Voici un roman découvert un peu par hasard, en recherchant des Poche à lire pour l’été. Le titre, ainsi que la couverture, m’ont immédiatement accrochée, simples mais efficaces. L’occasion de découvrir  une écrivain jusque-là méconnue venue d’un pays dont je ne crois pas avoir déjà lu un écrit, à savoir l’Australie, et plus particulièrement la Tasmanie.

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Mary est âgée, sa santé se dégrade. Elle décide de passer ses derniers jours à Bruny, île de Tasmanie balayée par les vents où elle a vécu ses plus belles années auprès de son mari, le gardien du phare. Entre souvenirs et regrets, Mary retrouve la terre aimée pour tenter de réparer ses erreurs. Entourée de Tom, le seul de ses enfants à comprendre sa démarche, un homme solitaire depuis son retour d’Antarctique, elle veut trouver la paix avant de mourir. Mais le secret qui l’a hantée durant des décennies menace d’être révélé et de mettre en péril son fragile équilibre.

Mon avis

Ce roman possède des forces qui le rendent poignant et authentique. Nous avons tout d’abord le paysage, particulièrement contrasté car nous voyageons entre l’île Bruny, sauvage, verdoyante et soumise aux vents, et l’Antarctique, glaciaire, mortifère et exigeante. Ces deux territoires sont portés par deux individus ; Mary, une vieille dame au seuil de la mort qui trouve en l’île son ultime refuge, et Tom, son plus jeune fils, revenu d’Antarctique il n’est que l’ombre de lui-même, son âme est restée ancrée dans un glacier. Nous suivons donc le parcours de ces deux personnages, les tourments dans lesquels ils sont plongés, l’une attendant sa dernière heure, l’autre espérant un avenir meilleur.

Le récit débute par la découverte d’une lettre avec laquelle Mary se débat sans jamais s’en séparer complètement. Elle oscille entre le désir de la camoufler, de la brûler, ou bien de l’apporter à son destinataire final. L’objet de la lettre nous est bien sûr inconnu. Mais elle revient sans cesse, apportant la dose de mystère nécessaire à l’intrigue. Toutefois, l’attitude de Mary à son encontre m’a quelque peu lassée; son hésitation et sa maladresse surtout, puisqu’il paraît si simple de cacher ce bout de papier, mais celui-ci réapparaît comme par magie. Cette lettre nous est présentée comme la clef du récit, pourtant l’évidence de son contenu se dévoile bien vite.

Mary se lie avec Léon, un jeune garde champêtre dont la mission est de veiller sur elle, tout en lui servant de chauffeur. Alors que leur rencontre est distante et tumultueuse, bien vite pourtant ils deviennent intimes, se livrant à tour de rôle, trouvant dans leurs blessures familiales réciproques un trait d’union. Cette relation, atypique tant par son contexte que par ses deux protagonistes, n’est malheureusement pas assez exploitée. Elle évolue bien trop rapidement, passant d’un rejet net à une amitié solide en un claquement de doigts. De plus, leurs échanges ne nous sont pas entièrement relatés, ce qui se noue entre eux est tu, jusqu’au final où Léon apparaît comme un fils pour Mary, il la pleure comme tel.

