Voici un grand classique de Balzac, écrivain dont j’ai entamé l’œuvre il y a plusieurs années, mais que je ne suis pas certaine de terminer avant ma mort tant celle-ci est vaste. 

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

« Les femmes les plus vertueuses ont en elles quelque chose qui n’est jamais chaste. » Cette remarque de Balzac peut s’appliquer à Mme de Mortsauf, lys blanc et pavot rouge. Félix de Vandenesse souffre de la réserve d’Henriette et tue pourtant cette femme en l’idéalisant à son corps défendant, en lui imposant une pureté contre laquelle elle se révolte au moment de son agonie.

Mon avis

Peut-être Le Lys dans la vallée est-il le roman de Balzac qui m’a causé le plus de difficultés lors de sa lecture, car il est une ample succession d’échanges amoureux, et de réflexions du narrateur sur l’emprise qu’a exercée Mme de Mortsauf sur son cœur.  Balzac fait ici l’impasse sur la retranscription de faits pour se concentrer sur le sentiment. Le récit est en outre une longue lettre écrite par Félix à l’une de ses amantes pour lui raconter cette passion pour Henriette qui l’a dévoré durant plusieurs années, et dont il ne pourra vraisemblablement jamais se défaire. L’on tendrait à oublier qu’il s’agit d’une missive, mais Félix interpelle plusieurs fois Natalie, la destinataire, nous rappelant qu’il ne s’agit ici que d’une version de l’histoire. Car, il y a certainement un écart non négligeable entre ce qui s’est réellement produit, ce que Félix a interprété, et ce qu’il souhaite révéler à Natalie. Ainsi, le lecteur prendra ce qu’il expose avec des pincettes, et doutera certainement de la véracité des échanges relatés, qui ne peuvent qu’avoir été déformés par le temps.

Mettons ceci de côté pour nous concentrer sur l’histoire, comme si celle-ci était véridique. Elle n’est guère alambiquée, car consiste en un trio amoureux. Nous avons la femme, soumise et bonne, le mari, narcissique et tout-puissant, et Félix, jeune homme de passage dans le coin, éperdument amoureux de la première, celle qu’il a une fois osé embrasser, par un élan que seul son état adolescent du moment pouvait expliquer, et qu’il espérait à tout prix revoir.

Balzac met en scène une passion, amoureuse ou maternelle, qui prend naissance dans la rencontre entre deux enfances malheureuses. Félix et Henriette ont tous deux vécu la négligence parentale, le rejet, l’absence d’affection maternelle. L’enfant qui vit en chacun d’eux trouve dans l’autre son double, et de cette reconnaissance va naître une adoration, qui prendra du côté de Félix la couleur de l’amour véritable et unique, et du côté d’Henriette, celle d’une tendresse maternelle, à défaut de pouvoir offrir autre chose puisqu’elle est liée jusqu’à la mort à son époux.

Le récit se construit sur cette ambivalence, sur cette mésentente des sentiments, qui les fera souffrir tous deux puisqu’aucun n’osera rompre cette relation, mais dans laquelle il trouve finalement une source de plaisir immense. Pour autant, je n’y ai vu qu’un attachement voué à l’échec dès lors qu’il contient en lui-même les germes de son autodestruction. C’est une illusion, construite et entretenue par Henriette qui, sous ses airs d’ange naïf est une femme manipulatrice, plus fourbe que ce qu’elle laisse croire.

Henriette sait dès le début qu’elle ne pourra jamais offrir à Félix ce qu’il désire, à savoir un amour adulte et charnel. Elle le sait, et pourtant elle ne fera qu’alimenter en lui cette flamme, en surjouant tantôt la femme victime de son mari, tantôt la mère éplorée du fait de la maladie, bien mystérieuse, de ses deux enfants. Elle se place dans une position telle que Félix ne pourra que nourrir cet espoir. Pourtant, elle lui dira à plusieurs reprises qu’elle ne sera jamais qu’une mère pour lui, mais de telles paroles, accompagnées d’une attitude qui semble dire le contraire, ne peuvent que semer le doute dans l’esprit de celui qui est visé. Henriette abuse de la flatterie que suscite l’amour d’un jeune homme, elle en jouit outrageusement, Félix devenant le tuteur de son narcissisme blessé par des années de soumission à son mari. Elle trouve un confort dans cette situation, bien qu’elle clame le contraire.

