellectuelle d’une famille de pouilleux ravie d’évoluer dans sa propre merde. Vous voyez, je me mets moi aussi à mal parler. Mais il est difficile d’emprunter des termes soyeux pour parler d’un texte aussi avarié.

Si le pari était de mettre le lecteur mal à l’aise dans son propre confort, c’est réussi, s’il était de livrer un roman construit sur le désordre d’une certaine couche de notre société, il l’est moins. Je n’ai pas vraiment accroché à l’intrigue autour du frère de Franck, dont le final m’est apparu assez rapidement, car j’espérais, au lieu de trafics, corruption, et argent sale, un repli plus intime de l’histoire sur les petits secrets de la famille de Jessica. Les conflits entre gangs ne m’intéressent pas, bien qu’ils apportent un rythme certain du fait des quelques cadavres jetés sur le chemin.

Je dois reconnaître à l’auteur son acuité, teintée de voyeurisme, s’agissant de décrire l’indigence sociale dans laquelle baignent des tribus d’êtres errants, ici en France. Hervé Le Corre n’a pas son pareil pour plonger le lecteur dans les méandres anthropologiques. Et ce dernier, s’il a le goût, pourra presque à son tour éprouver une satisfaction à suivre les pérégrinations de son héros de pacotille. C’est ainsi que je suis arrivée au bout de ce livre, fascinée par la méticulosité de l’auteur à rendre son tableau le plus réaliste possible, insistant sur les zones d’ombre, mettant à découvert toutes ces petites choses honteuses qui font grimacer. Mais, déçue par la tournure des évènements, qui n’était pas celle que j’attendais, je reste sur un reproche. À trop vouloir faire du roman noir pour sa couleur, Hervé Le Corre oublie un peu trop qu’il a une intrigue à faire tenir. Le portrait d’une France miteuse ne fait pas tout, j’ai du mal à m’en contenter. Il est facile de faire du sensationnel en jouant sur la position privilégiée du lecteur, spectateur confortable d’une exhibition sans limites.

Roman social de la puanteur, de la misère et de l’immoralité, Prendre les loups pour des chiens ne brille pas par quelque lueur d’espoir et d’optimisme. Entrez dans la fange et restez-y ! Pour dire qu’on s’apprécie on se gueule dessus, pour demander pardon on fustige et pour exprimer sa colère on tue ! Les personnages sont des êtres ni attendrissants, ni pitoyables, ni fascinants. Ils sont tout ce que l’existence peut avoir comme ratés et l’on est soulagé de ne point les côtoyer, et encore moins d’être comme eux. Hervé Le Corre décrit des vies sans pitié, il crache son récit comme un vieux glaire coincé qui nous fait tousser, satisfait d’avoir exprimé les plus bas penchants des humains de notre société, des pas comme les autres, qui doivent exister pourtant. Même la gamine n’a pas le rôle à faire sourire et s’émouvoir. On l’observe le cœur lourd bien sûr, désolé pour cette petite âme esseulée, misérable, seule et condamnée. Mais l’on est presque soulagé de refermer le livre, de l’abandonner entre les pages sales d’une histoire qui la rend martyre, première et seule victime. Malheureusement perdue, Rachel porte en elle le désastre de ces conditions terrées et éloignées de nous. Pépin d’une pomme pourrie.

Ce roman est difficile à conseiller sans être sûr des goûts de la personne en face. Il lui faudra avoir le cœur bien accroché et l’esprit ouvert pour apprécier un tant soit peu l’univers tout en obscurité d’un écrivain peu enclin à adoucir la réalité.

Et vous, avez-vous déjà lu cet auteur ? 

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