My absolute darling, c’est le phénomène littéraire actuel venu des États-Unis. Vanté à une unanimité quasi parfaite, ce roman est présenté comme d’une violence rare. Il s’agit de la première parution d’un jeune auteur qui aurait mis pas moins de huit années pour achever son texte. En général soupçonneuse face aux succès incontestables, j’ai toutefois voulu découvrir celui-ci, appréciant les termes employés à son sujet, curieuse de l’impression générale, celle d’un puissant malaise et d’une sorte de foudroiement collectif, et surtout alléchée par la chronique de Lola du blog horizondesmots.
A quatorze ans, Turtle Alveston arpente les bois de la côte nord de la Californie avec un fusil et un pistolet pour seuls compagnons. Elle trouve refuge sur les plages et les îlots rocheux qu’elle parcourt sur des kilomètres. Mais si le monde extérieur s’ouvre à elle dans toute son immensité, son univers familial est étroit et menaçant : Turtle a grandi seule, sous la coupe d’un père charismatique et abusif. Sa vie sociale est confinée au collège, et elle repousse quiconque essaye de percer sa carapace.
Mon avis
Ce récit raconte la relation perverse, violente et exclusive entre un père veuf, Martin, et sa fille unique, la jeune Turtle, douze ans. Nous faisons la connaissance de cette étonnante gamine, héroïne d’une histoire consternante. Taciturne, solitaire, dérangée et repliée sur elle-même, Turtle n’a ni amis, ni famille, hormis un père et un grand-père, ni voisinage proche. Au bord de l’océan, ils sont installés dans une cabane austère et délabrée, au cœur d’une nature vivante, foisonnante et variée. Ses uniques sorties sont le collège, où elle se rend en bus. En échec scolaire, Turtle pose souci à son institutrice qui, pourtant, éprouve à son égard de curieux sentiments ; alors même que l’élève se montre insolente, indomptable et paresseuse.
Le père mériterait, lui, une bien longue description tant il est omniprésent dans le roman par sa violence, sa perversité et sa folie. Ses méthodes d’éducation font froid dans le dos. Il préfère voir sa fille un fusil à la main plutôt que plongée dans un livre, jugeant tout apprentissage intellectuel comme une perte de temps. Paranoïaque, il considère le monde dans son intégralité comme hostile et entraîne sa fille à survivre à une probable apocalypse. Les autres ne sont pas dignes d’intérêt, toute relation est par essence nuisible. En plus d’une éducation militaire, où les tortures psychologiques et, parfois, physiques ont toute leur place, l’homme s’abandonne dans l’inceste en abusant régulièrement de Turtle. En un mot, c’est un monstre.
Turtle est prisonnière des griffes d’un bourreau qui représente à ses yeux la seule et unique personne de confiance puisqu’il la nourrit, l’héberge, la protège et lui apprend tout ce qu’il y a à savoir sur la nature, les armes, les hommes : le monde selon Martin. Gabriel Tallent raconte, avec un sens du détail à la limite du sain, les composantes de cette relation hors norme et criminelle, dès lors qu’il y a abus sur une mineure. L’auteur se couvre des oripeaux d’une gamine morcelée, perdue, en détresse, pour exprimer toutes les vicieuses incohérences qui naissent dans de telles circonstances. En effet, Turtle est loin d’être attachante et d’inspirer la pitié. Si jeune, elle est déjà pleine à craquer de haine, d’animosité, de colère, prête à exploser à tout moment. Nous avons face à nous une enfant à la limite d’un basculement irrémédiable. Le lecteur sait d’entrée de jeu que l’auteur s’apprête à parier sur la santé mentale de son héroïne, laissant trop souvent penser que les dés sont jetés, qu’il ne reste plus rien sur lequel placer un quelconque espoir.
Turtle se haït, avec une force et une détermination inouïes. Elle déteste tout ce qui l’entoure, se montre d’une extrême intolérance, proférant des propos ignominieux et insoutenables quand ils sortent de la bouche d’une presque adolescente. J’ai été incapable d’éprouver pour elle autre chose qu’un immense regret, ne voyant dans son attitude, ses paroles et ses agissements qu’un immense gâchis, et la méprisant de massacrer son statut de victime en adoptant une posture de petite peste rebelle, et seulement de petite peste rebelle.
