Voici un livre que je souhaitais découvrir depuis sa sortie en 2008. Avec un pareil titre il ne pouvait que susciter ma curiosité, d’autant plus qu’il a été écrit à quatre mains, et ceci est un point qui m’interpelle, car je me demande bien comment on peut coécrire un roman. Je l’ai feuilleté plusieurs fois sans jamais l’acheter. Je savais de toute manière qu’un jour il finirait par se retrouver en ma possession. C’est chose faite à présent. Mais cette longue attente a-t-elle été récompensée ?
Janvier 1946. Tandis que Londres se relève douloureusement des drames de la Seconde Guerre mondiale, Juliet Ashton, jeune écrivain, compte ses admirateurs par milliers. Parmi eux, un certain Dawsey, habitant de l’île de Guernesey, qui évoque au hasard de son courrier l’existence d’un club de lecture au nom étrange : « Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates »… Passionnée par le destin de cette île coupée du monde, Juliet entame une correspondance intime avec les membres de cette communauté. Et découvre les moyens fantaisistes grâce auxquels ces amis bibliophiles ont résisté à l’invasion et à la tragédie. Jusqu’au jour où, à son tour, elle se rend à Guernesey. Pour Juliet, la page d’un nouveau roman vient de s’ouvrir, peut-être aussi celle d’une nouvelle vie…
Mon avis
Si je ne devais dire qu’une seule chose à propos de ce livre, c’est qu’il est un joyeux foutoir. Cet aspect m’a rapidement sauté aux yeux ; il est fouillis, brouillon. Cela pourrait en partie se justifier par son caractère épistolaire, car en effet, il est constitué uniquement de lettres et de quelques télégraphes. Nous avons de plus un nombre de personnages impressionnant, ce qui rend le suivi des évènements plus que difficile à certains moments. Nous suivons à travers une lettre l’avancée d’une histoire, pour repartir sur une autre, et ainsi de suite. Etant une lectrice plutôt assidue, je constate malgré tout que je me suis facilement emmêlée dans le tas d’informations disparates qui nous est transmis ; retenant péniblement les prénoms, et ne parvenant pas toujours à bien situer les personnages par rapport aux autres. Ceci est le point sombre de ce roman. Mais en même temps il est sa force et son caractère. Cet aspect désordonné, difficilement appréhendable au premier abord, est purement volontaire et est traité d’une manière telle, que le lecteur ne peut que se prêter au jeu. Après tout, notre personnage principal, Juliet, n’a guère plus d’informations que nous et parvient pourtant à intégrer ce qui doit l’être.
La difficulté pour un roman épistolaire, et je l’ai vite constaté, consiste à installer correctement la situation initiale. Une lettre, dans tout ce qu’elle comporte de confidences et d’intimité, fait souvent l’impasse sur les répétitions, qui s’avèrent inutiles au destinataire, et est donc toujours voilée de mystère et d’une grosse part d’inconnu pour tout lecteur extérieur à la relation. L’expéditeur transmet des choses au destinataire qui s’inscrivent dans la continuité des échanges précédents, mais qui nous sont méconnues. Cela nous ramène au premier point concernant la difficulté que j’ai éprouvée à bien me situer.
Dans le fond, je vais être honnête, ce roman est indescriptible, tant il aborde de thèmes divers. Mais que voulez-vous, le principe d’une lettre, surtout à cette époque, est de fournir le plus d’informations possible. Donc, en assemblant des dizaines de lettres, et malgré toute la bonne volonté du monde, beaucoup de détails passeront à travers l’attention du lecteur.
L’histoire est ainsi centrée sur Juliet, écrivain à succès, qui, par un heureux hasard, va découvrir la vie d’une petite communauté vivant sur l’île Anglo-Normande de Guernesey, à travers des échanges avec quelques-uns de ses habitants, tous membres d’un obscur cercle littéraire. Juliet va rapidement saisir l’occasion pour écrire son prochain livre qui portera sur le quotidien des habitants de Guernesey durant l’occupation allemande, notre histoire se déroulant en 1946.
Le problème selon moi, est que chaque personnage aurait mérité à lui tout seul un roman entier. L’auteure, ou plutôt les auteures, se sont efforcées de leur attribuer le plus de caractéristiques possibles, mais en quelques lettres ceci s’avère délicat. Et pourtant, elles sont parvenues à me faire apprécier toutes ces personnalités si singulières et à faire naître une frustration de ne pas en apprendre avantage.
