Dans l’ombre du viaduc m’a été envoyé par les Éditions Intervalles après que l’auteur lui-même m’a très gentiment proposé de le lire. Acceptant rarement les services presse (non pas que j’en reçoive des dizaines chaque mois), j’ai cette fois-ci accueilli favorablement la proposition, séduite par une quatrième de couverture alléchante et par le fait qu’il s’agisse d’un premier roman. Quitte à faire la critique d’un livre par le biais d’un SP, autant qu’elle soit profitable à un auteur encore méconnu.
Espagne, 1957. Arnaud Madrier séjourne à Teruel, un petit village d’Espagne où, durant la guerre civile quelque vingt ans plus tôt, son père engagé dans les Brigades internationales a mystérieusement disparu. Si ce voyage représente pour le jeune ingénieur français une chance de comprendre enfin ce qu’il s’est passé, très vite sa venue dérange la petite communauté locale et ranime les cendres mal éteintes des évènements dramatiques qui se sont joués autrefois.
Mon avis
Arnaud a été engagé pour une mission d’ordre professionnel en Espagne ; mission durant laquelle il rencontre Paco, lequel lui propose de l’emmener dans son village natal, Teruel, le temps des ferias. Teruel héberge en outre un brin de sa propre histoire familiale, puisque son père est supposé y avoir perdu la vie durant la guerre civile. Arnaud fait la connaissance du père de Paco, un ancien combattant nerveux qui refuse l’installation de ce « fils de Madrier » dans son foyer, même pour quelques jours. Le vieil homme s’enferme dans sa chambre, se tait et lance un ultimatum à son fils Paco : l’étranger doit déguerpir au plus vite. Étranger, Arnaud l’est bien vite dans ce petit village pittoresque. Ce ne sont pas seulement ses origines françaises qui ôtent toute sympathie aux autochtones à son égard, c’est, semble-t-il, un obscur passé, honteux et malfaisant, porté par le fantôme de son père dont le corps reste introuvable. Où et comment est-il mort ? Quelles sont les circonstances de sa disparition ?
Dans l’ombre du viaduc installe une intrigue d’après-guerre civile, à l’heure des règlements de compte, de la vengeance et des ultimes questions. Les descendants sont trop bavards et piétinent un territoire qui n’est pas le leur. Ainsi, les villageois s’acharnent-ils à les faire taire à tout prix pour ne pas que ressuscite un mal si long à enterrer. Que des fils de républicains côtoient des fils de nationalistes a déjà été bien difficile à concéder ; qu’un étranger vienne donner un coup de pied dans la fourmilière et c’en est fini des bonnes résolutions pacifiques. Il en faut peu pour réveiller les acrimonies. Certains ont la rancune facile, et le coup de poing élastique.
En somme, ce roman s’inscrit dans un genre plutôt classique ; quand les secrets de famille prennent racine dans les drames d’une plus vaste histoire, celle d’un pays tout entier tentant de se reconstruire. Où l’on pénètre les failles d’une atmosphère faussement relâchée, les tensions toujours vives bien que camouflées par des saluts amicaux, la peur persistante de l’autre. Alain Delmas parvient à restaurer, en historien, les luttes intestines d’un peuple pas tout à fait remis de ses atrocités, en invitant un fouineur indésirable.
L’ambiance chaude de cette Espagne joyeuse et festive des années cinquante porte copieusement le récit. Au cœur des lâchers de taureaux, dans une arène de corrida, devant un plateau de tapas et un verre de sangria, les personnages alertes et plutôt grandes-gueules de cette histoire se frôlent et se cherchent avec toute l’impétuosité du tempérament ibérique. Les coups de foudre et les coups de sang imposent un rythme vif et emporté, on se bagarre comme on s’aime à l’ombre du viaduc imposant à la légende pourtant tragique. Tout va très vite ; entre Arnaud et Paco on assiste à la parade de deux coqs, autant amis que rivaux, ils s’adorent et se détestent. Quand la somptueuse Inès jette son dévolu sur l’exotique blanc, l’autre s’en mord les doigts. Arnaud, pourtant malheureusement engagé ailleurs, se noie dans les yeux noir ébène d’Inès, prêt à tout sacrifier pour sa belle, son honneur et sa santé.
On découvre petit à petit, à coup de lettres mouillées, de photos déchirées, d’aveux alcoolisés, la vérité autour de la mort du père d’Arnaud. Mais puisque toutes les histoires finissent par s’imbriquer, le jeune Paco ne sera pas simple spectateur, devenant même la première victime des indiscrétions soulevées par la simple présence de son camarade. Il était temps pour lui que tout se sache. Là où se cache la vérité il y a toujours du malheur.
J’ai parcouru cette intrigue, rondement menée, sans temps morts et à l’atmosphère espagnole ensuquée et lourde avec grand plaisir ; désireuse de connaître le fin mot de l’histoire qui, malgré pourtant le peu de voies annexes offertes, ne s’est pas facilement laissée deviner. J’ai enfilé les pages, appréciant au passage la qualité de la plume, sobre mais soignée comme je les aime.
Je regretterai peut-être l’enchaînement trop empressé des évènements, le peu de place laissée à la réflexion et aux doutes tandis que toutes les motivations des personnages ne sont pas éclairées (le rôle du clochard m’est assez flou). L’auteur a étalé une histoire complète avec la vigueur et l’enthousiasme d’un premier roman. Sans doute quelques ralentis dans le récit n’auraient pas été de trop. À l’inverse, la scène de corrida, immersive à souhait et largement documentée, occupe un espace trop vaste en comparaison de la résolution de l’intrigue qui, elle, se fait précipitée. De plus, le personnage principal aurait mérité un portrait plus doux pour me le rendre sympathique ; le placer trop rapidement dans la position de l’infidèle ne m’a pas aidée à m’en faire un ami. J’ai préféré la fragilité et l’instabilité de Paco ; plus humain il m’a davantage émue. Tous deux se livrent bataille pour la place de héros.
Ravie d’avoir découvert un roman de caractère fleurant le soleil, la terre et le sang, je vous recommande chaudement Dans l’ombre du viaduc, premier roman réussi racontant une histoire authentique et tragique appréciable de tous les amoureux de récits terriens et picturaux. Ici, la simplicité d’une quête de vérité alliée à une réalité historique vous offrira un moment de lecture des plus agréables.
Et vous, est-ce le genre de récit qui vous attire ?
Je dirais, ni oui ni non… Je ne sais pas, mais ton article donne envie. Sympa d’avoir était contacté par l’auteur. Je le suis aussi parfois, mais je n’ai encore jamais accepté. Belle journée à toi.
Oui, c’est toujours agréable d’être contactée directement par l’auteur plutôt que par l’éditeur 🙂 Bonne soirée à toi !