Mille femmes blanches de Jim Fergus, c’est un titre qui me suit depuis plusieurs années, souvent aperçu, jamais fait mien, et pourtant il avait de quoi intriguer. Et puis, France Loisirs est passé par là et sa superbe édition a fait le reste. Me voici embarquée sur les terres américaines de la seconde moitié du 19e siècle en compagnie d’une tribu Cheyenne…
1875. Little Wolf, un chef Cheyenne, demande au président Grant de lui faire présent de mille femmes blanches, afin de les marier à ses guerriers, dans le but de favoriser l’intégration. Grant accepte le marché et envoie les premières femmes dans les contrées reculées de Nebraska, la plupart « recrutées » sous la contrainte.
Mon avis
Eh bien, je peux vous dire que ça faisait belle lurette que je n’avais été autant dépaysée par une lecture. Ayant été contrainte de lire cette histoire de manière sporadique, par bribes de quelques dizaines de minutes, chaque instant passé en compagnie de May Dodd était une vague d’air frais en pleine figure. Les grands espaces m’ont inspirée, j’ai moi aussi sillonné les plaines et les reliefs à cheval, vêtue d’une peau de bison, le visage grimé et l’arc en bandoulière. Tableau qui fait sourire, que l’on croit tout droit sorti d’une bande dessinée ou d’un banal western.
S’il y a un peuple que, pourtant, j’avais relégué bien loin dans mes centres d’intérêts, ce sont les indiens d’Amérique. Leur histoire, je ne la connais pas. Aussi, pénétrer un récit de cinq cents pages narrant les péripéties d’une tribu Cheyenne avait de quoi susciter chez moi une certaine appréhension.
Mais replantons le contexte. Nous sommes en 1875, le gouvernement a passé un pacte avec les indiens en vue d’apaiser les tensions entre les deux peuples. Il s’agit de faire naître de futurs compatriotes au sang mêlé, élevés par des américaines blanches et « pures ». Tout ceci pour occidentaliser les « peaux rouges », leur enseigner la foi chrétienne, les us et coutumes des blancs ainsi que leur langue, eux qui baragouinent un charabia. Beau programme, légèrement malsain et que l’on devine peu viable, mais enfin. Ainsi May Dodd, internée de force dans un asile parce qu’elle fréquentait hors mariage un homme de basse condition, se porte volontaire, en trafiquant quelques documents. Tout vaut mieux qu’une existence condamnée entre les murs grisâtres d’une cellule. Elle se lance à corps perdu, insouciante et optimiste, dans l’aventure qui changera sa vie.
C’est à travers ses multiples carnets que nous découvrons le voyage qui la mènera au camp puis son installation, son mariage avec le chef de la tribu et son quotidien de troisième épouse. Accompagnée d’autres femmes, délinquantes, aliénées ou pauvresses, elle raconte, avec une simplicité de ton déconcertante, sa première année dans la peau d’une Squaw.
« Malgré son étrangeté sauvage et ses difficultés, notre nouveau monde me semblait ce matin-là d’une douceur indicible ; je m’émerveillais de la perfection et de l’ingéniosité avec lesquelles les natifs avaient embrassé la terre, avaient trouvé leur place dans cette nature ; tout comme l’herbe du printemps, ils me semblaient appartenir à la prairie, à ce paysage. On ne peut s’empêcher de penser qu’ils font partie intégrante du tableau… »
Cette femme m’a immédiatement éblouie. Elle avait pour elle un passé douloureux, une situation scandaleuse, et une exclusion injuste de la société et de sa propre famille (ses deux enfants lui ont été arrachés des bras). Forte et fière, pourtant, au lieu d’opter pour un abattement de confort, elle luttera, sans cesse, pour que le mot « liberté » ait un sens dans sa vie. Et cette liberté passera d’abord par une forme de soumission, au gouvernement américain, et aux indiens ensuite.
Mais bien vite, pourtant, May Dodd, par sa perspicacité, son humanité, sa clairvoyance et sa neutralité, découvre dans ses frères et sœurs à la peau mate une autre forme de société ; plus juste, plus évidente, plus paisible. Ne craignant rien, cette jeune femme s’affirmera dès les premiers instants de vie dans cette communauté. Elle parlera haut et fort au nom d’elle-même, puis des femmes blanches du campement, puis enfin de toute la tribu. Imposant sa féminité, sa liberté, sa pensée et son droit au désaccord, May Dodd devient la figure d’une résistance souple et tolérante. Elle accepte cette nouvelle vie, mais elle se battra pour que toujours soit respecté ce qu’elle est : une volontaire avec un passé qui jamais ne s’effacera.
May Dodd est époustouflante. En femme moderne, avant-gardiste même, elle adopte un langage cru, sans tabou ni langue de bois. Elle raconte, dans des lettres adressées aux êtres aimés du futur, son quotidien dans ses plus insolites, ou sordides, détails. Non sans humour, non sans maladresse parfois, elle prend une certaine distance avec ce qui lui arrive ; examinant cette drôle de condition à l’opposé de sa vie d’avant (avant l’internement) avec stupeur et fantaisie. Elle dit tout, et sans doute jamais n’aurions-nous pu mieux appréhender les Cheyennes. Mais ici ce n’est que fiction, ne l’oublions pas.
L’auteur, en donnant la parole à cette jeune femme, que l’on envierait presque, mêle épopée intime et récit historique dans une fantastique aventure, grandiose et rare. Son héroïne est à la hauteur de l’épreuve : vigoureuse, authentique et vaillante. Une vraie héroïne qui possède toutes les qualités nécessaires pour réussir sa mission. Nul autre scribe n’aurait pu faire aussi remarquable travail de retranscription.
