Voici un roman dont le titre m’a interpellée en librairie, jusqu’à ce que je lise le résumé qui m’a convaincue de l’acheter.  Il est paru cette année à l’occasion de la rentrée littéraire, mais je n’en avais pourtant jamais entendu parler avant de tomber dessus. C’est un livre qui aborde un sujet pudique, ou plutôt une maladie honteuse, le syndrome de Clérambault, également appelé érotomanie. Il s’agit d’une psychose paranoïaque dans laquelle le sujet est dominé par l’idée obsessionnelle d’être aimé de quelqu’un. C’est un thème qui promettait d’être passionnant, que je n’ai jamais eu l’occasion de découvrir en littérature, mais que j’ai pu étudier durant mes études. Qu’en est-il de ce roman et de sa manière de traiter une maladie aussi inavouable ?

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

L’illusion délirante d’être aimé est une maladie, chronique, dangereuse, et parfois mortelle, nommée syndrome de Clérambault, car elle fut découverte par le célèbre psychiatre. C’est aussi un roman implacable, un thriller des sentiments : l’histoire d’une obsession et d’une dépossession. Un amour à perpétuité. Un amour qui ne peut que mal finir.

Mon avis

L’illusion délirante d’être aimé est un récit relativement court,  construit en onze chapitres, eux-mêmes découpés en paragraphes succincts apportant un rythme hachuré au récit. Le texte est écrit à la première personne, ce qui était inévitable pour pleinement comprendre la dynamique qui se joue dans une relation aussi pathogène que celle dans laquelle vient s’immiscer l’érotomanie. La narratrice c’est Laura Wilmote, la « victime », journaliste télé reconnue, discrète, introvertie et solitaire mais non moins épanouie dans sa vie personnelle et professionnelle. Laura va voir son quotidien, et sa santé mentale, bouleversés par C., une amie de longue date devenue collègue de travail, dont la psychose se révèle des années après leur rencontre.

L’on sait pertinemment que cette histoire se terminera par un drame, puisque le prologue nous en dévoile le dénouement en faisant allusion à la mort tragique d’ « une femme ». Le lecteur est donc dans l’expectative de savoir de qui il s’agit, Laura ou C. Le récit démarre sur les chapeaux de roue puisqu’il n’y a guère d’introduction, de véritable mise en place de la situation initiale. Le lecteur pénètre l’intrigue au moment où la narratrice se rend compte de ce qu’il y a d’étrange dans le comportement de son amie. Ainsi, nous découvrons le personnage de C. à travers le regard déjà légèrement suspicieux et accusateur de Laura. Ceci est vraiment regrettable, et ce, bien que cette dernière revienne sur leur histoire d’amitié qui a pris racine durant leurs études et dans laquelle l’on peut déjà entrapercevoir les prémices d’une destruction à venir. Ceci est dommage donc, car le lecteur peut avoir l’impression d’arriver trop tard, c’est-à-dire lorsque la maladie est déjà pleinement manifeste, alors qu’avant tout « passage à l’acte » il y a un long travail de préparation, si j’ose dire, qui vient tisser la toile au centre de laquelle se place l’objet, la victime, Laura.

Néanmoins, ceci est un parti pris de l’auteure qui prend tout son sens au fil de la lecture. En effet, si le récit démarre lorsque Laura commence à percevoir des signes curieux qui l’interrogent c’est parce que la direction qu’a choisi d’emprunter Florence Noiville est celle d’un retour en arrière analytique. Ce roman est en réalité une interrogation, de celle qui vous pousse à creuser toujours plus pour trouver les réponses. C’est un travail d’inspection profonde, et en même temps d’introspection, que va entreprendre Laura pour tenter de percer ce qui se joue entre elle et son amie. Car son ambition est d’écrire un livre à ce sujet, et pour cela elle va s’entourer d’experts, de victimes, mais aussi d’érotomanes, qu’elle interrogera à tour de rôle afin d’établir un tableau clinique de la maladie. Ainsi, nous suivons d’un côté ce qui se passe dans la réalité de la relation entre Laura et C.  dominée par un harcèlement quotidien; et de l’autre nous suivons la quête personnelle de la narratrice dans sa compréhension de la psychose. La victime devient ainsi active dans son désir d’en apprendre toujours plus afin de prendre de la hauteur sur son vécu et d’agir en conséquence; ceci pour tenter de préserver son intégrité psychique menacée.

