Des Rougon-Macquart, il ne me restait plus que trois volumes à lire ; ceux qui m’inspiraient le moins : L’Argent, La Débâcle et Son Excellence Eugène Rougon. Comme il serait dommage de ne pas terminer la série, je m’oblige à tous les lire. Cette fois-ci, Zola nous emmène au cœur de la politique du Second Empire, auprès d’un homme croisé dans quelques autres romans, Eugène, le fils de Pierre et Félicité Rougon, monté à la capitale pour faire son droit. La politique plane sur tous les récits de Zola, le contexte de l’époque permet de mieux comprendre les parcours des uns et des autres, leurs difficultés et leurs conditions. Mais la perspective de lire un roman abordant ce seul sujet m’effrayait quelque peu ; je craignais qu’il ne me faille une valise de connaissances que je ne possède pas.

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Les mœurs politiques du IIe Empire, observées par l’œil impitoyable de l’auteur…
L’ascension d’Eugène Rougon, dévoré d’ambition et sans scrupules…
Il parviendra, avec l’appui de la belle Clorinde, aux plus hautes fonctions. Mais son despotisme et son orgueil provoqueront sa chute.
Saura-t-il à force de reniements, reconquérir la faveur de l’empereur ?

Mon avis

Ce roman est une critique acerbe de l’organisation politique de l’époque. La scène initiale nous expose une séance à la Chambre des députés. Le lecteur sera désarçonné par le ton et la futilité des sujets abordés. En effet, ces hommes de pouvoir discutent de questions toutes plus secondaires les unes que les autres ; quand il ne font pas des commérages autour des petites histoires de cœur de chacun. Ainsi, le thème du jour concerne le baptême du prince royal et le budget qui lui sera alloué.  Nous découvrons à cette occasion les personnages centraux du roman, le cercle d’intimes entourant Eugène Rougon dont la démission, acceptée par l’Empereur, marque le début du récit.

L’histoire repose sur l’enchevêtrement de liens entre l’homme à ceux qui dépendent de lui. Il les pense être ses amis, mais il explique leur amitié par son statut et son influence auprès de l’Empereur. Eugène Rougon est un homme dont l’existence n’a de sens qu’en rendant service à son entourage. Il ne jure que par le pouvoir, non acquis seul mais construit par rebonds sur les autres. Il observe son ascendance à travers son reflet dans le regard, quémandeur, de sa suite, de sa cour d’intimes. Il aime être sollicité, il aime avoir en ses mains la capacité de changer le destin d’un individu, il aime être celui en qui tous espèrent. Aussi, il pourrait paraître altruiste, dévoué voire humaniste, mais dans les échanges avec ses prétendus amis, dans les réceptions qu’il organise, il n’est guère celui dont la compagnie est apaisante. Il se moque de tout, s’il ne peut avoir un rôle à jouer. Il recherche la reconnaissance, la représentation ; il est un homme figé dont l’unique but est de régner.

Mais Eugène a une faiblesse, la femme, ou plutôt Clorinde ; car il ressent un dégoût profond pour toutes les autres, dont il ne comprend ni la pensée, ni l’attitude, ni cette sensibilité étrangère effrayante et incontrôlable. Clorinde est une femme-enfant, insaisissable, capricieuse, s’amusant de ses charmes, se rendant laide ou belle, elle joue de son physique, elle joue avec les hommes, et surtout avec M. de Plouguern, son beau-père, mais elle est attachante ;  elle me rappelle Nana. Clorinde est une passionnée, elle est l’inverse de celui que pourtant elle admire, Eugène. Aussi, elle décide de mettre son nez dans les histoires politiques, par malice, curiosité, naïveté, pour tenter de relever Rougon, de le réinsérer dans l’organisation dirigeante. Elle possède un esprit vif, lui permettant de se rapprocher de l’Impératrice, de se faire connaître. Elle joue à l’enfant devant Rougon uniquement ; elle a bien cerné ses faiblesses. . Il n’ose l’épouser, ce serait indécent, outrageux. Aussi, il la marie à son plus fidèle ami, Delestang. Clorinde ne peut être que l’amante. De son côté, Eugène choisit comme épouse une femme fantôme, absente, affable et presque muette. Le stéréotype de l’opposition entre la femme morne et fade et l’amante pétillante est ici une nouvelle fois usité. Leurs petits jeux peuvent ainsi continuer, dans les alcôves, les couloirs, derrière une porte. Le lecteur découvre alors un Eugène bien impuissant, à la séduction facile, il se laisse manipuler, triturer, comme un vulgaire pantin ; mais n’obtient rien de charnel. Clorinde se refuse à lui et s’affiche au bras de son adversaire par provocation. Elle le tient en joug, c’en est risible, c’en est pitoyable, beaucoup trop commun, répétitif, le même schéma intemporel, inconditionnel. L’homme abhorrant le sexe faible devient minuscule face à une seule. Il désire sa chair, il désire ses bras, il désire ses lèvres puisqu’il ne les a encore jamais obtenus.

En parallèle, ses tentatives pour aider ses amis s’avèrent médiocres. Il fait des promesses qu’il est incapable de tenir ; il persiste malgré l’agacement, il continue à alimenter les espoirs sans mesurer les risques, sans même envisager un possible échec. Il n’ose dire non. Ses engagements sont des challenges et non de la bienveillance. La désillusion chez son entourage  succède enfin à l’attente. L’admiration laisse la place à la colère puis à la haine.

Ce roman expose les amitiés intéressées, la perversion du pouvoir, la corruption et l’illusion des positions confortables. Il évoque le jeu d’influences entre l’autorité politique et la séduction. Zola a compris les grands drames de son époque. Les mêmes histoires se renouvellent. Aussi, le récit d’Eugène est de manière étonnante mais non moins affligeante applicable à toutes les époques, la nôtre n’y échappant pas, bien au contraire. Ce sont les lobbies, la malversation, le chantage et l’escroquerie. Ce roman m’a désolée. Je déteste la politique, ou plutôt non, on ne peut détester la politique ça n’a aucun sens, je déteste le monde de la politique, ses apparences, ses rouages, ce qu’elle octroie à des individus nuisibles. Mais lorsque se mêle à l’autorité des hommes la tentation féminine cela devient nauséeux.

Son Excellence Eugène Rougon n’est certainement pas le meilleur de la série ; mais le récit est efficace, certes plus convenu que les autres, moins puissant, moins mémorable, plus lisse. Zola se devait d’inclure une intrigue politique dans son œuvre, il ne pouvait faire l’impasse sur ce thème. La prochaine fois je m’attellerai à celui de la finance avec L’Argent. Je l’avais entamé l’année dernière, mais l’ai rapidement abandonné à cause d’un préambule beaucoup trop axé économie…

Et vous, quel(s) roman(s)s avez-vous lu(s) de Zola ?

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