Et puis il y a Tom, un drôle de personnage, taciturne, obsédé par la terre Adélie, la mécanique et la béance de son existence. Il est intéressant tant il évolue en creux, destiné à n’être que rempli. Nous découvrons sa laborieuse tentative de reconstruction sentimentale auprès d’Emma, une trentenaire revenue du froid elle aussi et décidée à retourner se frotter aux icebergs. Je croyais leur relation n’être qu’un détail du récit, un écart destiné à ouvrir les yeux de Tom pour les centrer sur l’essentiel, le détournant de ce qu’il doit absolument fuir. Mais il préfère s’enliser dans cette histoire. Quant à Emma, je l’ai détestée dès sa première apparition. Elle est hautaine, moqueuse, cynique, impertinente et profondément égoïste, et joue à l’adolescente auprès de Tom. Mais tout en la détestant, ces mêmes sentiments se sont petit à petit déportés sur Tom, puisqu’il s’évertue tout le long à nourrir une relation destinée à l’échec. Son état amoureux fulgurant est illusoire, comme une imposture ; peut-on réellement réagir ainsi à plus de quarante ans et après un mariage raté ? J’en doute. À l’instar d’Emma, mais dans un autre genre, il se comporte comme un enfant, immature du cœur, totalement naïf, presque stupide. Leurs émois ne sont pas adultes, non, ni même leurs échanges, et encore moins leurs rapprochements physiques. Il m’a donc été difficile de me reconnaître dans cette idylle, d’y être sensible, d’espérer un avenir. La chienne, Jess, a retenu à elle seule toute mon attention; elle est d’ailleurs largement humanisée, cocasserie du récit en face d’individus anesthésiés.

Mais l’Antarctique n’est jamais bien loin, Emma et Tom y sont profondément liés. Dans leur attachement charnel à ses terres lointaines ils ont perdu leur capacité à faire couple, car ils le sont déjà avec la glace.  Aussi, la puérilité s’explique par ce lien, difficilement concevable mais si bien formulé par l’auteure. En effet, Karen Viggers décrit de manière magique, presque mystique, ce continent et l’empreinte qu’il laisse dans le cœur des hommes qui ont foulé son sol. Le lecteur est plongé dans ce bain gelé, l’épiderme ressentant les brises glaciales, les poumons inspirant cet air pur. Puis il retourne sur l’île de Mary, paradis non moins dangereux mais plus confiné, plus intime aussi.

Pour autant, et pour contrecarrer cette démonstration, les personnages présentés n’ont pas brillé par leur courage; je dirais même qu’ils se caractérisent tous par une certaine faiblesse. Mary a passé sa vie à fuir, et jusqu’à son dernier souffle elle aura gardé son cœur fermé à double tour, tandis que ses enfants ne sont guère plus téméraires, la maladie de leur mère leur faisant trop violence. Leurs réactions m’ont paru bien démesurées en face de l’inévitable de la vie, à savoir le décès d’un parent. Toute cette petite famille est éclatée, incapable de se réunir, incapable de faire lien ensemble, de prendre les bonnes décisions, de penser au groupe ; l’individualisme est roi. Dans ce roman les sentiments sont étouffés, coincés à un niveau trop profond; tout ceci mériterait d’être secoué, bousculé.

Ai-je été sensible à l’histoire de Mary, qui nous est relatée sous forme d’analepses ? Pas vraiment. Nous découvrons la rencontre avec le père de ses enfants, puis avec l’homme qui ne cessera de la hanter, la vie au phare nous est finement décrite, monotone et autarcique. Et lorsque le dénouement arrive, la découverte du contenu de la fameuse lettre n’a pas l’effet escompté; elle est le lot de trop nombreuses familles pour susciter la surprise. Une fin comme beaucoup d’autres, sans grand intérêt.

La puissance de ce roman se trouve en fin de compte dans la construction du décor et l’évolution des individus dans cet environnement, exotique et violent, qui les écrase, les rendant minuscules, insignifiants. J’ai été littéralement absorbée par les différentes atmosphères. Je retiendrai le froid antarctique et le vent tasman. De plus, l’écriture est prodigieuse, la traduction en tout cas est remarquable. Très pittoresque, prolixe en détails, la plume est délicate et juste, notamment dans les descriptions, animales, végétales, minérales, au détriment des émotions humaines.

En résumé, La Mémoire des embruns est un roman surprenant, pointant le curseur sur ce qui, habituellement, ne m’est pas primordial. Cette lecture m’a donné envie de prendre mon baluchon et de partir en exil au pôle Sud, en espérant revenir psychiquement moins asséchée que Tom.

Et vous, connaissez-vous ce roman ? Cette petite virée dans l’hémisphère sud vous donne-t-elle envie ?

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