Cécile Coulon est une auteure que je souhaitais découvrir depuis un certain temps, intriguée surtout par le parcours de cette jeune femme ayant déjà publié neuf ouvrages. C’est finalement son dernier roman Trois saisons d’orage qui m’en a donné l’occasion. Où il est question d’un trou perdu et d’une histoire de famille. Roman du terroir oui, si seulement nous savions dans quelle région Cécile a choisi de dresser son intrigue. Les Fontaines est un endroit enclavé dans le calcaire qui contraste avec la ville située en contre-bas. Un lieu maudit pour certains, un paradis pour les autres. Bienvenue dans un pays inconnu et désolant.

Résumé de l’éditeur

Trois générations confrontées à l’Histoire et au fol orgueil des hommes ayant oublié la permanence hiératique de la nature. Saga portée par la fureur et la passion, Trois saisons d’orage peint une vision de la seconde partie du XXe siècle placée sous le signe de la fable antique.

Mon avis

Voici le texte dont j’avais besoin après plusieurs déconvenues amères. Une véritable plume travaillée et sérieuse, des personnages aux contours nets et emplis de motivations et caractères définis, une atmosphère vraie et coriace, tout ceci entretenant une intrigue familiale lourde et oppressante pour un final dramatique comme je les aime. Ce roman est arrivé à point nommé, composé qu’il est de caractéristiques trop souvent passées aux oubliettes. C’est une littérature certes simple et classique, mais brillante et efficace lorsqu’elle est maîtrisée.

Trois générations occupent La Cabane, une habitation cossue du village des Fontaines dans lequel se croisent artisans, travailleurs de la pierre et paysans. Nous suivons la famille de médecins, depuis le grand-père, le premier venu sur ces terres dites hostiles, tombé amoureux du paysage et de cette maison surplombant la vallée. Le fils suit les traces de son père tandis que la petite-fille, Bérangère, nous est présentée sous les traits d’une toute jeune adolescente éprise d’un gosse de fermiers, Valère.

Il me faut vous prévenir qu’ici l’introduction, soit la mise en place du contexte qui dans d’autres ouvrages nécessite tout juste quelques pages, s’étalent sur la moitié du texte, voire plus. C’est qu’il faut dresser le portrait des personnages dans leur chronologie pour comprendre les enjeux que la tragédie finale fait ressortir. Nous découvrons les circonstances qui ont conduit André à soigner les petites gens vivotant sous l’ombre des Trois-Gueules, la venue surprise d’une jeune femme transportant sous ses frêles bras un garçon de quatre ans, le fils d’André, que celui-ci apprivoise comme un oisillon et qu’il fera définitivement sien. Et puis l’installation de ce fils, son mariage avec une beauté citadine et la naissance d’une brindille folle, certes moins jolie que sa mère mais ivre d’amour.

Le roman insiste durement sur le clivage entre les gens de la montagne et ceux de la ville. Quelle ville ? Quelle montagne ? Qu’importe. Dans chaque coin un peu herbeux de France s’est un jour rencontrée ce genre de confrontation ancestrale entre culs-terreux et citadins. Cécile Coulon fait peser cette fragmentation comme une menace, c’est à ce qui dévorera la famille d’André ; sur quelle terre échoueront ses descendants qui poussent un peu sauvagement.

L’auteure aborde la lourdeur des emprises familiales et des attaches sanguines. La fille qui jalouse sa déesse de mère, le fils incapable de faire front face à son père idolâtré par les autochtones, l’épouse délaissée qui erre entre ville et campagne, le patriarche acharné de travail qui pourtant détecte ce que les autres refusent de voir. Cette famille, à la descendance unique — un enfant par étage — n’est pas plus romanesque que les autres, à cela près qu’elle sera toujours une étrangère au milieu des natifs. Trois saisons d’orage nous raconte l’une des plus vieilles histoires qui soient. Cécile Coulon n’invente rien, elle transpose à sa manière, avec ses goûts et ses préférences, la pression quotidienne quand on forme une famille un peu plus aisée au milieu d’une masse compacte et séculaire. L’adultère comme figure transcendante appose un point final dérangeant à cette fable triviale, le feu dévore les parasites, anéantit les tromperies et fait ressortir le vrai. Aux Fontaines on n’est toujours qu’un étranger quand les terres n’ont pas englouti le placenta de sa propre naissance, même si l’on a passé sa vie entière à soigner les maux de tout un chacun.