Gravitent autour de la jeune femme des figures non moins méritantes, non moins intrépides. Ce sont des femmes exclues de la société conformiste des grandes villes américaines, qui trouvent ici, auprès d’époux dont elles ne comprennent pas le langage, des hommes tolérants et étonnamment malléables. La seule noire du groupe devient d’ailleurs une sorte de déesse ; sa peau sombre, ici, fascine au lieu d’effrayer. Quelle ironie que de voir ces « rebuts » dont personne ne voulait la compagnie devenir des épouses fidèles et de futures mères épanouies. Quelle joie que leurs personnalités soient préservées, voire même célébrées. Au milieu de l’arène végétale, au cœur d’un village de tipis, affublées de vêtements folkloriques et colorées, ces femmes s’éveillent et se révèlent. Elles m’ont bouleversée à de multiples reprises par leur simplicité et leur amitié, gratuite et solidaire, façonnée dans l’étrangeté de leur situation.
Les anecdotes relatées par May Dodd s’alignent comme sur un collier de perle ; tantôt dramatiques, tantôt amusantes ou émouvantes, elles ont le parfum du véritable. Et jamais nous ne mettrons en doute la parole de May, si spontanée et attendrissante. L’auteur semble confier sa plume à son personnage, à un point tel que le fictif du texte tremblote ; c’est criant de réalisme pour n’être qu’inventé. La gymnastique intellectuelle est diablement bien exécutée. Concernant l’ancrage historique – le président Grant a-t-il véritablement établi un tel pacte ? – il est difficile d’en être fixé, les faits sont brumeux. Mais qu’importe, ce texte ne souffrirait d’aucune approximation, il est bien au-delà de toute quête de vérité historique.
Mille femmes blanches est une fresque féminine, sensible et audacieusement immersive dont nous aurions certainement de nombreuses leçons à tirer. Ni tout blancs, ni tout noirs, les humains oscillent de façon permanente ; incessant ballet, individuel ou collectif. Le danger n’est jamais d’un seul côté, cette histoire nous l’aura rappelé. Ce roman ne célèbre finalement qu’une seule chose, c’est simple mais jamais inutile d’en faire l’apologie : la liberté, la vraie ! Après avoir tourné la dernière page, la gorge nouée, les larmes proches, il m’a fallu ouvrir la fenêtre, inspirer profondément et me féliciter de vivre.
Et vous, connaissez-vous ce roman ? ou d’autres mettant en scène les indiens d’Amérique ?
Je l’ai lu et je l’ai adoré. Il y en a un autre, une suite, je crois ?!
Exactement, il s’agit de La vengeance des mères paru en 2016 🙂
je l’ai lu il y a longtemps. C’était un cadeau. Je n’en avais jamais entendu parlé, mais j’avais été agréablement surprise.
je ne savais pas qu’il y avait eu une suite…une prochaine lecture? (il est bien aussi?)
Je lirai la suite dès que possible, ça oui 😀 !
C’est vraiment un superbes personnages que cette May Dodd. Son passé si cruel lui donne une consistance très particulière. Sans être totalement déçue, j’ai trouvé la suite moins éblouissante, plus traditionnelle.
J’ai lu pas mal de romans relatifs aux Amérindiens, un des plus beaux est sans doute « Comme des ombres sur la terre » de James Welch, infiniment triste.
Ha, les suites sont toujours moins bien de toute manière 🙂 Je la lirai quand même, simplement pour retrouver certains personnages !
Je ne connais pas le livre dont tu parles, je vais aller voir ça !
Ce que tu dis est juste totalement émouvant alors que je n’ai jamais lu le livre, mais tu transmets ton amour pour ce livre de manière toujours excellente ! Donc je pense que demain je vais encore aller faire un petit tour dans ma librairie c’est pas comme si j’y allais tous les jours, et puis j’ai bien envie de découvrir cette période un peu inconnue. Surtout que j’ai adoré The new World l’histoire de Pocahontas.
Oui, fonce ! Je t’y encourage vivement, tu ne le regretteras pas 😀
Tu me donnes clairement envie de me précipiter sur ce titre !
C’est tout ce que je souhaitais ^^
Quand un roman parvient à te faire ressentir ce genre d’émotions, ce n’est jamais anodin. Je n’entends que du bien de ce roman qui semble nuancé et complexe, je me le garde bien précieusement. Merci pour ton avis ^^
Oui garde-le au chaud 😉
Quel souffle, dis-moi. Ca fait, bien sûr, partie des livres que j’avais déjà croisés sur mon chemin mais je ne me suis jamais arrêté pour le lire. Tentant et fort !
Pour les autres livres traitant des indiens d’Amérique, j’avais une fois noté Joseph Boyden – Dans le grand cercle du monde – mais pas encore lu.
Un peu différent, Le fils de Philipp Meyer bien sûr
Je ne connais aucun des 2 🙂 merci ! Et si tu as l’occasion de lire Mille femmes blanches, fonce !
Chic, il est dans ma PAL. Ton billet me donne envie de le sortir vite.
Vite vite vite !
Le 2e tome est tout aussi dépaysant, j’ai replongé avec plaisir dans les aventures de ces femmes : mon coup de coeur lecture du mois 🙂
Bienvenue ici Aurore ! Je vais vite me procurer la suite alors, j’ai trop hâte de revivre de formidables aventures indiennes 😀
Ce qui m’a posé problème dans ce roman, c’est qu’on me l’a vendu comme une histoire vraie et que ça ne l’est pas du tout.
Ha oui, je comprends ta déception. C’est dommage que tu sois passée à côté à cause de ça.
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