Je renoue avec le polar nordique en m’essayant à ce roman, d’une auteure au patronyme fleurant bon la Scandinavie. J’ai suivi l’avis général des lecteurs porté par plusieurs sites de référence. Me trouvant actuellement dans une période de creux niveau lectures (le rythme de publication sur le blog, malheureusement, s’en ressent), je m’oriente vers ce qui représente pour moi la facilité. Mais n’allez pas croire que je suis moins exigeante…
Falkenberg. Le commissaire Bergström découvre le cadavre terriblement mutilé d’une femme. Londre. Profileuse de renom, Emily Roy enquête sur une série de meurtres d’enfants. Les corps présentent les mêmes blessures que la victime suédoise : trachée sectionnée, yeux énuclées et un mystérieux Y gravé sur le bras. Etrange serial killer, qui change de lieu de chasse et type de proie…
Mon avis
À l’instant d’écrire cette chronique, je découvre que l’auteure est non pas suédoise ou islandaise comme je le pensais, mais bien française. Oui, oui. Alors que la mode est actuellement aux polars nordiques écrits par des natifs, Johana Gustawsson (elle emprunte le nom de son mari, pour le coup, lui, suédois !) s’y essaie et s’y mesure en se fondant dans la masse de publications avec malice. On s’y croirait. Cette petite surprise passée, il est temps de revenir sur ce moment de lecture fort plaisant qui a répondu à mes attentes urgentes et vitales d’histoires sombres, hostiles et desquelles l’on ne peut décrocher.
En pareil état de détresse, je me tourne inévitablement vers le polar à tendance thriller, recherchant l’originalité en changeant d’auteur ; profitant de l’abondance pour diversifier les saveurs, comme on pioche dans un sac de bonbons acidulés. Block 46 est une énième enquête autour d’un serial killer, aux méthodes sanglantes, au rituel aussi distinctif que répugnant. Le duo chargé de mettre la main sur ce criminel entraîné est constitué par deux fanatiques du meurtres, une écrivain (coucou Erika Falck) et une profileuse. Deux femmes, c’est plutôt rare pour être souligné.
Entre les chapitres déroulant l’enquête, nous revenons plusieurs décennies en arrière, au camp de Buchenwald, auprès d’Erich, un condamné qui se fera employer au sein du block 46, espace réservé aux expériences médicales sur les corps que l’on apporte quotidiennement. Le jeune homme sera le second d’un chirurgien, entre fascination et méfiance pour ce personnage ; le médecin a beau être animé par un dessein macabre et détraqué, il est savant et minutieux dans sa pratique, tout ce que vénère Erich, auparavant destiné à une brillante carrière dans le médical.
Le lecteur comprendra très vite les liens entre les deux époques, le criminel recherché sortant tout droit de ce périmètre nazi hors la morale, la justice, l’éthique. Le genèse de ses crimes est étroitement reliée à l’horreur des camps de concentration, d’une part, mais s’inscrit aussi dans un contexte familial bien précis. Le fin nouage entre plusieurs terreaux de monstruosité donne au meurtrier une consistance et une réalité faisant souvent défaut aux serial killers que l’on rencontre dans ce genre de roman. Il m’est habituel de leur reprocher une certaine fadeur, un vide dans leurs motivations, et une présence prétexte pour servir une enquête.
L’intrigue est ici intelligemment menée ; sans surabondance de rebondissements, ni empilement de cadavres, elle a su me surprendre aux bons moments. L’histoire est bien fichue et, chose assez rare, je n’ai pas douté des cruelles motivations du tueur. Sa généalogie, son évolution meurtrière, sa carapace psychopathe sont suffisamment bien décrites pour ne pas faire du monstre un criminel sorti d’un chapeau comme tant d’autres. Ici, l’enquête sert la compréhension de son mécanisme, elle n’est pas écrasante sur le dressage du profil. Les pièces s’assemblent de manière réaliste et, entre passé et présent, les liaisons sont plausibles et bien amenées. J’applaudis la finesse de l’auteure qui signe un premier roman du genre s’alignant correctement entre la fidélité au thriller et une pointe d’audace ; c’est tout ce que l’on attend. Son intrigue a été mûrement réfléchie, et nous offre un petit bonus sous forme de dernière révélation inattendue, parfait retournement dont l’on ne doute à aucun moment du bien-fondé et de la nécessité. L’écrivain a les outils en main pour écrire du bon polar noir, et, sans la connaître pourtant, je pense qu’elle possède le talent pour se renouveler à chaque parution. Je vais donc la suivre de près.
Pour en revenir à Block 46 et évoquer ses faiblesses, je note une polarisation gênante sur le coupable au détriment d’une analyse plus profonde des jeunes victimes (l’auteure ne peut pas tout dire, aussi elle est excusée). En outre, il n’y a que la belle Linnéa qui semble importer dans les rouages de l’investigation ; la jeune femme étant une amie proche d’Alexis, notre écrivain, tuée en Suède alors que les enfants (autres victimes du monstre) ont perdu la vie à Londres. En soi, le déroulé de l’enquête ne présente rien que de très commun, parsemé de-ci de-là de petites touches vivifiantes, des coups de peps comme je l’ai déjà dit fort audacieux, pour une lecture haletante sans être scabreuse.
J’ai toujours des petits doutes quand sont mêlés thriller contemporain et époque nazie ; la convocation de ces abominations est érodée, je crains une facilité pour attirer ceux que la période horrifie et fascine. Cela marche à tous les coups, mais niveau originalité, on repassera. Pourtant, ici, l’auteure s’en sert uniquement de fondement, d’ailleurs elle ne s’étale que peu sur les pratiques des camps et se détache bien vite des années 40 pour se concentrer sur son personnage clef, le meurtrier. J’ai apprécié cet appui, qui a lieu d’être, qui est justifié sans être seul déterminant. Et puis, il y a un clin d’œil à la propre histoire de la famille de Johana Gustawsson, dont on ne peut lui reprocher l’existence. On aime rendre hommage aux héros de sa lignée. Un premier roman est aussi fait pour cela, saluer les mémoires.
Block 46 s’inscrit dignement dans la liste des thrillers que l’on conseille les yeux fermés.
Et vous, quel est le dernier roman noir qui a su vous emporter ?
Belle critique.
Pour l’instant pas de roman noir en vue car j’ai justement envie de légèreté après mes dernières lectures. J’ai donc entamé aujourd’hui « Un mariage poids moyen » de John Irving. Bon, on ne se tape pas sur la cuisse en éclatant de rire mais ses personnages sont tellement atypiques et déjantés que cela fait sourire.
Merci 🙂 ça fait bien longtemps que je n’ai pas lu de roman léger, roh lala ! Je n’ai vraiment pas l’habitude de me tourner vers ce genre en cas de panne de lecture.
Je ne sais pas… Je ne lis que très rarement les polars… Sinon, quasiment tous les livres que je lis sont assez sombres.