Voici le roman de la sélection Exploratology du mois d’octobre. Il est présenté comme un livre culte dans son genre, ayant inspiré bon nombre de polars par la suite. Je n’en avais, pour ma part, jamais entendu parler. Le titre original est Le chien ivre, qui colle selon moi davantage à l’esprit du livre. Le dernier baiser est, lui, un titre trompeur, car il suggère un drame sur fond de romance, ce qui est bien loin d’être le cas ici…

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« Quand j’ai finalement rattrapé Abraham Trahearne, il était en train de boire des bières avec un bouledogue alcoolique nommé Fireball Roberts dans une taverne mal en point juste à la sortie de Sonoma, en Californie du Nord ; en train de vider le cœur d’une superbe journée de printemps. Trahearne en était à près de trois semaines de foire et de balade, et avec ses fringues kaki toutes fripées, le grand homme ressemblait à un vieux soldat au bout d’une longue campagne qui essaierait de faire durer ses bières pour faire passer le goût de mort qu’il avait dans la bouche. »

Mon avis

Qu’on se le dise, ce roman, soit on l’adore, soit on le déteste. Il me paraît difficile d’y rester insensible, et de s’abstenir d’un avis bien tranché. Me concernant, rares sont les livres qui ont suscité en moi un tel déplaisir au cours de ma lecture, ou plutôt une telle envie d’en arriver au bout. Et pourtant, le premier chapitre m’a plu, car l’on rentre immédiatement dans le vif du sujet, au cœur d’une scène virulente se jouant dans un bar sinistre. La présence d’un bouledogue alcoolique est le genre de détail absurde qui m’enchante. Mais bien rapidement la prose de l’écrivain m’a usée. Je pense que la traduction depuis la version américaine n’a pas dû être aisée, car le texte est truffé d’expressions imagées, le langage est familier, populaire, argotique. Je soupçonne d’ailleurs certains idiotismes d’avoir subis les aléas d’une traduction purement littérale, rendant leur parfaite compréhension plus qu’hasardeuse. Je n’ai ainsi pas apprécié l’écriture, qui m’a été désagréable à souhait. Mais, dans une certaine mesure, je ne m’offusque pas que celle-ci ait pu plaire à d’autres par sa crudité, sa maladresse apparente, son style provocateur, car je reconnais un talent dans sa maîtrise sur plus de 400 pages. Mais pour ma part, le manque de plaisir ressenti à la lecture surpasse l’éventuelle admiration que j’aurais pu éprouver.

Pour vous donner une idée, voici un court extrait sibyllin : «  Les femmes sont comme ça, fils, il s’est soudain mis à philosopher. Elles comprennent pas la bougeotte. Suffit de leur donner une grotte bien chauffée et un arrivage régulier de tripes d’antilope, et elles se croient chez elles pour de bon. »

Le roman, dans son intégralité, est écrit de cette manière ; ce qui a suscité en moi une profonde envie de le terminer. Et ceci m’a inévitablement empêchée de m’accrocher au mince fil de l’histoire, passant à côté de celle-ci, si tant est que l’on puisse passer à côté de quelque chose qui n’existe pas réellement. Car il semblerait que l’ambition première de l’auteur n’ait pas été de transporter son lecteur dans une intrigue poussée – pour cela il aurait dû atténuer la virulence des dialogues et étoffer son récit en péripéties – mais plutôt de mettre en scène des personnages pour lesquels il paraît avoir une affection toute particulière. Je ne doute pas de l’amusement que cette entreprise a dû lui procurer. Le détective Sughrue en tient une couche dans le genre. La trentaine, alcoolique comme on en fait peu, antipathique, versatile, insolent et solitaire, en plus d’un goût prononcé pour les femmes qui le fait se jeter dans les bras de toutes celles qui croisent sa route; on aura connu plus flatteur comme portrait. Autant en littérature les détectives un poil véreux et ermites sont séduisants, autant celui-ci m’a profondément ennuyée, car il combine toutes les tares attendues chez ce genre de personnage. Je retiendrai surtout son amour obsessionnel pour la boisson, whisky-bière-bière-whisky-bière-bière, voici comment pourrait se résumer l’intrigue ; je ne compte pas le nombre de cadavres de bouteilles et autres canettes qui parsèment le récit. Si les relents éthyliques vous font horreur, passez votre chemin, car Le dernier baiser est une gueule de bois à rallonge, qui aura provoqué chez moi le même état nébuleux couplé à une irascibilité qui résultent bien souvent d’un état d’ivresse. Pour compléter le tableau, l’auteur greffe à son personnage un acolyte, qui se dit écrivain mais ceci n’est qu’un détail, dont la capacité à aligner les verres est nettement supérieure, c’est dire. En fait, il semblerait qu’il s’agisse d’un double parasite, plus maladroit, plus colérique, et plus alcoolisé. Il n’en fallait pas plus pour me dégoûter définitivement de cette mascarade, de cette histoire poisseuse, collante, qui navigue sur une idée unique : l’ivresse, ou plutôt l’addiction, car le sexe est bien présent aussi.

Si vous ôtez ces deux drôles de personnages – qui ne sont remarquables que par leur aptitude à se soûler – il ne reste rien. Ceux qui attendent et espèrent une intrigue palpitante aux nombreux rebondissements, portant sur la disparition d’une jeune fille – et ils auront été bien naïfs si cet espoir persiste après la première page – ne pourront être que déçus. Ce livre est vide, ou tout du moins rempli de choses qui ne devraient être que des détails si l’intrigue était plus complexe, mais qui sont ici poussées à l’extrême, exploitées jusqu’à l’écœurement par l’auteur, pour compenser un manque cruel dans son action. Ou bien, c’est peut-être moi et ma sensibilité qui sommes restées coincées à un niveau de lecture trop superficiel. Et pourtant, l’auteur est parvenu quelques fois à faire vaciller ma rigidité ; certaines répliques sont piquantes, certaines situations m’ont fait sourire, mais elles sont trop peu nombreuses. Elles sont noyées sous une exubérance changeante nous faisant oublier les traits d’humour qui sont certainement plus nombreux que ce que j’ai pu en retenir. Car il a fallu que je lise vite pour sortir de cet état nauséeux causé par une atmosphère irrespirable.

Le dernier baiser est un livre hargneux aux métaphores douteuses, aux images scabreuses et à l’humour graveleux. Bilieux dans le ton, il met les nerfs à vif, plaçant le lecteur dans l’attente que le vase déborde, car ce dernier est plein dès la première page. Les dialogues sont empreints de colère, les personnages sont des cocottes-minute prêtes à exploser, rendant la lecture d’autant plus désagréable. C’est malin de la part de l’auteur, car il n’a pas eu besoin de creuser son histoire en profondeur, puisque exploiter les vices de ses personnages, qui puisent leur force dans la débauche, lui semblait suffisamment consistant pour en faire un roman. L’auteur devait se trouver dans un état d’excitation tout particulier pour s’acharner autant à nous présenter des personnages aussi explosifs.

J’ai l’impression d’avoir assisté à un mauvais film interprété par de mauvais acteurs n’arrivant pas à contenir leur personnage, surjouant les émotions et ayant à peine lu le scénario. Ma critique est certainement excessive, mais elle est à la hauteur du livre. Vous l’aurez compris, Le dernier baiser est bien loin de m’avoir conquise. Et pourtant, il semblerait que je fasse partie de la minorité ne l’ayant pas apprécié, puisque les critiques sont majoritairement élogieuses le concernant. La littérature n’a pas fini de me surprendre…

Et vous, y a-t-il des livres que vous vous êtes empressés de terminer par envie de passer à autre chose ?

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