Après Nymphéas noirs, voici une nouvelle histoire sur fond de peinture, flamande cette fois-ci, mais d’un tout autre genre littéraire. Je me suis procuré ce livre après m’être arrêtée dessus en librairie, sa jolie couverture épurée ayant attiré mon regard. Je l’avais vu passer quelques fois sur certains blogs, mais c’est en lisant la quatrième de couverture que je me suis décidée. En effet, celle-ci laissait présager une folle aventure rocambolesque, le récit d’un destin dans lequel un tableau aurait vraisemblablement un rôle important à jouer, de quoi susciter tout mon intérêt.
C’est un minuscule tableau de maître. Un oiseau fascinant. Inestimable. La raison pour laquelle Theo Decker, 13 ans, s’est retrouvé en possession de ce chef-d’œuvre de l’art flamand est une longue histoire… Un hasard qui, huit ans après ce jour tragique de pluie et de cendres à New-York, l’obsède toujours autant. Des salons huppés de Manhattan aux bas-fonds mafieux d’Amsterdam ou de Las Vegas, Le Chardonneret surveille l’effroyable descente aux enfers de Theo et préside à son étrange destin…
Mon avis
Tout d’abord, et je reviendrai dessus, si vous prévoyez de lire ce roman, attendez-vous à devoir y consacrer un certain temps, puisque c’est un gros morceau de 1100 pages que vous aurez à engloutir. L’épaisseur du livre ne m’a guère inquiétée au premier abord, au contraire même, puisque à ce moment-là j’avais envie d’un récit détaillé, immersif et intense. Je pensais avoir trouvé l’objet idéal pour assouvir mon besoin.
Néanmoins, très rapidement il m’est apparu que l’auteure s’enfonçait dans un excès narratif, non pas dans la description ennuyeuse de détails, mais dans la narration pure des événements. Tout débute par la scène initiale qui s’est étalée sur plusieurs dizaines de pages, me laissant dans l’attente d’un réel commencement à l’histoire, jusqu’à ce que je me rende compte que j’étais en plein dedans. En effet, le récit de la manière dont le personnage principal, Theo Decker, se retrouve en possession du fameux tableau de Fabritius, Le Chardonneret, est extrêmement long, presque sans fin, et c’est peu de le dire. J’ai eu du mal à situer cette scène dans l’histoire plus globale, avant de réaliser qu’elle en est tout simplement l’introduction, dans laquelle de nombreux tentacules vont s’extraire. Je dois vous avouer que j’ai été un peu hérissée et désappointée par cette entrée en matière, puisque à ce moment-là de ma lecture il me restait quelque 1000 pages encore à parcourir. Pour autant, malgré sa longueur démesurée, cette scène tragique a su m’interpeller et m’attendrir car elle donne aux lecteurs les éléments cruciaux qui permettront de comprendre le reste du récit. Ainsi, Theo et Le Chardonneret se sont retrouvés liés dans des circonstances dramatiques, dont les échos se répercuteront jusque dans les strates les plus infimes de l’existence du héros.
Le Chardonneret est un récit écrit à la première personne, le lecteur avance au côté de Théo, le suit de très près depuis ce jour dramatique, où il était alors âgé de 13 ans, jusqu’à ses 27 ans. C’est en apparence un roman d’apprentissage, nous narrant une suite de choix, de décisions, de rencontres, et des conséquences qui s’ensuivent. Théo a connu des années d’errance, de perdition. Ainsi, c’est effectivement bien à une lente descente aux enfers à laquelle nous assistons, totalement impuissants. J’ai eu bien souvent l’impression que chacune de ses décisions était prise de manière totalement éclairée par Theo, le rendant finalement pleinement acteur de sa propre existence, qui part en lambeaux certes, alors que j’aurais dû éprouver un sentiment opposé en le positionnant en victime d’un mécanisme inébranlable. Mais, cette proximité avec le personnage principal, le fait que l’on soit totalement intégré dans son système de pensée, nous le fait apparaître à travers une intelligence toute rationnelle où les émotions n’ont que très peu leur place.
