Pourquoi ai-je donc lu ce livre ?

Cette mauvaise expérience a pour origine un conseil, promulgué par un auteur rencontré lors d’un salon du livre qui m’a vanté les mérites de ce roman. La discussion avait pour point de départ un échange sur le style, que ce dernier m’a décrit comme « incisif, fait de phrases courtes ». Ce à quoi j’ai répondu quelque chose du genre : « Oh ! J’en ai ma claque des phrases courtes. » Ceci ne présageait déjà rien de bon et nous aurions dû en rester là ; ce qui aurait été un moindre mal. Mais l’idée a fait son chemin. Et le fait que le prescripteur en question soit un homme a beaucoup joué. Je reçois trop peu d’avis littéraires masculins pour ne pas les écouter ; surtout quand ils m’indiquent une lecture 100 % féminine.

Extraitça raconte Sarah - Pauline Delabroy-Allard

Ça raconte Sarah, sa beauté mystérieuse, son nez cassant de doux rapace, ses yeux comme des cailloux, verts, mais non, pas verts, ses yeux d’une couleur insolite, ses yeux de serpent aux paupières tombantes. Ça raconte Sarah la fougue, Sarah la passion, Sarah le soufre, ça raconte le moment précis où l’allumette craque, le moment précis où le bout de bois devient feu, où l’étincelle illumine la nuit, où du néant jaillit la brûlure.

Mon avis

Ça raconte Sarah est le récit d’une illumination, d’une bascule, d’un amour. Une femme en rencontre une autre lors d’une soirée. Hétéro, jeune maman, bien rangée, elle succombe pourtant aux charmes exotiques d’une violoniste qui croque la vie de façon psychotique ; un personnage inexistant, fantasmé par l’auteure, déroulée dans l’excès. Dans cette extase, la narratrice plonge sans questionnement, sans aucun doute. Elle saute dans la mare d’une passion annihilante, les deux pieds joints,  s’y noie délibérément, effrontément, obstinément. La suite c’est tout ceci, soit la description minutieuse et répétitive de ce que Sarah provoque en elle, de ce qu’elle a libéré, révélé, arraché. Je n’y ai malheureusement pas cru ; à aucun moment la rage des deux femmes ne m’a heurtée. L’affaire est trop brutale, impulsive, irréfléchie, fusionnelle pour m’attendrir ou m’emporter.

Après cette  nuit d’ivresse qui dure une éternité vient une seconde partie, dans laquelle la déchéance de la narratrice, partie en exil pour pleurer sa bien-aimée à la manière des amants d’une autre époque, nous est lentement relatée. De telles fuites existent-t-elles encore de nos jours ? Sont-elles seulement possibles ? J’en doute.

En définitive, ce roman tourne en rond, la narratrice s’observant le nombril et ruminant sa passion avec la naïveté d’une farouche adolescente. Le lecteur en aura vite marre de lire que Sarah est comme ceci, ou bien comme cela. Elle nous est décrite en long en large et en travers à travers les yeux d’une femme follement éprise qui partage ses émois non pour mieux les comprendre mais pour pleurer encore plus sur sa pitoyable aventure.

Les chapitres, succincts comme des post-its sont des instants, des pensées semées çà et là, des rencards, du sexe. Une alternance de Je et de Elle, et des répétitions, beaucoup de répétitions, pour se donner un genre sans doute.

Héroïne fadasse, effacée, inconsistante, fantomatique, la narratrice ne sert que de réceptacle à des sentiments sans doute vécus par l’auteure pour être tant et tant ressassés. Sarah se veut personnage original car insaisissable, mais on la voit trop ces derniers temps cette héroïne aux sentiments explosifs et inconstants. Le duo est finalement commun, la passion sans saveur, les scènes charnelles grotesques car crues comme il est actuellement tendance de les décrire ; mais peut-être en font-elles fantasmer quelques-uns, sans grande imagination.

Il n’y a aucune histoire, aucun roman. C’est un déversement, un flux, une décharge ; rien d’autre. La deuxième partie se veut un poil dramatique, close ; mais elle est stupide car peu crédible. Et puis je n’en peux plus de ces romans qui jettent des enfants dans des situations impossibles. Des enfants qui sont là pour dire que nos héros sont parents malgré tout, mais qui sont oubliés, abandonnés pour servir une intrigue égoïste, circulaire, pauvre. Des enfants secondaires, posés là pour inscrire nos personnages dans une réalité responsable, adulte ; ils n’ont même pas de prénom, c’est vous dire.

Sarah et la narratrice sans identité sont des personnages enfantins, témoignant d’une triste époque où le Moi prime, où seule la satisfaction de soi compte, où l’autre n’est qu’un moyen pour s’élever. On raconte la destruction pour jouer au poète maudit, la déchéance comme seule voie d’accès à la connaissance, à l’expérience, à la vie. Cette manière de se livrer n’est pas pour moi.

Ça raconte Sarah ne pouvait pas me plaire, c’était évident. Je ne sais pas apprécier ce genre de récit qui ne suit aucune trame, qui ne cherche pas à satisfaire le lecteur et qui semble être écrit par pur égoïsme et, j’ose le dire, narcissisme. Aucun effort n’est fait pour susciter la curiosité, la surprise, la satisfaction, l’immersion. L’auteure a voulu raconter Sarah avant tout pour elle-même. Ces pages auraient aussi bien pu être extraites de son journal intime. Cette littérature me déplaît et m’agace. Je ne lui trouve guère d’intérêt et regrette qu’elle soit trop souvent glorifiée. Elle se pense innovante, avant-gardiste, recherchée, créative mais elle se copie et s’étouffe.

Ça raconte Sarah ne raconte rien. Ça raconte Sarah est d’un ennui profond. Ça raconte Sarah est limité, cloisonné. Il y aura les lecteurs hermétiques, comme moi, et d’autres plus enthousiastes qui seront obligés d’adorer cette histoire car l’aimer à moitié c’est déjà soupçonner l’insuffisance de son contenu.

Et vous, l’avez- vous lu ou souhaitez-vous le découvrir ? 

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