Nous sommes tous d’accord pour constater que la ligne éditoriale de ce blog ne suit aucune logique. Ainsi, me voici passant d’un roman plutôt feel-good à un récit mystico-historique à la Da Vinci Code, en passant par un classique polar. Jongler d’un genre à l’autre me permet d’en apprécier toutes les composantes et de plus difficilement me lasser. Je ne sais à quel moment j’ai décidé de partir en quête d’un roman du type que je vais vous présenter. Mêlant Histoire de France, ésotérisme, religion et grande aventure, il fait partie des ovnis de ce blog que je me plais tant à critiquer.
Janvier 1313. Andréas Saint-Loup, dit l’Apothicaire, découvre dans sa boutique une pièce qu’il avait oubliée… Il comprend que vivait là une personne mystérieuse, effacée de toutes les mémoires. L’Apothicaire, bientôt poursuivi par d’obscurs ennemis, accusé d’hérésie par le roi Philippe le Bel et l’Inquisiteur de France, décide de mener l’enquête. Le voilà sur les routes ; de Paris à Compostelle jusqu’au mont Sinaï, l’aventure sera longue et périlleuse.
Mon avis
L’Apothicaire est sans nul doute le genre de livre que l’on ne peut avaler l’air de rien, comme transition entre deux autres. Il se fait gentiment choisir, sa lecture n’est pas le fruit du hasard et ne sera faite que par ceux qui ont la motivation, le goût et la patience. Car, en plus d’un bond en arrière de plusieurs siècles, le lecteur subira l’assaut érudit d’un auteur passionné par ses sujets, de ceux qui ne figurent pas vraiment dans les livres d’Histoire. Comprenez, les zones un peu sombres du Moyen Age où la religion a tout pouvoir, où la magie noire n’est pas loin, où le crime se fait gratuit et sordide, où les livres sont encore des pièces rares qui fascinent et effrayent, où la médecine se pratique à coup de potions et autres décoctions mystérieuses.
Bienvenue dans un autre monde un peu sorcier qui, sous la plume de l’écrivain, devient le terrain de jeu d’une imagination florissante. Grande épopée, fresque mystique, thriller médiéval, récit à énigmes, texte initiatique, L’Apothicaire est un mélange de genres savamment dosés qui se laisse découvrir comme on ouvre un vieux grimoire : sentant la poussière, l’ouvrage nécessite un fin décryptage et l’on ne sait jamais ce qui nous attend à la page suivante.
Le lecteur est invité à suivre les aventures rocambolesques d’un héros hérétique, antireligieux, savant, gouailleur, misanthrope, libre penseur et fureteur. Andréas Saint-Loup m’a été aussi sympathique qu’il aurait été antipathique à son époque. Je les aime ces drôles d’énergumènes aux caractéristiques propres aux marginaux, la finesse d’esprit et l’art de la dialectique en plus. Ils font le récit à eux seuls ; les péripéties n’auraient pas la même saveur sans le piquant de leur conversation et leur talent pour extraire la substantifique moelle de chaque situation, tournant en imbéciles les têtes les mieux faites. À leurs côtés, les horreurs, les absurdités, les dangers sont des obstacles de cirque, bons à mettre en lumière leurs capacités.
L’inamical Andréas, dans sa fuite et sa quête, se fera accompagner de Robin, son jeune apprenti, sujet d’études idéal sur les tourments de l’adolescence. Tous deux seront rejoints par la belle Aalis dont nous suivons d’abord l’histoire en parallèle ; jeune fille maltraitée par ses parents, elle commet un meurtre qui la fera devenir l’ennemie numéro 1 de sa région. Ce trio improbable devra se cacher afin de passer inaperçu dans les villes qu’il traversera, du nord vers le sud donc. Mus par une détermination proche de la folie s’emparant des êtres se sachant condamnés, l’homme et les deux garnements partagent le but du premier. Andreas doit découvrir une vérité sur ses origines, un savoir qui met la royauté en transe et en ébullition. Cet apothicaire de malheur terrorise les hautes sphères politiques et religieuses, ce qui comble notre Andréas, obstiné trublion aux méthodes douces mais imparables.
