Après avoir lu, et apprécié modérément, le célèbre Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, la curiosité de découvrir le deuxième roman de l’auteur a pointé le bout de son nez. Titres construits sur un mode similaire, même style de couverture vive et absurde et même genre d’histoire mêlant humour, rocambolesque et politique internationale (oui oui). J’avais soulevé certains défauts dans le premier volume, dont la tournure de l’histoire et les nombreuses digressions politiques. Néanmoins, le ton et la palette de personnages m’ont suffisamment marquée pour que je redemande de nouvelles aventures.

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Quelle est la probabilité pour que Nombeko, orpheline, noire, analphabète, née dans le plus grand ghetto d’Afrique du Sud, cherche désespérément à se débarrasser d’un colis postal contenant une bombe nucléaire et se retrouve enfermée dans un camion de pommes de terre en compagnie du roi de Suède et de son Premier ministre ? Une sur quarante-cinq milliards six cent soixante-dix millions deux cent douze mille huit cent dix. Selon les calculs de ladite analphabète.

Mon avis

Le petit vieux sénile devient ici une jeune noire d’Afrique du Sud illettrée mais surdouée, femme de ménage auprès d’un ingénieur au service de l’état, lâche et opportuniste. Le lecteur ne pourra s’y tromper, les mêmes ingrédients sont repris pour nous fournir une histoire haute en couleur, à l’improbabilité largement assumée mais au fil directeur superbement maîtrisé. Toutefois, il m’a bien fallu une centaine de pages avant de me laisser prendre au jeu. Il faut dire que l’auteur ne nous ménage pas ;  un flot d’informations et de détails en tout genre submerge le lecteur dès les premières pages, qu’il doit lui-même trier selon leurs pertinences. De ce petit jeu je me suis méfiée. Ma première lecture m’avait permis de connaître l’univers de l’auteur, fait de myriades de broutilles destinées à planter le décor et donner le ton. Aussi, j’ai parcouru les premières dizaines de pages assez hâtivement. La quantité d’éléments retranscrite est indigeste, soyons honnête, et pourra en faire fuir plus d’un. Mais patience, laissons le cadre se mettre en place.

De curieux personnages interviennent, trois petites chinoises allumées, des agents du Mossad, un suédois fervent disciple du roi. Puis, l’intrigue prend enfin la direction attendue, où il est question d’une bombe nucléaire de trop, qui va retomber dans les mains de notre petite femme de ménage.

Tout est énorme, disproportionné, irréaliste et absurde. Si vous recherchez du réalisme, fuyez, si vous recherchez de la logique, restez, car il y en a. Les événements s’enchaînent à une vitesse folle jusqu’à l’installation de Nombeko et sa bombe en Suède. Cet événement marque le départ d’une nouvelle vie paisible en compagnie d’étranges individus auxquels on finira bien par s’attacher ; une paire de jumeaux partageant le même prénom, une jeune anarchiste insupportable ou encore un potier paranoïaque. Cette petite communauté a deux objectifs, ou plutôt Nombeko et son compagnon Holger, les têtes pensantes du groupe : protéger la bombe nucléaire de toute agression extérieure et prévenir le chef d’état de sa présence sur le sol suédois. Cette entreprise leur prendra un certain temps, quelques dizaines d’années.

Cette histoire est dingue. L’auteur manie la narration, le cynisme, l’humour, le suspense, le rebondissement et les contrastes avec virtuosité. Comme je l’ai souligné, il perfectionne ses détails avec minutie, car c’est dans les petits éléments en apparence inoffensifs que les événements perturbateurs prennent naissance ; servis à la louche ils sont légion. Les choses s’assemblent, dans la confusion, le hasard, la coïncidence mais aussi la logique ; une logique triviale selon laquelle A+B  provoque C. Je pense que l’appréciation de ce livre dépend de ce que le lecteur sait, et attend, de l’histoire. Alors que dans Le vieux… j’avais pu être déconcertée et parfois gênée par les détours et autres divagations de l’histoire, ici je m’y étais préparée ; aussi, j’ai absorbé les aspérités montagneuses du récit avec un seul mot d’ordre : l’humour. L’auteur dresse sur un même tableau des éléments que tout oppose ; il s’amuse des contrastes, antinomies, oppositions en proposant une analyse désopilante des situations, où l’on ne perçoit pas toujours le bout de la chaîne malencontreuse d’infortunes. Il ose tout, jouant avec sa propre histoire et ses personnages, dont les tempéraments suffisent à provoquer des actions et dialogues savoureux. L’auteur monte d’un cran à chaque péripétie,  mais ce n’est pas grave, qu’il aille le plus loin possible, c’est le but. Car le récit est mené avec intelligence. Pour écrire une telle histoire, nous menant d’un point A à un point B insoupçonnable quelques pages plus tôt, il faut avoir l’esprit vif et le regard avisé.

Je dois reconnaître que l’auteur a peut-être « simplifié » sa trame par rapport au précédent roman, et ce n’est pas plus mal ; disons que l’on s’égare moins. L’intrigue est cette fois-ci plus sédentarisée, les personnages campent un long moment avant de prendre la route, sans toutefois trop s’éloigner. Les lourds enjeux autour de la présence de la bombe ne reposent que sur quelques individus, les seuls au courant. Mais l’histoire de nos héros a un pied dans la plus grande, la politique internationale. Vous imaginez bien que la présence de l’arme nucléaire dans un pays censé en être démuni risque de provoquer quelques étincelles dans les relations diplomatiques. L’auteur s’amuse follement de ce délicat désagrément. Il tourne en dérision le sérieux des politiques et la posture rigide des chefs d’état (le roi de Suède est ici particulièrement mis à nu) et démontre l’absurdité des conflits. Il ironise le monde, se moque des convenances, inverse les ordres établis, bouscule les codes de la diplomatie. Il transforme les relations internationales en un dîner de cons, le dindon de la farce n’est pas celui auquel on pense et c’est jouissif. Cette satire est portée par une héroïne aux antipodes du conventionnel qui, comme le vieux Allan, manipule les grands de ce monde avec intelligence et courtoisie. Par sa position sociale de naissance et son esprit cartésien elle contient en elle-même les germes explosifs de l’histoire, et pourtant elle possède un sang froid peu commun qui la sauvera de nombreuses fois.

L’Analphabète qui savait compter m’a offert un moment de lecture tordant, immersif et dépaysant. J’ai pris un réel plaisir à suivre les aventures de Nombeko et compagnie. Malgré un début un peu longuet certes, la suite vaut le coup, imprévisible elle saura vous surprendre. Je ne saurais que vous conseiller ce tourbillon de bonne humeur et d’optimisme.

Et vous, avez-vous lu l’un ou l’autre des romans de l’auteur ?

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