Je vous parle aujourd’hui d’un genre jusque-là absent du blog, le théâtre. En réalité, je n’ai découvert qu’il s’agissait d’une pièce qu’à la réception du livre ; je pensais lire un roman. Le théâtre est malheureusement délaissé de nos jours, hormis à l’école, Une maison de poupée a d’ailleurs été écrite au 19ème siècle. Mais j’ai toujours beaucoup aimé en lire, aussi la surprise a été bonne. Je me suis sinon orientée vers cette lecture pour son bref résumé, annonçant une histoire de couple sur le point d’éclater.

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Nora est mariée à Torvald Helmer, avocat sur le point d’être nommé directeur de banque. Au fil des années, elle est devenue dépendante de son époux, esclave de sa condition de femme. Nora possède cependant un grand secret, avec lequel elle estime tenir son époux. Alors qu’elle avait tout misé sur le compromis, elle ne supporte plus la mascarade de sa vie conjugale.

Mon avis

Il m’a fallu la lire deux fois. En effet, après quelques jours de réflexion je n’étais pas certaine de ce que les personnages m’inspiraient, oscillant entre l’aversion et la compassion; j’étais perdue. Me replonger dans l’histoire avec une lecture sans interruption m’a permis d’éclaircir un peu plus mon ressenti. Le théâtre ne se lit bien que d’une traite, il pâtit de pauses intempestives, à l’inverse du roman qui s’en nourrit. Cette pièce est relativement courte, elle se compose de trois actes se déroulant sur deux journées et dans une même pièce, le salon bourgeois d’un couple. Peu de personnages entrent en scène, le mari, la femme, l’ami du couple, une ancienne amie de Nora, un employé de Torvald et le personnel de maison.

Une maison de poupée nous raconte un moment crucial dans l’histoire du couple, cet instant où tout vole en éclats, où l’apparente harmonie s’effondre, où les masques tombent, brusquement, sans ménagement. Il y a Nora, épouse et mère de trois enfants, elle-même très enfantine, quelque peu hautaine, avec cette naïveté agaçante qu’ont les gens pour qui le bonheur individuel est forcément contagieux et qui ne veulent pas voir au-delà de leur palier. Nora est d’abord futile, tournée vers l’argent, dépensière et joueuse. Elle se plaît à paraître la petite princesse de son époux, voltige autour de lui, gazouille et le titille. Tandis que lui ne la considère pas plus, ou pas moins, il l’infantilise c’est certain, l’appelant avec toutes sortes de petits noms animaliers. Puis, des personnes interviennent dans leur monde, d’anciennes connaissances ou des amis fidèles, et l’on découvre alors le secret que Nora cache depuis de longues années ; elle s’est endettée pour aider son époux, jadis malade, faisant croire que l’argent provenait de son père, décédé entre-temps. Nora a été maline, camouflant ses actes en toute illégalité, mais elle risque gros. Nora n’a peut-être pas été assez sagace, ou prévoyante, car le passé la rattrape bien vite, sous la forme d’un odieux personnage prêt à tout pour se venger, un avoué que Torvald a projeté de licencier.

L’histoire suit son cours, avec une tension croissante du fait de la menace pesant sur Nora, la rendant d’ailleurs plus humaine. De gamine elle devient manipulatrice, et alors ses petits jeux, ses petites danses sont autant de procédés hypnotiques destinés à troubler l’époux ; répondant à ses désirs de supériorité par l’amusement et les caresses. Nora ne m’a pas plu, ne m’inspirant aucune confiance, aucune sympathie. Ses actes passés, censés être bravoure et altruisme, ne peuvent effacer l’égoïsme quotidien dont elle fait preuve, en témoignent ses échanges avec Madame Linde, sa vieille amie revenue en ville après un veuvage. Ce rôle d’épouse comblée lui sied bien, elle y semble y trouver largement son compte.