Au sujet des émotions justement, je dois dire que je n’en ai guère ressenties durant ma lecture. Effectivement, j’ai été touchée par le destin de ce jeune garçon qui, du jour au lendemain, se retrouve orphelin, comme j’aurais pu l’être pour n’importe quel enfant. Néanmoins, je ne me suis à aucun moment sentie concernée par son histoire; de là en a découlé une absence d’empathie laissant un creux là où auraient dû se déployer les émotions. J’ai suivi Théo de près certes, dans ses actes, dans ses choix, car telle était la volonté de l’auteur, mais cela n’a pas empêché une immense distance affective me rendant le héros totalement étranger à moi-même. L’écriture à la première personne a ainsi perdu de son intérêt, pour s’effacer derrière un personnage complexe, insaisissable, lointain. Pour autant, je n’ai pas ressenti cet agacement, ni ce sentiment d’étouffement, qui avaient toutes les chances de naître dans de telles circonstances. Car finalement, dans son malheur Théo ne se plaint guère, il réfléchit, agit, puis assume, ou plutôt subit. Il semble accueillir ses infortunes avec un détachement qui, pour le coup, m’a permis de ne pas me sentir étouffée par une introspection irritante. Il glisse dans sa destinée sans rébellion. Je n’ai pas ressenti l’envie de le retenir, comme si de toutes manières les dés étaient jetés dès la premières page, et c’était peut-être effectivement le cas.
J’en viens maintenant au fond du récit, à ce qui l’extrait du trop banal, du récit monotone d’un orphelin devenu drogué par la force des choses. Car, ce que décrit Donna Tartt avec application, c’est que tout ce qui se joue dans la vie de Théo Decker, cette succession de déconvenues, de dérapages, de déceptions, de rencontres, tout ce qui constitue une existence en somme, se trouve à l’état embryonnaire dans un instant crucial, celui que l’auteur nous décrit dans son intégralité au début du livre et qui m’a passablement irritée, lorsque Théo perd sa mère en même temps qu’il se retrouve en possession d’un tableau inestimable du 17ème siècle. C’est comme si l’on pouvait, à la simple lecture des cent premières pages, prévoir ce que serait le devenir de ce jeune garçon. Car, si l’on prend le temps d’y réfléchir, chaque événement important de sa vie trouve ses racines les plus profondes dans cet instant de basculement total. Ce sont donc uniquement des conséquences que nous décrit l’auteure dans ce roman, chaque choix s’inscrit finalement dans une logique née d’une tragédie. Et ici nous ne pouvons échapper au débat entre libre arbitre et déterminisme; Le Chardonneret étant plutôt une belle démonstration en faveur du second, malgré quelques écarts nous laissant croire que Théo agirait de manière totalement libre. En réalité, c’est une question d’interprétation personnelle. J’ai pour ma part lu ce texte de cette manière-ci, ne cessant de me raccrocher à la fameuse scène initiale, qui resurgit fréquemment dans le récit en continuant de hanter le protagoniste et dans laquelle l’on trouve tous les éléments de sa destinée.
Le Chardonneret a été une lecture harassante, épuisante. Loin d’être une partie de plaisir, elle a nécessité des efforts de ma part pour en arriver au bout. Je n’ai cessé d’hésiter à refermer le livre tant le récit traînait en longueur. Disons qu’il est en dents de scie inégales, avec de grosses périodes de creux suivies de rebondissements bienvenus. Les premières représentent de longues chutes libres dans la vie du héros, marquées principalement par des excès d’alcool et de drogue. Ces passages sont redondants dans le texte, la drogue s’immisçant petit à petit dans le quotidien de Théo jusqu’à devenir omniprésente. Malheureusement, cet élément, trop exploité, a alourdi un récit déjà traînant. La déchéance dans les psychotropes est un filon trop évident, un recours trop simpliste, utilisé maintes fois dans la littérature américaine contemporaine. Ceci donne au roman, associé à d’autres éléments comme la relation particulière unissant Théo à Boris, un aspect qui m’a fortement déplu car propre au genre de romans que je déteste, mettant en scène l’étudiant américain lambda par excellence, intellectuel mais pas trop, dépendant à toutes sortes de substance, aux amitiés débridées et aux idéaux un peu trop réactionnaires.
