Jamais deux sans trois, voici donc une troisième histoire de familles (promis, la semaine prochaine nous changerons de sujet). Il se trouve que je n’avais pas prévu de lire dans l’immédiat le dernier roman de Joël Dicker, qui est paru à la fin du mois de septembre. J’avais beaucoup apprécié La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, qu’on ne présente plus tant ce livre a connu un immense succès. Mais c’était sans compter la chance qui m’a été donnée de pouvoir rencontrer l’auteur en personne, grâce aux Pages privées de La Fnac, lors d’un déjeuner qui se déroulera demain, mercredi. Dès que j’ai appris cette nouvelle, je me suis procuré son livre en espérant l’avoir terminé à temps.

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Jusqu’au jour du Drame, il y avait deux familles Goldman. Les Goldman-de-Baltimore et les Goldman-de-Montclair. Les Goldman-de-Montclair, dont est issu Marcus Goldman, l’auteur de La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, sont une famille de la classe moyenne, habitant une petite maison à Montclair, dans le New Jersey. Les Goldman-de-Baltimore sont une famille prospère à qui tout sourit, vivant dans une luxueuse maison d’une banlieue riche de Baltimore, à qui Marcus vouait une admiration sans borne. Huit ans après le Drame, c’est l’histoire de sa famille que Marcus Goldman décide cette fois de raconter, lorsqu’en février 2012, il quitte l’hiver new-yorkais pour la chaleur tropicale de Boca Raton, en Floride, où il vient s’atteler à son prochain roman. Au gré des souvenirs de sa jeunesse, Marcus revient sur la vie et le destin des Goldman-de-Baltimore et la fascination qu’il éprouva jadis pour cette famille de l’Amérique huppée, entre les vacances à Miami, la maison de vacances dans les Hamptons et les frasques dans les écoles privées. Mais les années passent et le vernis des Baltimore s’effrite à mesure que le Drame se profile. Jusqu’au jour où tout bascule. Et cette question qui hante Marcus depuis : qu’est-il vraiment arrivé aux Goldman-de-Baltimore ?

Mon avis

Le Livre des Baltimore se veut en lien avec La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, puisque nous suivons le même personnage principal, l’écrivain Marcus Goldman. Mais cette fois-ci, il n’est pas question d’une enquête policière, l’auteur nous raconte l’enfance de son héros à travers la vie mouvementée de ses cousins dont il était si proche. Je me suis demandé pour quelles raisons Joël Dicker avait souhaité faire revivre ce personnage plutôt qu’en créer un de toutes pièces, puisque cette histoire est en fin de compte totalement indépendante de la première. Mais ceci s’explique par le fait  qu’il a pris le parti d’intégrer à son récit, comme dans L’affaire Quebert, une dimension « transcendantale » en usant du talent d’un des personnages pour en faire le narrateur et donc l’écrivain de l’histoire que l’on a sous les yeux. Marcus Goldman était le candidat idéal pour ce rôle, puisqu’il le connaît déjà. En faire le porte-parole d’un récit qui aurait pu être celui d’un autre personnage, si l’auteur n’avait souhaité que ce dernier soit écrivain, s’est finalement avéré assez cohérent.

Le Livre des Baltimore nous raconte la famille Goldman, ou plutôt les deux familles Goldman, qui sont celles de deux frères. Dès la première page, le lecteur a connaissance d’un drame final qui lui reste obscur, car pour y arriver il doit intégrer l’histoire familiale dans son intégralité; histoire qui lui est présentée à travers les liens si particuliers unissant les trois cousins dont Marcus, le narrateur, fait partie. Les nombreux retours dans le passé, qui constituent la majeure partie du récit, sont entrecoupés de scènes se déroulant dans le présent, où Marcus tente de répondre aux dernières questions qui le tenaillent.

En soi, l’intrigue apparaît plutôt commune; mais là où l’auteur se démarque c’est lorsqu’il nous décrit les relations complexes constituant la cellule familiale, et les scènes émotionnellement très intenses qui nourrissent le tableau. Hormis les parents de Marcus, qui brillent par leur discrétion, voire leur absence, tous ont des personnalités remarquables de vitalité et de couleurs. L’oncle, la tante, les cousins et la famille d’Alexandra, une amie proche de ces derniers, sont saisissants de prestance. Ils prennent vie, forme et consistance, grâce à des situations marquantes qui les façonnent et les inscrivent durablement dans le paysage narratif. Ce livre est ainsi un assemblage de scènes de vie, très cinématographiques, à forte teneur émotionnelle, et lourdes de conséquences. Il nous raconte des relations d’une extrême intensité comme il en existe très peu dans la réalité. Il nous parle entre autres de la fascination qu’un enfant peut ressentir face à un pair, de la jalousie qui peut en découler, et de la force monumentale de l’amitié.