Concernant l’aspect instructif de ce récit, je dois souligner son omniprésence à travers les multiples références et citations de Clérambault, le psychiatre qui a découvert et donné son nom au syndrome. Je dirais même qu’il prend largement le pas sur l’aspect fictif du roman, qui se retrouve écrasé, mis de côté. Au mieux, la fiction sert ici d’illustration à la maladie, comme on en trouve dans les manuels de psychiatrie. Au pire, elle est un prétexte à une leçon de psychologie. Mais dans les deux cas, l’équilibre entre instruction et narration est trop instable pour servir un roman, donc une fiction. J’aurais souhaité que l’auteure se détache de ses bases théoriques pour se recentrer sur son récit, pour le nourrir davantage afin qu’il prenne son envol. Or, l’histoire est trop engluée dans la théorie, dans le réel de la genèse de la maladie. A trop vouloir rendre le personnage principal acteur dans l’enseignement du lecteur, ce dernier ne parvient plus à le situer dans l’intrigue. Ainsi, Laura est partagée entre deux rôles que j’ai eu bien du mal à combiner; elle est à la fois une héroïne tragique prise dans une relation perverse, et une journaliste possédée par le travail préliminaire de son livre.

J’ai fini par négliger C., son emprise sur Laura, sa paranoïa, puisque ses apparitions dans le récit sont trop rares. L’auteure nous parle de l’érotomanie en général, à travers de nombreux exemples et des leçons tirées de divers livres, mais occulte celle de son personnage qui reste à l’état larvaire, c’est-à-dire dans des manifestations convenues telles que des appels en pleine nuit, un faux compte Facebook au nom de la victime, une avalanche de mails à destination de cette dernière, etc.

Et puis, arrive un moment où Laura perd pied, où elle sombre elle-même dans une folie obsessionnelle, qui va l’amener à réagir de manière totalement surdimensionnée dans un tel contexte. L’on aurait pu croire que le fait de plonger tête la première dans les manuels de psychiatrie l’aiderait à mettre à distance le poison que représente son amitié avec C., mais c’est tout l’inverse qui se produit.  Cet événement perturbateur dans le récit n’a cependant pas l’impact qu’il aurait dû avoir pour le lecteur, légèrement désemparé. En effet, le fait que l’auteure insiste autant sur le travail d’investigation de Laura fait que je me suis petit à petit détachée de l’intrigue principale, pour finalement être contrainte d’y replonger dans les dernières pages, mais d’une manière brutale, démesurée et pompeuse qui vient totalement rompre la dynamique du récit, aussi absurde soit-elle.

L’illusion délirante d’être aimé m’a énormément déçue dans son ambition. Je souhaitais parcourir un récit romancé, ressentir une tension psychologique aux notes dramatiques à travers la dissection minutieuse de personnages pris dans une relation destructrice, mais je n’ai lu qu’une succession d’informations. Le thème est pourtant passionnant, j’insiste, et Florence Noiville nous le démontre bien, c’est en cela que son roman est contradictoire et d’autant plus frustrant. Elle nous expose ce qui fait que l’érotomanie est une maladie bien spécifique, insidieuse, perverse et incurable; un sujet de roman idéal donc. Elle le maîtrise dans sa théorie, cela est certain, mais elle ne semble pas très à l’aise pour le placer au cœur d’une fiction. Il semblerait que la connaissance qu’elle en a était peut-être trop fraîche, pas assez mûre pour oser la transposer à des personnages inventés. En lisant ce roman vous en apprendrez  sur le syndrome de Clérambault, mais la manière de le traiter risque de décevoir les lecteurs en quête de romanesque.

Et vous, vous est-il déjà arrivé d’être déçus de la même manière par un roman ?

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