Autrefois plutôt indifférente aux couvertures, je me retrouve de plus en plus à choisir mes lectures en fonction de cette illustration. Déçue par les quatrièmes de couverture, je me rabats sur le recto, moins explicite mais plus engageant. En croisant de nombreuses fois cette guitare sur les réseaux sociaux, j’ai fini par jeter mon dévolu sur Mon gamin, non sans crainte d’être déçue… La magie autour de ce livre semblait un peu trop merveilleuse.
Cet été 1977, un été de vinyles, de chaleur et de baignades, Thierry a 14 ans et découvre la musique, les premiers émois, les montagnes russes de l’adolescence où tout est à la fois morne et intense. Il passe ses journées avec son meilleur ami, Francis, un handicapé mental qui vit à l’hôpital psychiatrique voisin depuis toujours. Quarante ans après ce mois d’août, Thierry, devenu chanteur à succès, va enfin découvrir la vérité sur les quelques jours qui ont changé toute sa vie.
Mon avis
Marc Adler, chanteur populaire au succès ancien, est devenu Marc Adler par un enchaînement de faits durant l’été de ses quatorze ans. Sans ce concours de circonstances, le jeune Thierry aurait continué à grandir dans cette petite ville de province, au milieu des gentils aliénés de l’asile dirigé par son père. Champs-Choisy est connue pour ses habitants farfelus, la vie ici est étonnement paisible. Les locaux se sont habitués à l’excentricité de leurs voisins. Tout ce petit monde va bien et se plaît à vivre en communauté. Jusqu’à ce que l’amour juvénile de Thierry pour sa séduisante et jeune belle-mère prenne un dangereux chemin et mette en péril l’intégrité même du bourg.
Dès les premières pages j’ai été charmée par cette histoire pleine de fantaisie, parfois fable ou conte moderne. Le lecteur enchanté plonge dans la tête d’un jeune garçon nonchalant, arithmomane mélomane et ami fidèle auprès du sinoque Francis. Entre Thierry et Marc il y a une vie entière, on a bien du mal à imaginer le premier comme enfance du second. L’homme, la star adulée, s’est éloigné de ce gamin de jadis. La présence de Marc sert juste à relier un passé d’un présent, il n’est pas essentiel et se fait oublier, mangé par sa propre histoire. Le comble étant que sa carrière passe pour moins fascinante que cette tranche de vie prise entre deux âges. Rien ne vaut les quatorze ans d’un homme. La gloire et l’accomplissement professionnel sont une réussite, mais à l’aube de la vieillesse on se souvient souvent des années lointaines.
L’adolescence de Thierry possède la banalité de l’âge et l’extraordinaire du contexte. C’est un garçon comme les autres, avec ses ambitions, ses découvertes, ses exploits quotidiens. Peut-être un peu plus seul, davantage livré à lui-même ; ses décisions s’en ressentent. Malgré l’excès de ses agissements, Thierry n’est pas un mauvais garnement.
Il y a une joyeuseté dans le ton, une énergie dans la narration, une impétuosité dans le récit qui se moque de la vie, de sa normalité, de son déterminisme. J’aime ces histoires fabuleuses dynamiques et effrontées qui colorent des individus, déjà un peu fous, en faisant de chaque personnalité un univers enflammé. Quand les uns rencontrent les autres, se créent des étincelles ou des paillettes. La petite ville de Champs-Choisy devient un manège enchanté où l’on peut croiser de drôles d’énergumènes, tous profondément attachants. Leur apparence en dit souvent long sur eux, de même que leur façon de parler, leurs goûts, leurs habitudes. La frontière entre les patients de l’asile et les habitants s’estompe pour finir par complètement disparaître. Les petites manies des uns, les absurdités des autres, les grosses maniaqueries ou les jolis délires ne servent pas la catégorisation des individus dans des cases formatées. Bienvenue dans le village de la tolérance ! De petites originalités ornementent une histoire déjà folle en soi, apportant des touches d’humour pour un rendu facétieux. L’auteur a trouvé son style, une voix atypique et une écriture très personnelle pour en rendre compte.
Pascal Voisine clôt son récit d’une manière terrible. Le drame n’est pas celui que l’on croyait, non, d’ailleurs, le premier était une bouffonnerie comme une autre, en témoigne tout le théâtralisme alentour, la scène de crime servant de décor à d’autres saynètes. D’hilarants évènements éclosent dans le désastre. Le lecteur croyant assister à une tendre comédie, le décalage est réussi ; on est entré dans l’univers de l’auteur, on ne se scandalise plus de ce qui devrait pourtant être scandaleux dans la réalité. Jusqu’à ce que cette réalité justement, trop longtemps oubliée, nous gicle à la figure dans un final percutant et injuste qui est d’autant plus douloureux qu’il est l’unique émotion forte du récit. Là réside peut-être la faiblesse de l’intrigue, une hétérogénéité dans les larmes et une rupture du ton.
Refermant le livre le cœur brisé, j’ai bien failli oublier que jusque-là j’avais ri, les yeux brillants. Mon gamin est un texte plus fort qu’il n’y paraît, il a des choses à révéler jusqu’à la dernière page, il n’est pas aussi simple qu’on peut le croire. Sous couvert de rigolades et d’ironie, Pascal Voisine décrit une micro-société fragile prête à verser dans l’iniquité. Je l’inscrirais entre En attendant Bojangles pour sa mélancolie et sa peinture indulgente d’une folie quotidienne et touchante, et L’extraordinaire voyage du fakir… pour son humour, sa voix, sa narration. Si vous aimez les histoires rythmées, désopilantes, au kitsch travaillé et assumé, je pense que Mon gamin vous comblera. Et puis, même si les aventures de Thierry ne vous font guère palpiter, le déluré mais non moins tendre Francis saura sans nul doute vous émouvoir.
Et vous, est-ce le genre d’histoire qui vous donne envie ?
Eh bien je ne sais pas… Je dirais oui et non, cela dépend de comment c’est écrit, etc.
Ne serais-tu pas normand Goran ? ^^
🙂
J’ai trouvé ce livre très réussi ! Un premier roman vraiment prometteur 🙂
Je suis bien d’accord avec toi !!
[…] du déjà-lu, on la connaît tous cette histoire d’un jeune idiot qui se fait avoir. D’autres sont parvenus à m’émouvoir davantage. Je n’ai pas été transportée par des émotions nouvelles, je n’ai rien éprouvé […]