Ainsi, tous les membres du cercle finissent par se livrer à Juliet à travers leurs lettres, en vidant leur sac, en piochant dans leur mémoire des évènements marquants afin d’exorciser de mauvais souvenirs. Le drame de la Guerre est traité avec un humour pinçant, sous le couvert des petites anecdotes qui ont parsemé le quotidien des insulaires, nous faisant oublier la dureté de leurs conditions durant l’occupation. Le contexte historique s’efface peu à peu, pour orienter le récit vers les liens unissant les personnages, leur solidarité peu banale et le fameux cercle littéraire, qui a été leur sauveur à tous. Les habitants de l’île me sont tous apparus extrêmement sympathiques, mais malheureusement il y a, selon moi, trop de personnages pour que les relations soient approfondies correctement. Elizabeth est, malgré son absence, le personnage centrale de l’île, gravée dans la mémoire collective, et dont Juliet va tâcher de mettre au jour le passé. Créatrice du cercle littéraire, elle a été déportée dans un camp de concentration et a laissé sa fille de quatre ans Kit auprès de ses amis, qui la couvent tendrement.
J’ai ressenti un attachement crescendo pour Juliet, car le lecteur avance au même rythme qu’elle en découvrant les lettres comme si elles lui étaient destinées. J’ai parfois eu envie de lui chuchoter à l’oreille quelques mots à glisser dans ses missives, des questions à poser aux habitants. Dans le même temps, nous suivons les aventures sentimentales de notre héroïne, qui ne sont pour ma part qu’anecdotiques en n’apportant rien à l’histoire. En effet, Juliet entretient une correspondance avec l’un de ses amants, correspondance qui parsème le récit de courtes lettres dont je me serais bien passé. Les habitants de Guernesey ont trop de choses à nous raconter pour que les histoires annexes se déroulant sur le continent nous interpellent. Les auteures ont peut-être été un poil trop ambitieuses, peut-être est-ce un des effets d’une écriture à quatre mains, mais la complexité du récit, apportant ce petit grain de folie charmant, peut frôler l’indigeste.
Ce livre aborde la force de la lecture à de multiples reprises, à travers des répliques très justes qui ont fait écho en la férue de lecture que je suis. En effet, chaque personnage a un lien plus ou moins étroit avec la littérature; qu’il travaille dans une maison d’édition, qu’il soit écrivain ou membre du cercle littéraire. Chacun va ainsi, à un moment donné, évoquer un livre qui l’inspire. Sans rentrer dans les détails, deux ou trois lignes seulement m’ont suffi à avoir envie de le lire (tout l’inverse de ce que je fais actuellement en écrivant cet article, vous constaterez).
Concernant la « fin », qui n’en est pas vraiment une puisque cela ne signe pas l’arrêt des lettres, mais marque une sorte de « dénouement », je ne vous gâcherai aucun plaisir en vous disant qu’il s’agit d’un merveilleux happy-end. D’ordinaire, les fins trop heureuses me déçoivent, mais celle-ci diffère des autres puisqu’elle s’inscrit dans la continuité parfaite du livre. Et puis, le fait que les évènements heureux finals soient relatés dans une nouvelle lettre par la personne directement concernée rend ceux-ci moins grotesques.
Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates est un roman amusant et divertissant, il ne se prend absolument pas au sérieux en nous présentant une histoire à la fois simple mais aux nombreux détails qui font mouche. La puissance de persuasion des lettres est exploitée à son maximum; et parvenir à réaliser un livre composé uniquement d’échanges écrits est un exercice hasardeux plutôt complexe. Le pari est réussi. Cependant, trop de personnages se voulant être atypiques, et des histoires annexes inutiles, viennent contrecarrer le plaisir initial. J’aurais souhaité que l’on reste concentré sur le cercle littéraire, plutôt que de nous inciter à explorer d’autres horizons. J’ai cependant apprécié cette lecture, j’ai été heureuse comme tout lorsque Juliet retrouve ses correspondants sur l’île, comme si moi aussi j’avais correspondu avec eux. Ce roman est un éloge de l’écriture et de la lecture, il m’a fait me souvenir du plaisir que j’avais étant plus jeune à envoyer des lettres et surtout à en recevoir. Plaisir qui se perd, à mon plus grand regret. Comment pourrais-je ne pas vous conseiller un livre qui aborde deux domaines qui me tiennent autant à coeur, tout en étant à la fois drôle et émouvant. A lire donc 🙂
Et vous, qu’avez-vous pensé de ce roman ? Avez-vous d’autres romans épistolaires à me conseiller ?