Voici un roman que je me suis procuré après en avoir lu la critique sur le blog evabouquine. L’époque, le contexte politico-religieux marqué par la persécution envers les protestants, et le sujet touchant à l’intimité du couple sont des ingrédients qui, assemblés, offraient un tableau plutôt prometteur.

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Versailles, 1685. En ces temps peu cléments pour les libertés de culte, Guillaume Vallade n’avait rien à craindre de l’Eglise. Héritier d’un bâtisseur du Roi, élevé dans la religion catholique, le jeune homme bafoue pourtant l’opinion publique en s’unissant à Jehane, protestante repentie. Bientôt la rumeur d’une vieille blessure à l’aine, couplée à d’obscures manœuvres courtisanes, précipitent le  couple aux bancs du tribunal ecclésiastique. Accusé d’impuissance et sommé d’honorer sa femme devant ses juges, Vallade laissera bien davantage que son honneur sur le lit du sinistre Congrès…

Mon avis

Cette histoire est assez troublante. Inédite pour moi, tant concernant l’époque du drame, qui est très rarement celle dans laquelle se déroulent les récits que je lis, que les émotions éprouvées, à travers une intrigue relativement simple sur le papier, mais où réside un univers émotionnel intense. Le texte est porté par une écriture à la première personne, il n’en aurait pu être autrement. Le narrateur est Guillaume, un homme issu d’une famille puissante, dont l’avenir semble tout tracé; mais ceci on le découvre en pointillés, par des allusions, au père surtout. Car dès la première page, Guillaume est celui de l’après, il revient sur les tragiques événements ayant vraisemblablement eu lieu quelques années plus tôt. Il est un individu taciturne, déjà empli à l’époque d’une sorte de mélancolie, sûrement la faille par laquelle pénétrera ce qui le conduira droit vers son sombre destin. J’ai vu en lui un poète, à l’âme perméable à toute tentation, tout émoi; amoureux de la nature, tourné vers ce qui s’oppose à son petit monde douillet, Guillaume ne pouvait suivre les traces de son père, c’était écrit.

Il tombe sous le charme d’une jeune protestante en fuite, dont il va aider la famille. Quelques mots échangés, une étreinte furtive, un adieu définitif auront suffi à bouleverser son cœur à jamais. C’est pourtant vers sa sœur qu’il est contraint de se tourner ; qui, elle, s’est repentie. Il s’engouffre avec elle dans le mariage, comme s’il n’y avait d’autres chemins, chacun y trouvant son compte, un brin de bonheur à retirer. Ils apprennent à s’aimer, se respectent, et partagent des projets consentis par tous deux ; pour l’époque leur entente est singulière et précieuse, ils en ont conscience.

Mais une blessure mal placée, au niveau de l’entrejambe, une belle-sœur haineuse et jalouse, vont les entraîner dans un tourbillon infernal et avilissant duquel ils ne sortiront pas indemnes. Guillaume doit prouver qu’il est capable de copuler avec son épouse, au risque sinon de voir leur mariage dissout. Après des examens poussés et macabres, les deux doivent se produire « sur scène », sous les yeux concupiscents d’une foule de curieux, prêtres, juges, anonymes. Guillaume et Jehane ont accepté ce défit, espérant que la chose se ferait naturellement, que fermer les yeux serait suffisant pour surpasser la pudeur et la honte.

Cette scène est la pièce centrale du récit, son aboutissement, ce qui soutient tout le reste. Elle nous est relatée dans le détail, à travers les yeux de Guillaume toujours, qui se souvient. La force immersive de la narration est ici à son apogée. La retranscription nous arrache à la réalité, nous emmenant nous aussi sur le lit, au centre de l’arène. L’on sent les yeux épars se poser sur nous, l’on entend les murmures d’encouragement, de stupéfaction, de condamnation des uns et des autres, venus là comme au cirque, pour assister à un spectacle unique en son genre où les hommes deviennent bêtes, où l’on attend d’eux le réveil des instincts primaires. La situation, aussi absurde soit-elle, aussi irréelle et répugnante, possède ici une consistance rare. Sans voyeurisme, sans exagération, sans pudibonderie non plus, l’auteur nous dévoile les tréfonds de l’intime, l’essence du couple, le devoir conjugal, si trivial pourtant, mais qui, sous les projecteurs, devient obscène, hideux et dérangeant. Le talent de Jean-Guy Soumy explose dans cette retranscription où la force empathique nécessaire dépasse l’entendement ; il m’a fait monter les larmes aux yeux. Il faudrait le vivre pour en parler aussi bien.