Le rythme est certes lent, les péripéties désertent, mais Cécile Coulon se veut nous raconter une famille et rien d’autre. Il n’est pas question de rebondissements à la pelle. Elle suit le cours des choses, part d’un vrai début (l’arrivée d’André) pour atteindre une fin ne laissant aucun doute. Il faut aimer les rapports humains, il faut apprécier les descriptions et les longues pauses, car Cécile ne fait pas agir ses personnages, ou si peu, elle préfère les creuser, analyser leurs tempéraments au fil d’un temps qui s’écoule laborieusement. Je regrette de trop nombreuses répétitions dans les idées et images mobilisées pour ce faire. L’auteure n’hésite pas à nous rappeler, jusqu’à la dernière ligne, les qualités et défauts de ses personnages ainsi que leurs caractéristiques physiques, avec une application finalement assez enfantine. Cécile est bavarde, je troquerais bien un peu de ce verbiage pour de l’agir qui ne nuirait pas à la narration. Elle fait ici montre d’un grand classicisme dans la manière de conter. Autant, j’apprécie le respect induit par la conservation d’un mode narratif sans grands risques, autant dans un roman contemporain j’attends quelques pincées de piment, surtout quand l’histoire en elle-même est plutôt linéaire et attendue.

Malgré ce reproche sur la forme, je reste soufflée par le talent de cette jeune écrivain. Vingt-sept ans et déjà l’art de mettre en mots le cœur de l’humain en s’attaquant à des thèmes pourtant poussiéreux que la jeune génération fuit. Trois saisons d’orage pourrait être qualifié de roman du terroir si la contrée était connue. Difficile, en regardant le visage angélique de Cécile, de soupçonner la romancière ancrée dans la tradition et la vieille France. Moi qui m’empêche de m’arrêter sur l’âge et le sexe, je suis ici en admiration devant l’aplomb de la jeune femme quand il s’agit de faire l’étude d’une famille miséreuse dont on trouve les ascendants les plus éloquents chez les écrivains du 19e siècle.

Avec Trois saisons d’orage j’ai plongé dans un roman qui se veut bon par sa simplicité. Nul besoin de grandes aventures et de manœuvres complexes quand l’auteur sait où il veut aller avec ses personnages, desquels il fait ressortir l’essence de ce qui tiendra en haleine le lecteur. Ce dernier ne patientera pas devant un inattendu explosif — le dénouement est aisément deviné — il sera plutôt celui à qui les clefs sont offertes pour comprendre comment on en arrive à tout gâcher, comment la vie se joue de ceux qui pourtant pensent le mieux la savourer. C’est l’échec d’une construction, le retour à la case départ, la roue qui s’arrête brusquement de tourner pour nous rappeler que l’on ne maîtrise rien s’agissant des éléments et de l’égoïsme des hommes. Pessimiste et fermée, cette fin digne des plus grandes tragédies est, on le comprend, l’aboutissement d’un jugement prononcé dès les premières lignes. Aussi évident et simple soit-il, le drame met en lumière les sombres recoins du genre humain. Il invite à penser la notion d’étranger et de territoire. La nature, omniprésente, tantôt lutte contre, tantôt se joint aux hommes pour apporter le meilleur, comme le pire.

Ce que j’attends d’un auteur est qu’il sache raconter, Cécile Coulon m’a prouvé qu’en la matière elle a du talent. Il me tarde de découvrir ses précédentes publications. Je souligne la qualité des Éditions Viviane Hamy qui m’ont bien des fois étonnée par le choix audacieux de leurs publications.

Et vous, avez-vous déjà lu cette jeune écrivain ?

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