J’en viens à vous parler de la palette des personnages. Le seul qui a réussi à attirer mon attention est Hobie, l’ange gardien de Théo, dont le refuge se trouve au milieu des meubles anciens qu’il retape nuit et jour, et qui se démarque par sa personnalité moins artificielle, plus discrète et moins mélodramatique que les autres; droit dans ses chaussures et cohérent dans son rôle, ce personnage m’a beaucoup plu. Il est en marge de la vie de Théo, mais représente la seule figure de stabilité, un père de substitution à celui défaillant de son enfance. A côté de lui, évolue tout une horde de personnages ennuyeux au possible car peu originaux dans leurs couleurs, se complaisant dans le trop; la névrosée Mrs Barbour, la délurée Kitsey ou le désaxé Boris formant le trio de tête.
Je dois dire que ce qui m’a tenue en haleine dans cette histoire est davantage le destin du tableau de Fabritius que les aventures de Théo. J’ai trouvé astucieux le parallèle, ou plutôt l’étroite imbrication entre les deux parcours, celui d’un objet d’art mondialement recherché et celui d’un jeune garçon à la dérive. Et, s’il n’y avait eu le tableau de l’oiseau pour apporter du relief au périple de Théo, ainsi qu’une réflexion de fond sur l’Objet d’art en tant que tel, ce qui le lie à son possesseur, le livre aurait certainement été d’une cruelle banalité.
Par certains côtés Le Chardonneret est séduisant, je dois le reconnaître. Malgré un texte dépassant largement le nombre de pages qu’il aurait dû nécessiter selon moi, il faut bien admettre que l’auteure a été plutôt habile et persévérante, nous offrant un moment de lecture certes un peu trop long à mon goût, mais qui suit son cours en toute quiétude, et qui offre quelques réflexions pertinentes, notamment dans les toutes dernières pages, qui brillent par leur clairvoyance et la nouvelle perspective qu’elles offrent à l’histoire. C’est le genre de lecture marathonienne où, plus que de vitesse, c’est d’endurance dont doit faire preuve le lecteur. On ne peut ainsi qu’applaudir le travail de l’écrivain, certainement colossal, pour construire un tel récit. Néanmoins, Le Chardonneret ne saurait être un indispensable de vos bibliothèques, et en cela je ne peux guère vous le conseiller avec plus d’enthousiasme que ce qui émane de cet article.
Et vous, avez-vous entendu parler de ce roman ? Ou peut-être en avez-vous lu d’autres du même auteur ?
J’en ai entendu parler, mais rien de plus et maintenant grâce à toi je suis sûr de ne pas lire ce livre 🙂 Bonne année à toi !
J’aime bien le « grâce à toi » ^^ comme si je t’épargnais une corvée…Ce qui est un peu le cas avec ce livre il est vrai :/
Bonne année à toi aussi
J’ai lu « Le maître des illusions » avec beaucoup d’attentes, qui ont été déçues. Un pavé aussi, à la fin duquel je me suis dit : « tout ça pour ça ».
Ton bille me donne à penser que ce nouvel opus serait plus une épreuve qu’un réel plaisir. Donna Tartt s’obstine à écrire de très longs romans, peut-être n’est-ce pas ce qui convient le plus…
Exactement, « tout ça pour ça » est ce que je me suis dit en refermant ce livre ! Et il a été plus une épreuve qu’un plaisir, je confirme.
Donc, je pense ne jamais plus relire de roman de cette auteure…
Je pense passer mon tour pour celui là. J’ai le Maître des illusions dans ma PAL qui de prime abord me tente plus.
C’est vrai que le résumé de ce roman est plutôt tentant, mais je n’ai pas envie de laisser une seconde chance à Donna Tartt après avoir englouti plus de 1000 pages !