My absolute darling, c’est le phénomène littéraire actuel venu des États-Unis. Vanté à une unanimité quasi parfaite, ce roman est présenté comme d’une violence rare. Il s’agit de la première parution d’un jeune auteur qui aurait mis pas moins de huit années pour achever son texte. En général soupçonneuse face aux succès incontestables, j’ai toutefois voulu découvrir celui-ci, appréciant les termes employés à son sujet, curieuse de l’impression générale, celle d’un puissant malaise et d’une sorte de foudroiement collectif, et surtout alléchée par la chronique de Lola du blog horizondesmots.

Résumé de l’éditeurMy absolute darling - Gabriel Tallent

A quatorze ans, Turtle Alveston arpente les bois de la côte nord de la Californie avec un fusil et un pistolet pour seuls compagnons. Elle trouve refuge sur les plages et les îlots rocheux qu’elle parcourt sur des kilomètres. Mais si le monde extérieur s’ouvre à elle dans toute son immensité, son univers familial est étroit et menaçant : Turtle a grandi seule, sous la coupe d’un père charismatique et abusif. Sa vie sociale est confinée au collège, et elle repousse quiconque essaye de percer sa carapace. 

Mon avis

Ce récit raconte la relation perverse, violente et exclusive entre un père veuf, Martin, et sa fille unique, la jeune Turtle, douze ans. Nous faisons la connaissance de cette étonnante gamine, héroïne d’une histoire consternante. Taciturne, solitaire, dérangée et repliée sur elle-même, Turtle n’a ni amis, ni famille, hormis un père et un grand-père, ni voisinage proche. Au bord de l’océan, ils sont installés dans une cabane austère et délabrée, au cœur d’une nature vivante, foisonnante et variée. Ses uniques sorties sont le collège, où elle se rend en bus. En échec scolaire, Turtle pose souci à son institutrice qui, pourtant, éprouve à son égard de curieux sentiments ; alors même que l’élève se montre insolente, indomptable et paresseuse.

Le père mériterait, lui, une bien longue description tant il est omniprésent dans le roman par sa violence, sa perversité et sa folie. Ses méthodes d’éducation font froid dans le dos. Il préfère voir sa fille un fusil à la main plutôt que plongée dans un livre, jugeant tout apprentissage intellectuel comme une perte de temps. Paranoïaque, il considère le monde dans son intégralité comme hostile et entraîne sa fille à survivre à une probable apocalypse. Les autres ne sont pas dignes d’intérêt, toute relation est par essence nuisible. En plus d’une éducation militaire, où les tortures psychologiques et, parfois, physiques ont toute leur place, l’homme s’abandonne dans l’inceste en abusant régulièrement de Turtle. En un mot, c’est un monstre.

Turtle est prisonnière des griffes d’un bourreau qui représente à ses yeux la seule et unique personne de confiance puisqu’il la nourrit, l’héberge, la protège et lui apprend tout ce qu’il y a à savoir sur la nature, les armes, les hommes : le monde selon Martin. Gabriel Tallent raconte, avec un sens du détail à la limite du sain, les composantes de cette relation hors norme et criminelle, dès lors qu’il y a abus sur une mineure. L’auteur se couvre des oripeaux d’une gamine morcelée, perdue, en détresse, pour exprimer toutes les vicieuses incohérences qui naissent dans de telles circonstances. En effet, Turtle est loin d’être attachante et d’inspirer la pitié. Si jeune, elle est déjà pleine à craquer de haine, d’animosité, de colère, prête à exploser à tout moment. Nous avons face à nous une enfant à la limite d’un basculement irrémédiable. Le lecteur sait d’entrée de jeu que l’auteur s’apprête à parier sur la santé mentale de son héroïne, laissant trop souvent penser que les dés sont jetés, qu’il ne reste plus rien sur lequel placer un quelconque espoir.

