C’est dans le cadre du mois de l’Europe de l’Est proposé par Goran, Eva et Patrice, que m’a été conseillée cette lecture ; roman sur lequel j’ai lu quelques avis assez encourageants. Best-seller, récompensé, traduit dans de nombreuses langues, La Porte est l’oeuvre de Magda Szabó, une écrivain hongroise prolifique dont le nom m’était inconnu. J’ai cru pouvoir aimer ce livre, j’ai pensé qu’il me correspondait.
La narratrice y retrace sa relation avec Emerence, qui fut sa domestique pendant vingt ans. Tous les oppose : l’une est jeune, l’autre âgée ; l’une sait à peine lire, l’autre ne vit que par les mots ; l’une est forte tête mais d’une humilité rare, l’autre a l’orgueil de l’intellectuelle. Emerence revendique farouchement sa liberté, ses sciences, sa solitude, et refuse à quiconque l’accès à son domicile.
Mon avis
La Porte nous raconte la relation unissant une domestique à la jeune femme qui l’a employée pendant des années. Au-delà de la simple distinction induite par leurs rôles respectifs, leurs caractères, personnalités, cultures, philosophies, manières d’être, rapports aux autres, sont propres à chacune et aussi opposés qu’il est possible de l’être. La confrontation promet d’être juteuse, d’autant que la vieille Emerance, un brin mystérieuse, ne laisse personne entrer chez elle. Ainsi, une énigme plane sur son passé trouble que la narratrice tente de mettre au jour.
Nous sommes à Budapest, dans la seconde moitié du 19e siècle vraisemblablement. L’ambiance citadine est ici annulée par un cadre un peu trop familier où le voisinage forme une micro-société ; tout le monde se connaît, se côtoie, s’invite. Budapest ou un petit village de campagne, cela importe finalement peu.
Pourtant, malgré le charme du résumé, l’opposition entre les deux personnages principaux, l’atmosphère secrète et légèrement surannée du récit et le final dramatique en partie révélé en préambule, je n’ai pas su apprécier convenablement cette histoire que j’ai dû survoler de trop nombreuses fois pour être acceptable.
Tout d’abord, et ce point est impossible à éluder tant il a noirci ma lecture, j’ai absolument détesté la folle Emerance. Son aigreur, sa misanthropie, son absolu égocentrisme auraient pu me la rendre attachante, intéressante, mémorable. Vous savez comme j’affectionne les personnages impossibles à aimer. Si entre elle et moi cela n’a pas fonctionné c’est surtout parce que, tout au long du texte, la narratrice, et l’auteure, persistent à nous la faire passer pour tout autre que ce qu’elle est. Il paraît que sous ses airs d’ignoble sorcière acariâtre se cache un être tendre, humble, généreux et bienveillant. Malheureusement, il ne suffit pas de le dire pour le croire, alors, au lieu de planter cette vérité dans la bouche des voisins, il aurait été préférable de faire agir et parler Emerance en conséquence.
Ce qui a achevé de me la rendre définitivement mauvaise, c’est la relation qu’elle entretient avec ce pauvre chien Viola, qui est assez proche d’une forme de maltraitance non avouée. Et là, je dis non. Vous aurez beau tenter de me persuader qu’au fond, oui, au fond, bien au fond, Emerance est la bonté incarnée, une main levée sur un animal entérine mes soupçons. Qui plus est, son attitude envers la jeune femme qui l’emploie est déplorable de mauvaise foi, haine sans motifs, jalousie et avilissement. Malgré son irremplaçable qualité de domestique hors pair, Emerance est un être malheureux, froid, éternel contestataire qui, de plus, ne s’assume pas.
Le roman de Magda Szabó est une étrange et insupportable démonstration d’un tour de prestidigitation consistant à aveugler les autres en leur faisant croire l’inverse de ce qui est l’évidence même. Ainsi, Emerance, ayant bien compris les rouages de son pouvoir de séduction, se délecte-t-elle de torturer sa proie, la rendant à moitié folle en n’ayant jamais le comportement attendu. Perverse ? Oui, cela ne fait pour moi aucun doute.