L’auteur aurait pu me perdre en cours de route s’il s’était contenté de retranscrire de manière linéaire une histoire familiale jusqu’au point final que représente le drame, dont il est question en filigrane tout le long du récit. Mais il a su maintenir mon attention et mon intérêt en narrant des situations poignantes mettant en scène des personnalités solides. Je dois dire que son récit est particulièrement vallonné, sans aucun temps mort. L’auteur joue habilement avec une tension insidieuse, allant crescendo jusqu’au point de rupture que le lecteur attend avec impatience et une certaine crainte. Car il n’y a pas qu’un seul drame mais plusieurs, qui vont venir briser une famille qui jusqu’alors était l’incarnation de l’équilibre familial aux yeux de tous, et en particulier de Marcus Goldman. C’est avec son regard que l’on prend connaissance de cette histoire tragique, et l’on se doute que la réalité qu’il prend tant de temps à nous décrire est empreinte de ses émotions faussées d’enfant, qu’il retranscrit parfaitement. Ainsi, les Goldman-de-Baltimore attisent à la fois l’envie, l’admiration et l’inquiétude car nous savons que tout ceci prendra bientôt fin.

L’ultime scène, qui pourrait paraître excessive, si elle n’était précédée d’une montée en puissance aussi bien amenée, m’a profondément secouée, émue, troublée, alors même que je lui ai reconnu un aspect dramatique décalé et brutal, dénotant avec ce que l’on a l’habitude de nous servir dans la littérature contemporaine. Pour autant, l’auteur est parvenu à me surprendre à un moment où, pourtant, je m’y attendais, puisque tout le livre a comme point de mire cette scène « finale ».

Une interrogation m’a tout de même poursuivie durant ma lecture, il s’agit des raisons pour lesquelles Marcus a attendu autant de temps avant de se poser, à lui-même et aux personnes concernées, toutes ces questions; car il en reçoit aisément les réponses. La vérité se révèle presque d’un coup, plusieurs années après le drame, alors qu’elle aurait pu lui être dévoilée bien plus tôt. Ce silence de huit ans m’est apparu un peu abscons, et ne semble trouver sa justification que par rapport à la relation entre Marcus et son amour de toujours, Alexandra. Son histoire familiale l’a tellement bouleversé, et a orienté son existence avec une telle emprise, que cela me paraît légèrement poussif qu’il ait attendu si longtemps avant de tourner la page, d’autant plus que les confidences ne paraissent pas si difficiles à obtenir.

Le Livre des Baltimore aborde un certain nombre de thèmes sensibles, tels que le harcèlement scolaire, les problématiques liées à l’adoption, la rivalité fraternelle, le handicap, la précocité chez l’enfant, la violence conjugale ou encore la quête de la notoriété. Je dois dire que lorsqu’un nouveau thème venait se greffer aux autres, à travers notamment l’introduction d’un nouveau personnage, je craignais le trop-plein. L’auteur souhaite faire passer des messages très forts pour alimenter son récit qui, sinon, se serait restreint à une histoire de famille comme il en existe tant d’autres. En effet, ce roman nous présente des destinées tracées avec brutalité, à travers les personnages principaux mais aussi ceux qui sont secondaires car, quand bien même ils ne sont que de passage dans l’histoire, l’auteur a le souci de les inscrire dans un parcours qui leur est propre, venant d’autant plus accentuer et mettre en relief les protagonistes. Malgré cette abondance dans les sujets abordés, l’auteur a un talent indéniable pour séduire son lecteur, et maintenir son attention jusqu’à la dernière page. Et pourtant, il aurait pu trébucher à de nombreuses reprises, en voulant en faire toujours plus, en dire davantage. Mais le lecteur reste dans l’attente du dénouement, lorsque le château de cartes méticuleusement construit s’écroule.

Le Livre des Baltimore est un bon roman, bien différent de ce que Joël Dicker nous a proposé dans La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert. Je n’y ai certes pas retrouvé les éléments qui m’avaient tant plu, car il faut dire que l’intrigue était particulièrement inventive, travaillée et détournée, mais j’ai été séduite d’une autre manière, qui offre une plus grande place aux émotions. Je ne suis pas certaine que ce livre plaira forcément à ceux qui ont apprécié le précédent, car Joël Dicker est ici dans un tout autre registre. Néanmoins, il mérite d’être lu pour l’immense soin apporté aux personnages et pour la générosité de l’auteur dans les émotions qu’il transmet.

Et vous, avez-vous lu La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert ? Avez-vous prévu de lire celui-ci ?

 

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