Après une panne de lecture et plusieurs abandons successifs m’ayant beaucoup irritée, c’est finalement ce roman que je suis parvenue à achever. J’avais beaucoup apprécié Amours de la même auteure. Sa fine plume, sa sensibilité, ses personnages tourmentés m’ont séduite. Pietra Viva me paraissait bien différent puisque, selon toute vraisemblance, il s’agissait d’un roman historique autour du génie Michel-Ange.
Résumé de l’éditeur
Michelangelo, en ce printemps 1505, quitte Rome bouleversé. Il vient de découvrir sans vie le corps d’Andrea, le jeune moine dont la beauté lumineuse le fascinait. Il part choisir à Carrare les marbres du tombeau que le pape Jules II lui a commandé. Pendant six mois, cet artiste de trente ans déjà, à qui sa pietà a valu gloire et renommée, va vivre au rythme de la carrière, sélectionnant les meilleurs blocs, les négociants, organisant leur transport. Sa capacité à discerner la moindre veine dans la montagne a tôt fait de lui gagner la confiance des tailleurs de pierre. Lors de ses soirées solitaires à l’auberge, avec pour seule compagnie le petit livre de Pétrarque que lui a offert Lorenzo de Medici et la bible d’Andrea, il ne cesse d’interroger le mystère de la mort du moine, tout à son désir impétueux de capturer dans la pierre sa beauté terrestre…
Mon avis
Je ne lis que très rarement des romans prenant appui sur un personnage ayant existé. Et pourtant, l’idée me plaît. Ici c’est largement romancé, l’auteure part d’éléments historiques pour construire un univers fictif qui est une « possibilité » dans la vie de Michel-Ange. Elle élabore des théories sur sa personnalité, sa psychologie, ses motivations.
Et pourtant, j’ai traversé cette histoire sans jamais y être imprégnée. Je l’ai suivie de très loin, sans trouver la porte d’entrée me permettant d’inscrire mes pas dans ceux de Michel-Ange. C’est un genre de littérature dont je n’ai pas l’habitude, qui me laisse perplexe et légèrement indifférente. Je m’explique.
Ce roman nous narre un épisode de sa vie, son long séjour dans les carrières de Carrare afin de rapporter les blocs de pierre destinés à la sculpture du tombeau du pape Jules II, pour laquelle il a été missionné. Ce périple d’ordre matériel sera perturbé par des événements oniriques, fantasmatiques, mémoriels. La veille de son départ est marquée par le décès prématuré d’Andrea, un jeune éphèbe qu’il connaissait à peine mais dont la beauté l’a toujours fasciné.
Afin de connaître le corps humain dans le plus infime détail, afin de tendre vers la perfection dans sa représentation, Michel-Ange a pratiqué de multiples autopsies. Mais ici l’aspect chirurgical de l’acte est mis de côté, le corps n’est qu’une enveloppe, un paysage de monts et de vallées. Bien que le livre s’ouvre sur une scène médicale, ce n’est pas d’un point de vue scientifique que l’auteure « dissèque » l’artiste. Elle lui préfère l’homme et ses rêves.
Ce n’est pas non plus le visage d’un peintre, c’est à peine celui d’un sculpteur, non c’est d’un ermite, misanthrope convaincu et acharné de travail qu’il est question. Michel-Ange est en lutte avec des démons intérieurs, prenant la forme de deux individus pour toujours absents, sa mère, décédée quand il était jeune enfant, et le fameux Andrea. Ils sont deux fantômes errant dans les rêves de Michel-Ange, se matérialisant parfois dans des hallucinations. Ils s’accompagnent d’un cortège de sensations, odeurs, sons, palpations, visions ; fragments d’un passé révolu ou élaboration du rêveur qui pioche dans son environnement pour réanimer ces figures.
Michel-Ange navigue dans ses souvenirs, les reconstruisant, les modelant au gré des expériences qu’il vit mais aussi de ses rencontres. Car au cours de son voyage il est amené à côtoyer un certain nombre d’individus d’horizons divers, des enfants, des pieux, des tailleurs de pierre, des familles endeuillées. Il abhorre le contact humain, fuit les conversations et les attroupements, est révulsé par les enfants, mais il est contraint de faire bonne figure, de se faire apprécier, de là dépend sa carrière, la seule chose qui compte pour lui.
Dans ce roman beaucoup de choses nous sont dites sur l’homme qu’était Michel-Ange, mais trop peu sont abouties. M’a manqué le génie, indiscernable sous les traits de cet homme antipathique. Qu’il soit détestable ne me dérange guère, au contraire, j’aime cette rugosité et le contraste entre la beauté de l’objet et la laideur de son créateur. Mais de génie je n’ai vu, de talent non plus, de sensibilité encore moins.
