Après avoir découvert il y a quelques mois Carlos Ruiz Zafón avec L’Ombre du vent, et pour l’avoir beaucoup apprécié, j’ai décidé de lire la suite ; qui n’en est pas vraiment une en réalité, puisque l’histoire se déroule une vingtaine d’années plus tôt, mais toujours à Barcelone.

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

 

Dans la turbulente Barcelone des années 1920, David, un jeune écrivain hanté par un amour impossible, reçoit l’offre inespérée d’un mystérieux éditeur : écrire un livre comme il n’en a jamais existé, « une histoire pour laquelle les hommes seraient capables de vivre et de mourir, de tuer et d’être tués », en échange d’une fortune et, peut-être, de beaucoup plus. Du jour où il accepte ce contrat, une étrange mécanique de destruction se met en place autour de lui, menaçant les êtres qu’il aime le plus au monde. En monnayant son talent d’écrivain, David aurait-il vendu son âme au diable ?

Mon avis

L’avantage d’avoir lu le précédent volume est de connaître la mécanique de l’auteur, son univers littéraire, sa manière de mouvoir les personnages. Ainsi, alors que j’aurais dû m’étonner, et me désespérer, de la lenteur du rythme initial, j’ai attendu patiemment que l’intrigue prenne forme, que les rouages se mettent en route. Néanmoins, malgré toute ma bonne volonté, je dois dire que l’introduction est ici particulièrement longue. Ayant lu le résumé avant de m’y plonger, je n’attendais que la rencontre entre le héros, le jeune écrivain David Martin, et le prétendu éditeur mystérieux, mais celle-ci tarde à venir, j’ai même cru avoir loupé cet épisode crucial dans ma lecture, suis revenue plusieurs dizaines de pages en arrière pour m’assurer que tel n’était pas le cas. Lorsque enfin le rebondissement tant espéré s’est présenté je l’ai trouvé inopportun, l’histoire se déroulait très bien jusque-là, elle me plaisait comme telle et j’ai pensé que cette péripétie supplémentaire ne saurait lui être bénéfique, je craignais qu’ensuite l’on prenne un chemin qui ne m’inspirait guère.  Cette intrigue autour d’un livre religieux à écrire, sorte de nouvelle bible pour les gens égarés sur le chemin de la foi, m’a déroutée, impression nettement renforcée par le récit plus global, qui ne se prêtait pas, selon moi, à une telle orientation.

Puis, nous laissons David s’affairait à l’écriture de ce manuscrit sibyllin, pendant que nous, lecteurs, nous intéressons davantage à sa nouvelle demeure, sombre, lugubre et potentiellement hantée, qu’il a achetée sur un coup de tête malgré tous les avertissements, ainsi qu’aux troublants événements qui sèment la discorde dans son existence, l’écrivain devenant peu à peu austère, paranoïaque, taciturne et désorienté. De ce qu’il écrit pour cet étrange personnage qu’il nomme « le patron », nous ne savons pas grand-chose ; de l’éditeur, non plus. Ce qui les relie c’est l’échange de cent mille francs, engageant David à rendre une œuvre dans un temps imparti.

J’ai eu beaucoup de difficultés à rentrer dans cette obscure histoire, toutes les réactions de David m’ont paru soit disproportionnées, soit absconses, mais jamais réalistes, modérées et raisonnées. Il représente l’écrivain mélancolique par excellence, sorte de poète maudit, que l’on n’imagine que trop bien, renfermé, aigri et végétant dans un état d’asthénie où l’on a envie de le laisser, puisque les apparences témoignent d’une complaisance manifeste. Je n’ai pas pu m’attacher à un tel personnage, désespérant au possible. En outre, un amour perdu s’ajoute au désarroi de l’écrivain, qu’il alimente avec autant d’ardeur que sa déchéance physique et mentale. Il aurait pu tenter de récupérer la femme qu’il convoite depuis toujours, et qui lui a salement été volée par un soi-disant « ami », mais au lieu de cela, il laisse dépérir son cœur et se morfond dans le souvenir de Cristina. Chose amusante, ou non, c’est que je n’avais guère ressenti d’attachement envers Daniel Sempere, le héros de L’Ombre du vent, qui m’avait profondément exécrée dans ses réactions. Mais sa maladresse était acceptable car surpassée par un individu haut en couleur dont la personnalité m’a marquée. Ici, ce tuteur fait défaut, il n’y a pas de personnage qui soit suffisamment pétillant pour dynamiser l’intrigue. David prend trop de place, il étouffe le récit, son atonie déteint sur tout le reste.