Ainsi, Henriette trompe tout le monde, ses enfants, son mari et Félix, de manière à ne se mettre en porte-à-faux avec personne. Elle passe ainsi, aux yeux de tous, son entourage proche, son personnel ou les fermiers alentours, pour une sainte. Elle a vécu en sainte, et elle mourra en sainte, finalement au clair avec elle-même. Pourtant, je ne suis pas certaine que Balzac ait souhaité détruire cette image-là, je pense qu’il a réellement voulu peindre une personnalité bonne et fidèle. De mon côté, le fait que ce soit Félix qui narre l’histoire m’a fait douter. On ne peut raisonnablement prendre pour véritables les paroles d’un homme qui n’a jamais su se détacher d’une emprise aussi évidente, qui s’est jeté les yeux fermés dans une relation vaine. Alors bien sûr, il ne peut que décrire la Henriette qu’il a aimée, aveuglé qu’il est par la puissance de ses sentiments qui, même des années après la mort de sa muse, ont préservé leur éclat juvénile. Henriette est déifiée, indétrônable dans le cœur de Félix. Pour être sûre d’y avoir  toujours la meilleure place, elle aura  même l’idée de lui écrire une lettre, qu’il ne devra lire qu’après sa mort, procédé que je trouve odieux, comme pour définitivement sceller le destin du garçon au sien, lui interdisant tout bonheur conjugal futur. Et elle y parviendra, car Félix sera dans l’incapacité d’éprouver des sentiments aussi forts pour une autre femme, elle l’aura rendu totalement inapte à l’amour par une castration mentale efficace.

Le plus pitoyable dans cette histoire c’est l’incapacité de Félix à ouvrir les yeux sur sa position de victime. Il ne m’a inspiré qu’une profonde pitié, couplée d’une exaspération face à son acharnement aveugle à vouloir obtenir toutes les faveurs de son adorée.  Je ne compte plus ses tentatives d’une nouvelle vie, qui se sont lamentablement soldées par un retour, la queue entre les jambes, auprès d’Henriette, toujours prête à le dorloter.  Elle se permettra même, et je crois que c’est cet événement qui m’a définitivement fait haïr cette personne, une crise de jalousie lorsque Félix tentera de construire quelque chose avec une autre femme.

A côté de ce couple malsain se trouve l’époux, qui nous est froidement décrit comme un être imbuvable, égocentrique, tyrannique et manipulateur. Certes, d’après ce que nous en disent, et Félix, et Henriette, il apparaît bien antipathique. Mais, comment peut-il être dépeint autrement, lorsqu’il est le spectateur malheureux, le parasite, l’empêcheur de s’aimer ouvertement, d’un manège amoureux entre sa femme et le jeune garçon qu’il a accueilli les bras grands ouverts. Il ne saurait donc nous être décrit en des termes plus flatteurs par celui qui ne souhaite que sa mort, tandis qu’il est bien confortable pour son épouse d’exacerber ses traits afin de mieux être consolée par son jeune éphèbe.

En réalité, je me rends compte que ce livre peut-être lu, et interprété, de deux manières. Soit vous y verrez le récit d’un amour impossible, pur et véritable. Soit, comme moi, celui du machiavélisme d’une femme envers un jeune homme innocent épris d’elle. L’élément déterminant étant le fait que l’histoire est narrée à travers une lettre écrite par Félix, protagoniste dont la partialité est manifeste. A vous de déterminer ce qui est véridique, ou ce qui est le fruit d’un esprit embrumé.

Le Lys dans la vallée est un roman prodigieux, qui est plus que le récit d’un triangle amoureux classique. Il est celui d’une emprise, puissante, écrasant tout sur son passage, et qui ne s’éteindra qu’à la mort de son unique victime. Balzac nous montre une nouvelle fois l’étendue de son talent pour dresser des personnalités féminines ardentes. Il est je crois, l’auteur le plus habile pour mettre en scène des figures de femmes. Il décrit les aspérités des caractères, les vices des âmes avec une exactitude qui fait presque frémir. Et avec Henriette de Mortsauf il ira très loin dans sa dissection.

Et vous, avez-vous lu Balzac ?

 

 

 

 

 

 

 

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