Comme beaucoup d’entre vous très certainement, j’ai entendu parler de Pierre Lemaitre pour la première fois grâce à son roman Au revoir là-haut, qui a reçu le prix Goncourt en 2013. Cette lecture était inscrite dans ma liste depuis quelques mois, mais avant de me lancer j’avais envie d’un amuse-bouche, me permettant de découvrir l’auteur autrement qu’avec son plus grand succès. Je me suis donc naturellement dirigée vers son premier roman, qui inaugure une série policière mettant en scène un certain Verhoeven. C’est bien la première fois que j’agis avec autant de minutie dans mes choix de lecture, en procédant dans l’ordre au lieu de piocher par-ci par-là dans la bibliographie de l’auteur.

Résumé de l’éditeur

Dès le premier meurtre, épouvantable et déroutant, Camille Verhoeven comprend que cette affaire ne ressemblera à aucune autre. Et il a raison. D’autres crimes se révèlent, horribles, gratuits… La presse, le juge, le préfet se déchaînent bientôt contre la « méthode Verhoeven ». Policier atypique, le commandant Verhoeven ne craint pas les affaires hors normes, mais celle-ci va le laisser totalement seul face à un assassin qui semble avoir tout prévu. Jusque dans le moindre détail. Jusqu’à la vie même de Camille qui n’échappera pas au spectacle terrible que le tueur a pris tant de soin à organiser, dans les règles de l’art…….

Mon avis

Travail soigné porte merveilleusement son titre, que ce soit par sa qualité d’écriture, par la finesse de son intrigue, ou la mise en scène des crimes parsemant le récit. Je peux l’affirmer sans me tromper, ce livre se classe directement parmi ceux dont je me souviendrai longtemps après la lecture. Il comporte un certain nombre d’éléments ayant tout pour me séduire. Avec le temps, j’avais la triste impression d’être devenue non pas désabusée, mais plutôt d’une exigence frustrante face aux nouveaux polars. Il faut dire que des centaines de ces livres me sont passés entre les mains, et retrouver les mêmes personnages stéréotypés englués dans des enquêtes aux contours similaires a fini par m’écarter doucement de ce genre de lecture, qui est pourtant celle m’ayant fait vivre les émotions les plus vives.

Est-ce à dire que Travail soigné m’a définitivement « réconciliée » avec le genre ? Je pourrais y croire, car ce livre m’a offert quelques heures de jouissance intense qu’il m’a été impossible d’interrompre. C’est le livre par excellence que je peux lire en tous lieux. Travail soigné vient redonner ses lettres de noblesse au genre car il réussit là où beaucoup d’autres ont échoué, à savoir donner du style à un polar. Pierre Lemaitre ne se contente pas de retranscrire une intrigue en faisant l’impasse sur un effort d’esthétisme, que d’aucuns jugeraient inutile ici. Il nous propose une œuvre littéraire, et c’est plutôt rare pour être souligné. Les phrases sont belles, les tournures recherchées et les mots délicatement assemblés. Il sublime les scènes d’horreur, souligne les émotions quand il le faut, sans jamais en faire trop en sombrant dans le pathos. Il rend finalement hommage de la plus belle des manières aux œuvres qu’il cite.

Car l’intrigue de ce roman repose sur une série de crimes qui se veulent les reproductions exactes des meurtres clés de grands romans policiers. Il n’en fallait pas plus pour piquer ma curiosité. J’ai aimé cette idée, tordue, totalement aliénée mais agréablement référencée, qui nous dresse le portrait-robot d’un tueur dont la singularité et la maîtrise font froid dans le dos. Cette enquête à tiroirs sera menée par un certain Verhoeven, accompagné de ses trois collègues aux personnalités bien distinctes. Je suis toujours impatiente de découvrir la manière dont, dans ce genre de roman, l’auteur nous dépeint son personnage principal, quelles caractéristiques il a souhaité lui attribuer; celui d’un homme alcoolique divorcé comme on en trouve par centaines ? Cette fois-ci non, Verhoeven semble heureux avec sa femme enceinte jusqu’au cou, ne boit pas une goutte d’alcool, et est d’un abord plutôt sympathique. En voilà un qui sort de l’ordinaire. D’autant plus que, je ne sais pour quelles raisons, mais ce « détail » m’a plu, l’auteur a choisi de lui donner les traits d’un homme mesurant 1m45. Ceci est on ne peut plus étonnant dans un tel milieu professionnel. Néanmoins, l’auteur ne s’attarde pas trop sur cet aspect physique de son héros, bien qu’il en use de manière subtile et parfois drôle.