Sur le chemin, ils seront plusieurs fois confrontés à leurs adversaires mais rencontreront aussi des amis, oracles d’un soir heureux de les guider pour le reste du voyage, sans jamais trop en dire. La voie est fumeuse, Andréas lui-même s’avoue parfois égaré, ne sachant ce qu’il cherche : un personnage, un livre, une idéologie ?, ni ce(ux) qui le poursuit(vent). On se plaît à le voir avancer dans la brume, lui qui place la Vérité au-dessus de tout. Peu naïf, il sera pourtant contraint de mettre ses certitudes de côté, délaissant la rigueur scientifique pour l’improbable, le presque réel.
Au cœur d’un siècle obscur, Henri Loevenbruck élabore une intrigue complexe, façonnée comme un jeu de rôle. Les énigmes et grandes discussions nous font avancer jusqu’au prochain méchant à combattre, lors d’un duel où la force cède face à l’ingéniosité, l’arme des sages. L’impassibilité d’Andréas et la dévotion de ses complices rendent stupides et vaines les tentatives des puissants pour stopper leur marche. L’auteur raille la religion et la royauté, leurs préceptes et décisions, bonnes à assujettir le peuple, le brimer et l’oppresser. Andréas et ses idées subversives donnent des couleurs à une époque aux teintes grisâtres. Les caractéristiques sociales de l’homme illustrent la rigidité des rapports sociaux quand sa personnalité déconstruit la bien-pensance.
Humour et dérision sont omniprésents dans cet ouvrage, en charge d’instruire le lecteur et condamner proprement des pratiques d’un autre âge. La plume de l’auteur s’envole et s’autorise des tournures et expressions dont l’on ne cherchera pas à vérifier la justesse mais qui rendent le récit encore plus anachronique qu’il ne l’est. La distinction est pourtant claire entre la fantaisie et l’authenticité. Ainsi, tout lecteur en tirera quelques enseignements, des dates, des faits, des personnalités.
L’Apothicaire est l’oeuvre d’un zélé raconteur d’histoires qu’il est toujours bon d’approcher au cours de son parcours de lecteur ; ne serait-ce que pour se rendre compte de la diversité de ce qui s’écrit. J’admire le travail et la patience nécessaires à l’édification d’un tel roman qui ne supporterait ni l’approximation ni la dysrythmie. L’auteur s’engage à conduire son lecteur sur un long trajet rocailleux, où les péripéties sont des obstacles gage de divertissement, où le décor doit susciter fantasmes et dépaysement, où les compagnons de voyage doivent paraître sortis d’un livre de contes. Lire L’Apothicaire c’est rechercher un peu de magie mêlée à une justesse historique, parcourir le 14e siècle comme s’il nous était familier, s’attendre à poursuivre sa lecture dans des requêtes Google complémentaires.
Henri Loevenbruck m’a transportée, instruite et révoltée, fait rire et méditer, émue et désorientée. J’ai refermé ce roman déjà nostalgique du temps passé à parcourir la France médiévale auprès de si attachants explorateurs.
Et vous, est-ce un genre de récit qui vous attire ?
Pourquoi pas! En fait, ça m’évoque un peu Le nom de la Rose, mais peut-être que je me plante complètement…
Non tu as raison, il a été comparé à Umberto Eco ! Mais alors, pour moi qui ai tenté de lire Le Nom de la rose je peux te dire que L’Apothicaire est beaucoup beaucoup beaucoup plus abordable et fun XD !
ce n’est pas ma période préférée mais tu as l’air tellement conquise!
Le roman se lit très très bien et on n’a pas le temps de s’ennuyer 🙂 La période n’est pas folichonne c’est vrai, mais l’auteur est un fin connaisseur et raconte avec passion !
Bonjour,
Quelqu’un pourrait il m’éclairer sur le dénouement,qui m’a laissé interrogatif.merci