Chaque année, me semble-t-il, je m’octroie la lecture d’un roman traitant de la condition animale. Comme vous le savez, j’y suis particulièrement sensible, tentant tant bien que mal d’appliquer à mon quotidien des principes que je juge incontournables, légitimes et évidents. Je ne dirais pas que le sujet est « à la mode », mais les consciences se sont doucement réveillées sur ce qui est l’un des plus grands drames, et l’une des plus grandes hontes, de l’espèce humaine. Il est donc normal qu’écrivains et journalistes offrent leur plume à ce qui est peu à peu devenu un combat urgent. Chacun a son mot à dire sur le sujet. Ce qui m’intéresse, moi, c’est quand la fiction s’en mêle. La littérature sert aussi à cela, faire évoluer les mentalités.
Comment un jeune Français baudelairien devient-il fanatique de la cause animale ? C’est le sujet du premier roman de Camille Brunel qui démarre dans la jungle indienne lorsqu’Isaac tire à vue sur des braconniers, assassins d’une tigresse prête à accoucher. La colère d’Isaac est froide, ses idées argumentées. Un profil idéal aux yeux d’une association internationale qui le transforme en icône mondiale sponsorisée par Hollywood. Bientôt accompagné de Yumiko, son alter-ego féminin, Isaac court faire justice aux quatre coins du globe.
Mon avis
La quatrième de couverture est pour le moins ambitieuse. Séduisante, elle annonce un vaste récit d’aventures vengeresses dans lequel un brave garçon prend les armes pour sauvegarder ce qui reste des espèces animales. L’audace de la démarche dans laquelle s’inscrit cet anti-héros me rappelle la créativité d’un Vincent Message qui n’avait pas hésité à renverser les rôles. Il semblerait que l’idée ne soit plus simplement de se limiter à crier haro sur le commerce de la viande, mais d’aller plus loin dans les extrêmes, quitte à bouleverser nos modes de pensée et flirter avec le crime. Le roman sert à cela, tester les limites, oser des suppositions, suivre une voie interdite. Ainsi Camille Brunel nous soumet-il une version terroriste de la défense animale : quand les militants s’émeuvent plus d’un poisson rouge en bocal que de tirer à bout portant sur un braconnier.
Isaac est ce type d’homme, froid comme la glace et déterminé comme un buffle qui charge. L’individu s’est donné un seul et unique objectif : sauver le monde animal en éliminant tous ceux qui lui porteront atteinte. Ainsi, s’attaque-t-il à des chasseurs ou des pêcheurs. Entre deux missions périlleuses, il s’adonne à l’art de la rhétorique en participant à diverses conférences ; l’occasion pour nous, lecteurs, de découvrir de manière beaucoup trop appliquée nombre d’arguments en faveur de la cause. On croirait lire un manifeste, c’est assez pénible, d’autant plus quand le lecteur est suffisamment renseigné ; ce qui doit majoritairement être le cas, car ouvrir ce livre c’est être déjà engagé. Je doute que le lectorat de ce type d’ouvrage soit suffisamment vaste pour inclure des viandards peu soucieux du bien-être animal et qui, pourtant, seraient bien inspirés d’en tourner les pages.
Les chapitres s’enchaînent, racontant les interventions d’Isaac en mode bulletin d’information. Son activisme fait des émules, le monde tremble et réagit. Isaac est autant vénéré que craint, emprisonné puis relâché, on ne sait trop que faire de lui. C’est comme s’il fallait tolérer ce genre de criminel, comme si on admettait enfin qu’il en soit ainsi, qu’une guerre se substitue aux méthodes douces qui ne font plier personne. Et, voyez-vous, l’idée me plaît. Comprenez bien, je suis une pacifiste, mais imaginer qu’il soit possible de renverser l’ordre établi d’une telle manière satisfait la fervente défenseur d’une Nature préservée qui est en moi. Il me paraît plausible qu’un vaste mouvement d’extermination se mette prochainement en place pour contrer le désastre dont l’Homme est seul responsable. Aussi, j’attendais de La guérilla des animaux une immersion dans ce futur inavouable mais, et il me faut adopter une posture masochiste, séduisant. Comme l’on se satisfait tous d’une justice bien rendue.
Le constat est amer puisque le contrat n’est pas rempli. Au lieu d’une intrigue portant sur la mise en place progressive d’un nouvel ordre mondial motivé par la volonté de faire le Bien, en passant par le mal, nous avons le parcours d’un personnage trop antipathique pour être appréciable. Isaac le justicier, le terroriste, est un homme dévoré par des convictions qui, à force d’être rabâchées et utilisées comme prétexte à la violence, deviennent une arme grotesque, trop lourde à porter et trop facile d’utilisation. L’humanité se perd au nom d’une cause qu’il est bon de défendre en se servant, justement, de ce qui nous rend humain. Au final, la lutte armée passe moins pour une démarche universelle nécessaire que pour la lubie d’un homme qui mériterait un petit séjour en hôpital psychiatrique. Vous conviendrez qu’il y a mieux pour convaincre les plus sceptiques. Je me demande encore pour quelles raisons Camille Brunel a choisi comme porte-parole un personnage si biscornu. Je ne condamne pas les méthodes, je condamne le peu de place accordée aux sentiments.
