Tout d’abord, je remercie les Editions du Typhon de m’avoir envoyé cet exemplaire. Vous ne m’entendrez pas souvent dire cela puisque je n’accepte que rarement les envois Presse. Mais, vous allez rire, j’ai dit Oui à cette proposition car l’auteur est… mort. Oui. Depuis longtemps, paix à son âme. Je suis donc tranquille avec ma conscience s’il s’agit de le critiquer. Il est vrai également que le genre « gothique » du récit n’était pas pour me déplaire et cette couverture si belle a achevé de me convaincre.
Résumé de l’éditeur
A son arrivée sur l’île de la Barbade, un jeune peintre est accueilli dans une saisissante demeure : Eltonsbrody. Bordée par la mer et entourée d’une végétation luxuriante, la maison semble sortie d’un songe. Mais peu à peu, la beauté s’effrite.
Mon avis
Eltonsbrody est une curiosité parmi un genre curieux, que j’ai parcourue le sourire aux lèvres mais l’échine hérissée. La mise en garde du narrateur est pourtant on ne peut plus kitsch, du genre « soyez prêts, lecteurs, à avoir la peur de votre vie » , et improbable de la plume d’écrivains contemporains. Elle paraît écrite par l’auteur lui-même, non pas pour fusionner avec son héros mais parce que sans doute, et l’avant-propos nous en fournit le témoignage, il y raconte ses propres tourments. Edgar Mittelholzer était un esprit malade et torturé. Il est clairement impossible de découvrir cette histoire en mettant ce fait de côté. C’est là que l’acceptation selon laquelle l’auteur est indiscernable de ce qu’il écrit prend tout son sens. Edgar Mittelholzer raconte une histoire hallucinée née de ses angoisses.
Le personnage principal aurait pu être écrivain mais il est peintre ; c’est du pareil au même. Sa vie est un éternel questionnement et il possède ce rapport aux autres tout particulier reconnaissable de ceux qui croquent ou racontent le monde ; une fascination distante et polie qui suscite la sympathie immédiate et invite les uns et les autres à se confier. Oubliez les psychologues, les artistes ont l’ouïe plus fine.
Mr Woodsley pose ses quartiers dans une vaste demeure, propriété de la vieille Mrs Scaife ; éminemment veuve, entourée de son armada de domestiques et aux occupations déroutantes. Elle est du genre à ricaner au milieu d’une phrase, à émettre des propos compris d’elle seule et à vous apparaître à l’angle d’un couloir en mimant la surprise. Une folle attachante que l’on penserait délurée à l’approche d’une mort certaine ; voulant pimenter ses derniers jours en s’amusant à torturer gentiment un pauvre visiteur qui tend le fouet pour se faire battre.
Nous avons droit aux portes grinçantes, aux rideaux qui voltigent, aux coups frappés aux portes, aux silhouettes plantées en haut de l’escalier, et j’en passe. Les histoires de fantômes des siècles passés me sont plus désopilantes qu’effrayantes. Elles ont cette teinture surannée qui les rend charmantes mais n’invite pas à la peur, à l’heure des films d’horreur et d’une littérature beaucoup plus sanglante.
Néanmoins, si les événements prévisibles ne m’ont pas empêchée de fermer l’œil de la nuit ; je dois reconnaître que le personnage de la sénile veuve est plein de surprises. Alors oui, elle manipule son invité comme de la pâte à pain en le livrant à un jeu de pistes macabre car, sous ses airs de gentille grand-mère, se cache une terrifiante créature aux croyances mystiques et difficiles à lire. Elle possède une théorie du mal et du crime on ne peut plus fabulée mais, de sa bouche, certifiée, éprouvée, incontestable. Son discours est une ode au meurtre. Sans complexe, elle se livre à des actes sordides et gratuits pour assouvir un besoin vampirique. Relater ses exploiter à un esprit effrayé lui procure davantage de plaisir encore. Sa vie est un cinéma. Mrs Scaife est une nouvelle forme de psychopathe, au rire carnassier, sans empathie, sans discrétion, qui agit avec emphase et extravagance.
La résolution du mystère de la maison hantée n’est pas une révélation grandiose et insoupçonnée mais le final possède un dynamisme appréciable, flirtant avec le spectaculaire. L’omniprésence de la nature, les crêtes, la mer agitée, les grands vents participent grandement à l’atmosphère singulière du récit.
Le héros est parfait pour être le témoin principal de l’affaire. Il a toutes les raisons du monde pour fuir, pourtant il reste. L’archétype du solitaire qui, parce que impartial et beaucoup trop à l’écoute, est le meilleur allié du lecteur. Il se fait oublier et sert juste à rapporter les faits.
Sous ses allures de théâtre burlesque, avec des réactions parfois crédules et surjouées, et des personnages sortis d’un conte absurde, Eltonsbrody est d’une mélancolie infinie. Le narrateur possède une placidité incongrue qui autorise toutes les folies. D’ailleurs, le contraste entre sa constance et l’enchaînement de découvertes inappropriées fait la force de cette histoire. J’en suis ressortie avec un sentiment d’étrangeté et de mal aise. J’ai finalement lu un texte beaucoup plus horrible que ce à quoi je m’attendais, d’autant plus horrible que les atrocités commises nous sont présentées comme des faits inéluctables, constituant même une vérité intangible.
C’est une manière propre au genre que de nous proposer une version précisément divertissante, voire comique, des bizarreries pulsionnelles de l’Homme. Eltonsbrody nous parle de pulsions meurtrières, de passions cruelles avec une tonalité qui sème le trouble ; une légèreté inconvenante qui autorise les pires insinuations. Ecrite d’une autre manière, avec un suspense et des réactions plus modernes, cette histoire aurait pu être un roman noir tout bonnement terrifiant. Mais l’époque, nous sommes au début du 20e siècle, atténue les émois, du fait du traitement classique de l’histoire qui ménage le lecteur.
En conclusion, ce roman se détache par son atmosphère désuète et spectrale fort charmante et une figure criminelle à laquelle je ne m’attendais pas et qui représente un mysticisme sordide assez fascinant. J’ajoute que la traduction est époustouflante en faisant oublier que la langue du texte n’est pas l’originale.
Et vous, êtes-vous adepte de littérature gothique ?
Il pourrait me plaire figure-toi.
Je le note aussi. Merci.
Mais de rien 😀