Turtle se haït, avec une force et une détermination inouïes. Elle déteste tout ce qui l’entoure, se montre d’une extrême intolérance, proférant des propos ignominieux et insoutenables quand ils sortent de la bouche d’une presque adolescente. J’ai été incapable d’éprouver pour elle autre chose qu’un immense regret, ne voyant dans son attitude, ses paroles et ses agissements qu’un immense gâchis, et la méprisant de massacrer son statut de victime en adoptant une posture de petite peste rebelle, et seulement de petite peste rebelle.

J’ai grimacé à la lecture des nombreux dialogues empreints de vulgarité, et autres noms d’oiseaux. Nom de dieu, putainsalope et connasse apparaissent dans le texte au rythme de plusieurs fois par page. Face à cette pauvreté langagière, il y a un étalement de descriptions végétales et minérales qui m’ont rendue ivre. Quand il n’est pas occupé à décrire une pousse d’herbe, l’auteur use son talent dans un enseignement minutieux de tout l’armement disponible aux États-Unis. Je ne saurais vous exprimer à quel point la redondance de fusils et revolvers m’a irritée. Pour une personne vivant dans un pays où la possession de tels objets est archiréglementée, et fuyant comme la peste le moindre pistolet à eau, parcourir ce roman s’est révélé à la fois angoissant et furieusement ennuyeux. Je tolère ce genre d’ustensile dans des récits policiers ou, soyons ouverts, à titre exceptionnel comme agrément d’un unique personnage si l’outil est nécessaire à l’intrigue. Là, un écrivain américain qui déblatère sur les armes à feu dans une visée purement descriptive c’est comme un écrivain français qui énumère les vins, c’est chiant pour tout le monde, surtout pour ceux qui n’aiment pas ça.

My absolute darling raconte l’inceste dans une piscine de flingues et, en cela, n’amène ni réflexions ni émotions, puisqu’on se noie dans une matière concrète qui vole la vedette à l’héroïne. Il y a quelques scènes saisissantes, j’en retiens surtout deux (pour ceux qui ont lu le roman : la suspension aux poutres et le doigt de Cayenne). Je les ai évidemment lues le cœur serré et les tripes tordues, mais ces scènes sont des icebergs sur une mer d’huile. Je note aussi l’incontestable effort de l’auteur pour décrire de la manière la plus juste et pointue qui soit l’amour – je ne sais quel autre terme employer – de Turtle pour son père et sa réciproque. Gabriel Tallent s’est incrusté dans la tête de la jeune fille et souhaite y rester.

My absolute darling abuse de sa propre laideur. Il est féroce, méchant, douloureux, abject. Je ne l’ai pas apprécié, j’ai vécu ma lecture comme un calvaire. La prolifération de détails ornementaux tendant à sur-créer un univers poisseux m’a bien vite écœurée. Les armes à feu sont un troisième personnage envahissant et superflu. Huit ans avec ce récit ? Il y a de quoi devenir dingue, excusez-moi. Ce livre est résolument un roman américain contemporain, un genre duquel je m’éloigne peu à peu tant il ne m’a jamais procuré qu’ennui et incompréhension. Le ton m’est d’une singulière étrangeté, je ne me reconnais dans rien, les dialogues me sont farfelus, les personnalités improbables, les paysages presque inventés. Ce récit joue avec les limites d’un terrain désertique sur lequel j’ai erré en quête d’une vraie trame à suivre. Il joue et rejoue sa propre partition, triturant à l’extrême les caractéristiques sommaires de personnages, soit fascinants, mais finissant par se caricaturer eux-mêmes ; à l’instar des scènes de chargement, déchargement, nettoyage, démembrement des diverses armes peuplant cette histoire à étourdir le lecteur. On lit ce livre au son des détonations, voilà ce que je retiendrai. Vous conviendrez que ce n’est guère reluisant.

Dans un genre similaire, en élargissant le portrait, lisez plutôt Sukkwand Island !

Et vous, avez-vous lu ce best-seller ? Les avis, majoritairement positifs, vous convainquent-ils ? 

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