« N’arrivant à rien, je me décide à caresser ta poitrine. J’ai attendu, Jehane, crois-moi. Car il s’agit d’un geste humiliant pour toi, pour nous. Quelque chose qui renvoie à notre intimité, à la tendresse que nous voulions dissimuler pour la sauver. A la mécanique de l’amour. Mais à bien y réfléchir, qu’espérions-nous ? Pensions-nous qu’il serait possible de désirer dans toucher ? Sans respirer, sans goûter ? D’une manière abstraite qui ne puiserait sa réalité que dans notre attachement l’un pour l’autre ? Sans incarnation ? Sans le sentiment toujours renouvelé de franchir un interdit ? Sans rituel ? »

Ainsi, les dizaines de pages précédents l’acte ont raison d’être uniquement pour ce final, ces quelques minutes de dépossession de soi, presque d’aliénation, où le sentiment entre en lutte avec le charnel, où le désir n’est pas seulement la pensée même de l’acte mais quelque chose de palpable, où le corps ne peut être un objet seulement dirigé par le bon vouloir de l’individu. Et puis après, le néant. Guillaume et Jehane sont en partie morts.

Je ne vous dirai pas quelle a été l’issue du combat ; bien qu’en soi ceci n’ait que peu d’importance au regard de l’intégrité psychique des protagonistes, déjà fortement ébranlée. Mais le cœur de Guillaume se dissout, et mobilise une image qui viendra participer à la rupture du couple, rupture réelle ou pas, ils ne seront de toute manière plus jamais les mêmes.

Le Congrès est le témoignage d’une époque sombre pour les protestants, l’Édit de Nantes signé par Henri IV est révoqué par Louis XIV durant la même année que celle du récit, 1685. Mettre en scène un couple illégitime ajoute à l’effroi et au supplice de Guillaume. La rigidité religieuse est exposée à travers la haine envers les protestants, obligés de fuir ou de se cacher, et l’absurdité de la législation entourant le mariage. Un profond écœurement m’a envahie durant ma lecture, dont la scène de coït public n’est pas la seule instigatrice. Le décor est assombri et rendu d’autant plus poisseux que les personnages principaux sont d’une douceur et d’une sobriété extrême, formant un couple solide, respectueux et aimant. Ils éblouissent de beauté, même quand leur nudité est outrageusement étalée. Ce sont deux personnalités entières, authentiques, montant sur l’échafaud en pensant encore pouvoir s’en sortir ; leur espérance et leur naïveté sont d’une tristesse infinie. Guillaume est un être bon et généreux, un véritable héros trop candide pour être heureux dans la France rigoriste du 17ème siècle.

La tension est crescendo, le cœur se resserre à mesure que Guillaume dépouille sa mémoire dans un travail de réminiscence douloureux. Son récit n’est pas teinté de haine, de rancœur contre les responsables de son calvaire, non, il adopte un ton posé, nostalgique du bonheur qui était à l’époque à portée de main, encore ébloui de la pureté des femmes qui ont croisé sa route. Il est dans le souvenir, dénué de toute acrimonie, et c’est pour cela que son récit paraît si vrai.

Le texte est bien sûr sublimé par une écriture délicate, discrète, parfaitement mesurée, peu de mots suffisent à l’auteur pour tisser sa trame, pour distiller l’émotion. Jean-Guy Soumy est un auteur dont je vais m’empresser de parcourir la bibliographie, un écrivain talentueux qui fait d’une histoire ordinaire, anecdote de l’Histoire, un roman extraordinaire.

Et vous, connaissez-vous cet auteur ?

 

 

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