Et puis il y a le final venant tout remettre en question. L’ultime conversation entre Nora et Torvald, lorsque celui-ci découvre le secret. Sa réaction est évidemment odieuse, il ne pense qu’à son propre honneur, condamnant sa femme, la destituant du rôle de mère, l’admonestant comme une enfant, puis retourne sa veste lorsqu’il se rend compte que la menace est passée, redevenant le brave époux. Ce retournement de situation qu’est l’absurde laïus de Torvald, témoignant d’un profond dédain envers son épouse et du peu de crédit qu’il accorde à ses capacités intellectuelles, est une immense gifle pour Nora. Dans le silence et la consternation elle prend une décision radicale sur laquelle se clôt la pièce.

Une maison de poupée évoque la vie faite d’apparences et d’abnégation des femmes de l’époque; nous sommes dans la Norvège de 1879. Cette pièce expose le poids du devoir des épouses, condamnées à se taire, à n’être que représentation, à exister dans l’ombre de leurs maris, à mener une vie linéaire entre l’éducation des enfants et la satisfaction charnelle de l’époux. Cette existence austère et plate est ici fissurée par la faute commise par Nora, une faute stupide et inconsidérée, pour l’époque j’entends, qui signera sa perte. C’est ensuite une succession de choix qui seront tous un pas de plus vers la décision finale, irréversible. Ainsi, le lecteur se demande ce qu’il aurait fait à sa place;  faut-il préserver son intégrité morale, ses enfants, sa position sociale ou bien son couple ? À ma première lecture j’ai condamné Nora, ses excès, sa personnalité manipulatrice et arrogante. En toute honnêteté, cette pièce ne la rend pas spécialement attachante. Il faut dire, son réveil est aussi tardif que fulgurant. J’aurais préféré plus de développement, de dialogues, une évolution moins brutale aussi ; ceci aurait été possible car la pièce est courte. Puis lors de ma seconde lecture j’ai tenté de me mettre à sa place pour mieux la comprendre. J’ai reconstruit le contexte, l’oppression, les devoirs, l’avenir tout tracé pour la femme qui se tait. J’ai aussi redessiné la personnalité de Torvald à la lumière de ses dernières paroles, insensées, qui sont le reflet de l’image des femmes dans l’esprit des hommes, les petits surnoms animaliers étant tout à fait représentatifs.

L’immense fossé existant entre la Nora du début et celle de la fin est ce qui m’a tout d’abord interloquée. J’y ai vu une incohérence de l’auteur, une lubie irréaliste. Mais en reconstituant le décor, en agrippant les éléments entre eux, ce qui nous est dit sur le père de Nora, sur son mariage, l’attitude schizophrénique de Torvald envers elle, mais aussi les interventions des personnages annexes, qui sont les petites roues du drame, j’ai finalement revu mon jugement et été saisie par l’implacable réalité que nous décrit l’auteur. Il construit une logique, celle de Nora, dans une époque aux mœurs solides et défavorables à toute forme d’émancipation féminine. À partir d’un acte fou mais qui trouve sa cohérence, la dette de Nora, il tisse une nouvelle toile de fond pour le couple puisqu’une épée de Damoclès pend sur le foyer. La nouvelle Nora, celle de la fin, est en fait celle qui couvait depuis la « faute » initiale, mais étouffée par les nécessités conjugales. Elle devient la femme sans le masque de l’épouse soumise, et d’autres auraient certainement agi de la même manière.

Ce texte est alors une théorie autour de la femme coupable mais combative aux prises avec la réalité de la vie conjugale de l’époque. Quoique manquant légèrement de fluidité et de longueur pour mieux saisir les nuances des personnalités présentées et suivre l’évolution de Nora avec plus de précision, cette courte pièce est un pavé jeté dans la mare des conventions et en cela elle a le mérite d’exister. Une maison de poupée est un titre évocateur, un euphémisme décrivant un théâtre où se joue un drame. Il nous laisse sur un final déroutant et scandaleux qui condamne de manière glaciale et fallacieuse une époque et sa condition féminine, puisque la femme est ici contrainte de commettre, je crois, le pire, l’abandon de sa famille.

Et vous, le théâtre s’immisce-t-il parfois dans vos lectures ? Connaissez-vous cette pièce ?

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