Un infime brin du récit est consacré, sans que l’on sache trop pourquoi, à la relation d’Isaac avec son père. Alors, certes, c’est une manière d’aborder le pan affectif qu’il nous manque justement, encore que la teneur en soit conflictuelle, mais ceci reste totalement inexploité. L’auteur n’a pas profité de cette occasion pour humaniser Isaac, et c’est bien regrettable. En fait, à travers la plume de Camille Brunel, Isaac est bel et bien ce terroriste sans cœur, bêtement radicalisé. Remplacez le veganisme par la religion, les homicides n’en seront guère plus condamnables.
Et, pour finir, je reste dubitative quant à l’enchaînement des faits et la dimension mondiale prise par l’histoire, dont je n’ai pas saisi la logique. À un moment donné l’intrigue s’accélère, apporte de nouveaux éléments, puis rebrousse chemin, se recroqueville. Le dernier chapitre, lui, apporte pourtant une idée éblouissante à laquelle je n’ai pas fini de songer. Je dois aussi, ici, évoquer cette terrible scène que je n’oublierai pas : celle d’une militante qui s’offre en sacrifice à une ourse polaire et ses petits, affamés. En la lisant j’ai été totalement bouleversée par la portée du geste, au point d’en avoir les larmes aux yeux et le cœur palpitant. Il y aurait tant à en dire. Deux choses à retenir, cela commence à faire pour un livre que j’aurais plutôt tendance à déconseiller.
Camille Brunel ne signe pas un roman avec La guérilla des animaux mais un plaidoyer seulement entendable par les extrémistes de la cause. Il en ressort un excès dans le propos, une confusion maladroite entre vouloir marquer les esprits à tout prix et amener une prise de conscience, entre le buzz et l’information. Personne ne sera convaincu qu’il faut changer les choses avec un tel livre. Et pourtant, l’idée de fond était idéale pour que la fiction porte au mieux cette cause.
Et vous, recherchez-vous ce thème dans la littérature ?
Effectivement, le développement du thème semble extrême. Mais je continue de penser qu’il faut parfois aller très loin pour faire prendre conscience les choses les plus basiques comme celles selon laquelle il n’est pas admissible de torturer un animal pour sa fourrure ou se repaître de sa chaire. Pas quand on a le choix.
C’est peut être un livre pour ceux qui ne sont pas acquis à la cause justement ?
Je suis d’accord avec toi sur le fait d’aller dans les extrêmes pour provoquer un électrochoc. C’est ce que j’attendais de ce roman. Cependant, il me manque une histoire qui tienne la route et, surtout, un personnage qui donne envie de se battre. Isaac est un réactionnaire beaucoup trop impulsif et sombre pour que l’on ait envie de rejoindre sa cause.
Honnêtement, si je me mets à la place d’une personne qui ne se sent pas concernée par le bien-être animal, ce roman va lui donner encore plus envie de manger de la viande…
C’est quand même dommage que l’effet soit l’inverse de ce qui est recherché :/
J’aime les animaux avec du sel et bien cuits…
Désespérant…
Je dois confesser que j’avais peur de ça en lisant les résumés et que du coup il ne me tente pas plus que ça… :s Mais d’autres y trouveront peut être leur compte
Merci d’avoir tenté l’expérience 😉
pour te répondre, je te dirais spontanément non parce que je place toujours l’humain avant l’animal mais je ne suis ni bornée ni fermée.
L’un n’empêche pas l’autre 🙂
Je vois en effet que le thème t’intéresse. A te lire, je reste donc sur Vincent Message et ne vais pas m’aventurer dans celui-ci.
Sur le registre de la vengeance sur fond de défense de l’environnement, j’avais noté un livre de Gert Nygardshaug, Le zoo de Mengele (qui est davantage un thriller). Si ça t’intéresse, ça pourrait constituer une lecture commune en 2019 🙂
Merci Patrice pour tes passages sur mon blog ! J’ai malheureusement très peu de temps à y consacrer en ce moment, et ne suis pas allée visiter de blog depuis beaucoup trop longtemps…(bébé 1 + bébé 2 + déménagement + travaux + …)
Je note le titre, j’avoue qu’il m’intrigue beaucoup. Je n’en avais jamais entendu parler ! Une lecture commune me tenterait, si je parviens à trouver un peu de temps pour lire, mais ça devrait le faire ! Je vais donc me le procurer.
Bonne journée à toi