Des bribes d’information sont mises bout à bout pour constituer un portrait inachevé, perforé par des manques. Mais peut-être l’homme n’était-il fait que de manques justement ? À travers son œuvre il comble indéfiniment ces vides. Parallèle intéressant avec la quête incessante de la pierre parfaite, pleine, lisse, sans rainures, de laquelle il extrait ses personnages, comme des naissances. La matière minérale a une place essentielle dans sa vie, dans son Œuvre et dans ce livre. Leonor de Recondo a choisi d’exhiber son personnage à l’amont de son travail de création, dans la recherche du matériau. Avant même d’y faire glisser ses outils, de le faire sien et de le métamorphoser, il doit l’arracher de la montagne. La symbolique est puissante. Cette extraction rappelant celle de Michel-Ange, qui doit se défaire de ses fantômes. C’est l’objet même du livre.
En refermant Pietra Viva il m’a fallu aller fouiner davantage pour savoir, pour comprendre, qui était Michel-Ange. C’est à la fois contradictoire et logique. Car je perçois qu’à travers ce texte, Leonor de Recondo a souhaité nous montrer un génie intime, un génie humain et faillible, et qu’en cela le lecteur n’aurait pu être plus près du personnage. Mais à l’inverse, cette vision installe une hauteur avec le sujet qui me déplaît. Peut-être l’auteure a-t-elle trop élagué, sculpté, son personnage pour garder certes l’essence de ce qu’il est, un amas formé de souvenirs, mais il s’agit de Michel-Ange, non d’un personnage contemporain familier dont on connaîtrait les grandes lignes de la biographie et de la personnalité.
Ce récit est une sorte de parcours initiatique, un petit conte très intime. Le héros navigue dans son monde intérieur, dans sa propre histoire, et reconstruit son passé, se le réapproprie pour atteindre un état de sagesse où le regret se transforme en nostalgie, où les souvenirs s’adoucissent ; un état d’acceptation de soi. C’est la phase de transition entre l’homme renfermé et l’homme assumé.
Vous l’aurez compris, ce texte aborde de nombreux thèmes, de manière plus ou moins franche. L’on nous parle de l’homosexualité de Michel-Ange, découverte pour moi. Paraît-il qu’il a fallu un certain temps avant que ce fait soit considéré comme véritable. Est évoqué aussi le rapport à la mère, le vide abyssal que son absence a laissé dans son cœur. Cette mère dont il n’a pratiquement aucun souvenir et qui entre en interférence avec les images de sa nourrice, plus réelles, plus charnelles. Sont évoquées aussi ses amitiés, difficiles, bien souvent à sens unique. Michel-Ange l’égoïste, Michel-Ange l’asocial, Michel-Ange qui ne sait où se situer face à l’autre, Michel-Ange le maladroit quand il s’agit d’exprimer un ressenti. Est aussi évoqué en filigrane son athéisme, son absence de croyance, ou plutôt son indifférence, alors même que dans son art il retranscrit des scènes religieuses. Nous sommes à la Renaissance ne l’oublions pas, ce qui se vend ce sont essentiellement des images bibliques. L’idée est intéressante et je regrette que cet élément ne soit pas plus développé.
Ce récit est très psychanalytique en fin de compte. Il aurait pu s’appeler Michel-Ange sur le divan, car s’y trouvent l’étude des rêves, des fantasmes, des associations libres, une symbolique omniprésente et des personnages à mi-chemin entre le guide et l’oracle. Michel-Ange est un être de désir, à l’ambition titanesque mais rongé par des images tenaces. Ce roman est un instant, celui d’une lucidité avant l’après.
L’idée de départ était séduisante mais en refermant ce livre je me suis sentie ni transportée, ni repue d’enseignements. L’on ne sait où l’auteure nous mène, l’on attend un rebondissement, un évènement perturbateur qui bien sûr ne vient pas, le ton du récit ne trompe pas. C’est un livre atypique qui peut plaire j’en suis certaine car il est délicat, raffiné, intellectuel, presque trop. Je regrette de ne pas l’avoir davantage apprécié tant il était alléchant sur le papier.
Pietra Viva est un roman ambitieux, original et très fin, qui a pourtant glissé sur moi sans y laisser aucune trace. Je ne lui trouve pas de réels défauts, hormis ce manque d’approfondissement que j’avais précédemment noté dans Amours, mais la rencontre n’a pas eu lieu.
Et vous, regrettez-vous parfois de ne pas avoir apprécié un livre ?
Oui, parfois, surtout quand un livre est considéré comme un chef-d’œuvre et qui moi me laisse de marbre… J’ai parfois l’impression d’avoir raté quelque chose.
Bon ici ce n’est pas un chef-d’oeuvre donc j’ai moins de scrupules, mais quand ça arrive avec un roman encensé j’ai comme toi l’impression d’être passée à côté d’un truc.
J’ai eu le même ressenti que toi : il n’a laissé aucune trace en moi.
Je suis allée lire ton article et on a effectivement le même avis…Par contre tu n’as pas aimé Amours d’après ce que j’ai compris.
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