Le second problème vient de mon incapacité à me représenter cette narratrice, pourtant omniprésente, qui, paraît-il, est une écrivain à succès. La pauvre jeune femme est alors dessinée dans l’ombre de son statut de victime ; elle n’est plus que cela : la malheureuse partenaire de jeu d’Emerance. Son libre-arbitre n’est plus, son rôle d’épouse passe bien après, quant à son activité littéraire, c’est tout juste si on la voit écrire une ligne. Dès lors qu’elle a accepté d’embaucher la vieille dame, elle avait signé son arrêt de mort, la fin d’une existence libre, innocente, discrète. J’ai oscillé entre une immense peine et une indifférence totale face à sa situation ; il lui était pourtant si simple de mettre un terme à ces échanges toxiques, au lieu de cela elle s’y enfonce et s’y complaît. La compagnie d’une rombière venimeuse vaut sans doute mieux que celle d’un mari aux petits soins.
Si la majorité de ce texte se sera révélée, pour moi, ennuyeuse et franchement décevante, j’ai retrouvé un regain d’énergie dans la dernière partie ; sûrement parce qu’elle décrit la déchéance d’Emerance, et je mentirais en niant le plaisir éprouvé à sa lecture. La décrépitude d’une icône injustement célébrée a de quoi réjouir ceux qui ont très tôt vu à travers son masque.
Il semblerait pourtant que mon expérience de lecture ne soit pas partagée par une grande partie des lecteurs, qui ont vu dans l’union entre ces deux femmes l’exemple d’une honnêteté intellectuelle, une forme revisitée de relation maître-élève, où fascination et tendresse se croisent. L’auteure dit à de nombreuses reprises cet attachement incompréhensible, mais son acharnement à rendre Emerance odieuse et vile manipulatrice fait passer l’amour de la plus jeune envers l’autre pour une pleine réussite de la manœuvre persécutrice de la domestique. Ou comment mettre patiemment à sa botte quelqu’un sans ne jamais dévoiler ses intentions. Quant à cette porte, je n’ai décidément pas compris son rôle…
Et vous, avez-vous lu ce roman ? Connaissez-vous cette auteure ?
Et bien moi, j’aime beaucoup ta critique, bien que négative. Même si je n’aime pas écrire les critiques négatives, j’adore les lire 🙂 . C’est un peu de ma faute tout ça, car je t’ai très mal conseillé 🙁 . En tout cas, merci pour ta participation… 🙂
Hi hi ^^ Franchement, cette histoire aurait vraiment vraiment pu me plaire, le pitch était sympa comme tout donc je ne peux pas t’en vouloir, et puis c’est le jeu ! Tu l’as lu ce roman toi ?
Non, mais quand tu m’avais demandé mon avis, j’ai fouillé dans ma bibliothèque et je n’ai trouvé que des livres extrêmement sombres, alors je me suis dit que cela n’allait pas te plaire et comme j’ai entendu beaucoup de bien de cette porte…
Oh ! Mais j’aime les livres sombres moi
C’est vrai que La Porte a reçu des avis plutôt positifs.
Dans mes bras! J’ai trouvé ce roman (qui d’ailleurs n’en est pas un) insupportable!
Haaa ! Merci Valérie ^^ Je me sens moins seule !
Salut Corentine, tout d’abord merci pour ce billet :-). Pas de soucis, on a le droit de ne pas aimer un livre quand c’est bien étayé ! Je n’ai jamais lu Magda Szabo, je ne peux donc me prononcer. Sur ce titre en particulier, j’avais lu de nombreux avis positifs – et en général, je crois pouvoir dire que c’est l’auteure qui revient le plus dans ce mois de l’Europe de l’Est. Peut-être y-a-t-il un autre livre d’elle qui te plairait plus (je pense à La ballade d’Iza par exemple)
Coucou Patrice, merci pour ton commentaire ! Je retenterai peut-être de lire cette auteure, à l’occasion… 🙂
[…] La Porte, de Magda Szabó (3) (Un fil à la page) […]
Merci pour cette chronique ! Je me sens un peu moins seule.
Je viens de publier mon billet, je n’ai pas du tout aimé ce livre.
Je pensais pourtant que j’allais adhérer.
Parmi mes amies, certaines l’aiment beaucoup, d’autres non. Je rejoins donc ce dernier camp.
Impossible d’imaginer les décors, les personnages et impossible pour moi de croire à cette histoire.
Et le mystère… mais il n’y a pas vraiment de révélation ! ça m’a finie, ça !
Je suis allée jusqu’au bout pour pouvoir en parler avec mon club de lecture, mais j’ai l’impression d’avoir perdu le peu de temps de lecture que j’ai… 🙁