J’ai grimacé à la lecture des nombreux dialogues empreints de vulgarité, et autres noms d’oiseaux. Nom de dieu, putain, salope et connasse apparaissent dans le texte au rythme de plusieurs fois par page. Face à cette pauvreté langagière, il y a un étalement de descriptions végétales et minérales qui m’ont rendue ivre. Quand il n’est pas occupé à décrire une pousse d’herbe, l’auteur use son talent dans un enseignement minutieux de tout l’armement disponible aux États-Unis. Je ne saurais vous exprimer à quel point la redondance de fusils et revolvers m’a irritée. Pour une personne vivant dans un pays où la possession de tels objets est archiréglementée, et fuyant comme la peste le moindre pistolet à eau, parcourir ce roman s’est révélé à la fois angoissant et furieusement ennuyeux. Je tolère ce genre d’ustensile dans des récits policiers ou, soyons ouverts, à titre exceptionnel comme agrément d’un unique personnage si l’outil est nécessaire à l’intrigue. Là, un écrivain américain qui déblatère sur les armes à feu dans une visée purement descriptive c’est comme un écrivain français qui énumère les vins, c’est chiant pour tout le monde, surtout pour ceux qui n’aiment pas ça.
My absolute darling raconte l’inceste dans une piscine de flingues et, en cela, n’amène ni réflexions ni émotions, puisqu’on se noie dans une matière concrète qui vole la vedette à l’héroïne. Il y a quelques scènes saisissantes, j’en retiens surtout deux (pour ceux qui ont lu le roman : la suspension aux poutres et le doigt de Cayenne). Je les ai évidemment lues le cœur serré et les tripes tordues, mais ces scènes sont des icebergs sur une mer d’huile. Je note aussi l’incontestable effort de l’auteur pour décrire de la manière la plus juste et pointue qui soit l’amour – je ne sais quel autre terme employer – de Turtle pour son père et sa réciproque. Gabriel Tallent s’est incrusté dans la tête de la jeune fille et souhaite y rester.
My absolute darling abuse de sa propre laideur. Il est féroce, méchant, douloureux, abject. Je ne l’ai pas apprécié, j’ai vécu ma lecture comme un calvaire. La prolifération de détails ornementaux tendant à sur-créer un univers poisseux m’a bien vite écœurée. Les armes à feu sont un troisième personnage envahissant et superflu. Huit ans avec ce récit ? Il y a de quoi devenir dingue, excusez-moi. Ce livre est résolument un roman américain contemporain, un genre duquel je m’éloigne peu à peu tant il ne m’a jamais procuré qu’ennui et incompréhension. Le ton m’est d’une singulière étrangeté, je ne me reconnais dans rien, les dialogues me sont farfelus, les personnalités improbables, les paysages presque inventés. Ce récit joue avec les limites d’un terrain désertique sur lequel j’ai erré en quête d’une vraie trame à suivre. Il joue et rejoue sa propre partition, triturant à l’extrême les caractéristiques sommaires de personnages, soit fascinants, mais finissant par se caricaturer eux-mêmes ; à l’instar des scènes de chargement, déchargement, nettoyage, démembrement des diverses armes peuplant cette histoire à étourdir le lecteur. On lit ce livre au son des détonations, voilà ce que je retiendrai. Vous conviendrez que ce n’est guère reluisant.
Dans un genre similaire, en élargissant le portrait, lisez plutôt Sukkwand Island !
Et vous, avez-vous lu ce best-seller ? Les avis, majoritairement positifs, vous convainquent-ils ?
J’ai trouvé Sukkwan Island plutôt pauvre et assez mauvais. Je trouve qu’American Darling a bien plus d’ampleur. Et les longues descriptions et le langage souvent vulgaire participent à la réalité du récit et de cette vie. Et à l’expérience.
Pour moi, même si ce n’est pas le chef-d’oeuvre tant annoncé, ça reste un livre brillant, qui traite de l’emprise psychologique d’un monstre sur sa victime d’une manière très juste, c’est rare.
Un roman américain coup de poing, mais pas pour tout le monde, c’est sûr.
J’aime bien ton « lapsus » sur le titre du livre 😉 Il me fait sourire tant ce roman est pour moi trop américain justement !
Ce livre soit on l’adore, soit le déteste. C’est sûr qu’il ne laisse pas indifférent. Mais je me suis quand même beaucoup trop ennuyée durant ma lecture. Pourtant, j’étais très enthousiaste à l’idée de le lire car j’apprécie les récits d’emprises.
Quant au langage vulgaire, avec moi ça ne passe pas, et ça ne passera jamais… :/
Merci pour ton avis Célestine !
Oui, le lapsus! ^^
Alors déjà que je n’avais pas envie de le lire mais là tu m’as convaincue.
Oui… Et, pourtant, quand on lit les avis positifs ça donne vraiment envie !
Je ne l’ai pas lu et je ne sais pas si je le ferai – pourtant, moi j’aime bien les romans américains contemporains… Mais en tout cas j’adore ta phrase « un écrivain américain qui déblatère sur les armes à feu dans une visée purement descriptive c’est comme un écrivain français qui énumère les vins, c’est chiant pour tout le monde, surtout pour ceux qui n’aiment pas ça ». Comparaison parfaite et qui touche le coeur de la cible!