Après vous avoir présenté le héros de ce roman qui, vous l’aurez compris, n’a pas obtenu mes faveurs, qu’en est-il de l’intrigue.  J’ai apprécié retrouver la Barcelone du début du 20ème siècle, l’ambiance glauque et froide a été une nouvelle fois parfaitement exploitée. C’est une cité bien loin de la joyeuse Barcelone que l’on connaît, et ça m’a plu. L’on retrouve quelques personnages de L’Ombre du vent et le fameux « Cimetière des livres oubliés« , lieu qui a une place centrale dans les deux romans. Ainsi, celui qui a lu le premier ne sera guère dépaysé, il entre en terrain connu. De plus, et c’est là où l’édifice s’effondre, cette nouvelle intrigue exploite largement les éléments de la première, s’amuse avec les mêmes ficelles, met en exergue des thèmes similaires. J’ai eu la désagréable impression de lire une version revisitée de L’Ombre du vent mais en moins convaincant. L’auteur nous propose une nouvelle exploration des thèmes de l’écriture et de la lecture. Nous retrouvons un écrivain malheureux, des amours impossibles, d’autres à sens unique, des relations filiales perturbées, des abandons précoces, des flics véreux et des personnages féminins beaucoup trop épurés. Secouez tout ceci est vous obtiendrez l’un ou l’autre des récits.

De plus, alors que dans le premier tome la perméabilité de la frontière entre la fiction littéraire et la réalité n’était que suggérée, ici elle prend une ampleur inouïe, jouant avec le surnaturel. Ainsi, je ne saurais distinguer, dans ce que j’ai lu, ce qui s’inscrit dans les faits et ce qui est de l’ordre de l’imaginaire ou du délire. Je me suis complètement égarée sur cet entre-deux, et ça me gène. Je croyais lire une œuvre fictive mais réaliste, et je me retrouve avec un roman fantastique, où  les événements sont inclassables, tantôt crédibles, tantôt fantasmagoriques. Le final est la goutte de trop, il reste encore à déchiffrer tant il arbore un aspect énigmatique périlleux puisqu’il nous questionne sur tout ce que l’on a lu précédemment et pourra décourager le lecteur dans sa compréhension. Or, quand il me manque la clef pour donner du sens au récit je n’ai pas envie de faire d’effort, voyez de la fainéantise, peut-être, mais après avoir absorbé plus de 600 pages avant de me rendre compte que tout n’était qu’illusion, la frustration est immense. Il m’aurait fallu reprendre l’histoire depuis la première page, mais la densité du récit m’en a empêchée. Aussi, le livre refermé, je ne sais ce que j’ai lu, je ne sais dans quelle catégorie se classe ce roman, je ne distingue pas le message que l’auteur a souhaité transmettre dans ces pages.

L’étude du pouvoir de l’écriture et de la lecture, puisque l’on nous répète que l’âme du livre appartient autant à ceux qui l’écrivent qu’à ceux qui le lisent, m’avait séduite dans L’Ombre du vent en formant une toile de fond permettant de mettre en relief une histoire grandiose et solidement tissée, mais ici, elle est l’élément central, et unique, du livre ; si vous l’ôtez il ne reste plus rien hormis un écrivain talentueux mais insignifiant pris dans des conflits avec ses éditeurs successifs.

Je n’ai fait que comparer les deux romans, vous m’excuserez, mais je m’en sentais obligée puisque les deux histoires sont reliées. Mais surtout, la fadeur du Jeu de l’ange à côté de son grand-frère accentue justement la réussite de ce dernier ; ou comment confirmer la qualité d’un livre en écrivant sa pâle réplique, par le même écrivain ceci est un procédé risqué et équivoque.  Le Jeu de l’ange est une immense déception, au regard de l’enthousiasme qui m’avait poussée à le lire. J’espérais autre chose, de la matière neuve et fraîche, que l’auteur explore un thème inédit. Il a grandement réussi à manipuler le concept  du méta-livre dans L’Ombre du vent, il est temps, et nécessaire, de passer à autre chose et de clore le « Cimetière des livres oubliés » qui a suffisamment vécu. Ha, il semblerait qu’il y ait un troisième tome…Mais dans lequel nous retrouvons mon Fermin adoré, cet élément sera-t-il suffisant pour me faire ouvrir le roman, rien n’est moins sûr.

Et vous, êtes-vous souvent déçus par les suites ?

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