Concernant l’intrigue, il m’est difficile, voire impossible de vous en parler correctement sans vous livrer les ficelles du dénouement. En effet, la direction empruntée par l’auteur prend un virage à 180° en cours de route qui vient remettre en question le récit entier et dont nombre de lecteurs seront déconcertés.

Malheureusement pour moi, et encore une fois ceci est en partie dû au résumé présenté par l’éditeur (je suis définitivement fâchée avec les quatrièmes de couverture), j’ai deviné en cours de lecture quelques ficelles décisives, et mon étonnement devant la tournure prise par les évènements en a été amoindri. En effet, ce fameux résumé (celui que je vous présente plus haut) donne à mon goût trop d’indices, qui passent certes inaperçus à sa seule lecture, mais qui prennent une dimension particulière au fil des pages pour les lecteurs attentifs. Ce souhait de l’éditeur reste un mystère, mais cela est une autre histoire. Toujours est-il que le coupable ne m’a pas été un secret bien longtemps, d’autant plus que mes certitudes n’ont à aucun moment été ébranlées. Il faut souligner que le nombre de suspects proposé est plutôt restreint. Néanmoins, et c’est là toute la réussite de ce roman, être au fait de cette information cruciale n’a pas rendu ce dernier moins captivant. Une intrigue saisissante, un rythme parfaitement équilibré, et des personnages ni trop exubérants ni trop effacés, font que l’intensité de ma lecture a pu être préservée jusqu’à la dernière page. J’ai été époustouflée par le final qui, bien qu’une partie du mystère me soit connue, est parvenu à me mettre dans une position délectable, celle d’avoir été manipulée.

Ce livre mériterait d’ailleurs une seconde lecture, plus chirurgicale. Car, le fin mot de l’histoire décidé par l’auteur le place dans une situation où il se devait d’être d’une exigence sévère pour tous les détails dont il a voulu agrémenter son récit. Son intrigue est complexe, innovante et fascinante. L’idée a été parfaitement bien exploitée, et pour un premier roman c’est assez remarquable, car nécessitant un travail d’une méticulosité et d’une rigueur toutes particulières.

Ce roman n’échappe cependant pas à quelques points négatifs, ou plutôt obscurs; notamment en ce qui concerne le mobile du meurtrier, car il en faut un, de mobile. Je constate que bien souvent cet élément est traité de manière trop superficielle; ici il est tiré par les cheveux jusqu’à la limite du déracinement. Disons que les motivations du personnage sont pertinentes, et ont le mérite de sortir du lot des mobiles sordides prenant leur source dans une enfance violentée. Mais une telle ambition me paraît difficilement conciliable avec la précision scabreuse des crimes. Je ne vous en dirai pas plus bien évidemment, néanmoins, malgré la qualité certaine de l’intrigue, il faut bien admettre que ceci est bien léger face à l’atrocité et au degré de préparation des meurtres. Mais l’originalité de l’intrigue vient vite faire oublier ce détail, qui n’en est pas vraiment un, car on sent que l’auteur a voulu son récit cohérent en tous points, et il l’est.

Pour les amateurs du genre, je pense que ce serait bien dommage de passer à côté de Travail soigné qui est selon moi une réussite, d’autant plus qu’il s’agit d’un premier roman. Je vais m’empresser de lire Au revoir là-haut, d’un tout autre genre cette fois, en plus de m’atteler bien évidemment à la suite des aventures de Verhoeven qui promettent d’être tout aussi croustillantes.

Et vous, avez-vous lu l’un des romans de cet auteur ?

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