😉 Je n’aime ni les armes à feu ni le vin, j’ai hésité avec le fromage que je déteste aussi :p ^^
Si tu apprécies la littérature américaine contemporaine, peut-être ce roman te plaira-t-il. J’en ai entendu tellement de bien qu’il a des chances de te plaire ! Bonne journée Magali !
Je vais le lire celui-là parce que je m’interesse à tous les récits de viol et d’emprise. Il en faut de ces livres qui ouvrent le regard du lecteur sur les crimes et les abus que peuvent subir les enfants. Après c’est vrai que si la psychologie n’est pas bien exploitée je me transforme en monstre aigrie. Mais je sais que c’est un livre que j’aimerai lire parce que des livres qui osent dire l’insoutenable il n’y en a pas beaucoup.
Je suis bien d’accord avec toi. Je voulais lire ce roman pour son thème : l’emprise. Mais la manière de le traiter m’a déplu. Je suis vraiment curieuse de connaître ton ressenti en tout cas !
Ce roman n’a rien d’un chef d’œuvre, loin de là. La lecture m’a avant tout fait penser que l’auteur était un membre de la NRA (National Riffle Association) qui se complait dans la violence de son personnage. Dans les 453 pages, il n’y a qu’une seule et unique phrase mettant en doute l’utilité des armes à feu (p. 101, Jacob : « Quand tu possèdes une arme, tu as neuf fois plus de chances de te faire abattre par un membre de ta famille que par un assaillant. »)
Reconnaissons que le style est fluide (mérite de l’auteur ou du traducteur ?), ce qui permet une lecture rapide (heureusement). Fort dérangeante est la rupture du niveau de langage : chez Martin, les « putains », « connasse » et autres expressions similaires pullulent, mais à d’autres moments, il s’exprime comme un professeur de philosophie. De même, en début de roman Turtle est présentée comme une déficiente mentale, mais en l’espace de quelques semaines, on la voit raisonner comme une analyste expérimentée, alors qu’elle n’a que 14 ans. Tient-elle son savoir de son père ? Mais lui-même, d’où tient-il ces connaissances ? Autres lacunes : pourquoi ce surnom Turtle, pourquoi Croquette ? De quoi vit Martin ? Les descriptions sont très approximatives, tant pour les paysages que des bâtiments. Il y a beaucoup d’omissions dans ce roman, mais pas sur les armes.
Dès les cent premières pages, tout est déjà dit, la fin est programmée. Le soi-disant « amour » de Turtle pour son père n’a aucune crédibilité. On sait qu’elle le tuera. Le reste n’est qu’une apologie de la violence et des armes. Huit ans pour écrire ça ! Il sera permis de douter du talent de Tallent.
Merci pour votre avis, plutôt acerbe ^^ Ce roman ne laisse vraiment pas indifférent… Les avis sont très tranchés !
Dur, parfois insoutenable, mais également magnifique, « My Absolute Darling » est un roman fort et poignant qui marque l’entrée en littérature d’un auteur novice mais pétri de talent.
Bonjour,
ravie de lire enfin une chronique qui va dans le sens de mon ressenti ! J’ai moi aussi été profondément ennuyée et gênée par les descriptions des armes et de la nature… j’ai failli abandonner le livre plusieurs fois mais recommandé comme « un chef d’œuvre », jai voulu aller au bout pour ne pas passer à côté d’un grand roman… je ne regrette pas cette lecture mais j’en ai connue de meilleures !
Maintenant, je trouverai vraiment très intéressant de mener une analyse psychologique plus poussée de chaque personnage mais je ne me vois pas relire le livre 😉
Belle journée et merci de ce retour.
Céline
Merci Céline, je me sens beaucoup moins seul. Dans mon petit cercle (http://lol85.canalblog.com/), j’ai failli être lynché (:-)), mais je reste sur ma position : My absolute Darling n’est qu’une apologie de la violence et des armes à feu.
Lynché ? Eh bien ^^
Pas étonnant : elles avaient lu et aimé My absolute Darling
Bonjour Céline,
Bienvenue sur le blog et merci pour ton commentaire 🙂 Je lis de plus en plus d’avis mitigés voire profondément négatifs comme les nôtres ! Il faudrait me mettre le couteau sous la gorge pour que je daigne relire ce roman… quelle horreur ! Tant pis pour la psychologie des personnages, s’il faut une relecture pour la comprendre c’est qu’il y a un souci quelque part, non ?
Bonne journée à toi aussi
[…] esprit, il est un curieux assemblage de deux romans que je n’ai pourtant pas appréciés : My absolute darling et Ma Reine. Le premier pour le père, la fille et la violence ; le second pour son paysage, ses […]