Je n’aurais jamais dû lire ce roman, tout du moins je ne me serais jamais orientée naturellement vers lui ; la couverture ne me plaît pas du tout, elle fait très « roman érotique cheap ». C’est en entendant parler de lui lors d’une émission, et en découvrant le prénom de l’héroïne, Céleste, prénom de ma fille, que j’ai décidé de me le procurer. Cela peut paraître bête, se décider sur ce genre de détail qui, soyons clair, n’a aucune incidence sur l’intrigue en elle-même ; sachez pourtant que le prénom, dans la vie comme dans en littérature, est pour moi bien plus qu’un détail. Au-delà de celui-ci, il y a l’histoire bien sûr, mêlant abus sexuel et maternité…
Tandis que son épouse dort paisiblement, Anselme le notaire abuse de Céleste, la jeune bonne, qui tombe enceinte. Pour sauver l’honneur de tous, Victoire décide d’adopter l’enfant. Mais elle n’a pas la fibre maternelle, et le nouveau-né dépérit. En cachette, Céleste va tendrement prendre soin de son petit. Une nuit, Victoire les rejoint dans la chambre sous les combles…
Mon avis
Le résumé est tout de même étrange, atypique. Il s’arrête sur une scène précise, cruciale, « Victoire les rejoint dans la chambre sous les combles… » ; phrase m’ayant laissée perplexe quant à son implication. Que s’est-il donc passé dans cette chambre pour que l’auteur du résumé décide d’y apposer les points de suspension annonciateurs d’un événement décisif ?
Revenons en arrière. Nous suivons donc la jeune Céleste, dont le prénom, aussi beau soit-il, aussi lumineux et romantique, ne reflète absolument pas la triste existence ; aussi il ne pouvait être mieux choisi. Céleste, après une enfance auprès de parents désabusés à l’affection douteuse, se retrouve employée dans la demeure bourgeoise d’un couple sans enfant. L’infertilité plane sur la maison, le doute quant à son origine persiste, sinueux. Elle viendrait peut-être du père, sorte de malédiction familiale, ou bien de sa seconde épouse, comme de la première ; les deux n’ayant jamais enfanté. Anselme est pourtant heureux en ménage, il aime profondément sa femme, bien que froide à ses côtés, dans le lit conjugal surtout ; aussi, il s’octroie régulièrement un petit plaisir dans « les bras » de la fébrile Céleste, impuissante. Huguette, la gouvernante, est au courant, mais lui suggère le silence. Tout est contre Céleste, son entourage, sa condition, son époque, son propre corps et bientôt sa sexualité. De cet adultère naîtra bientôt un petit garçon, Adrien, la fierté d’Anselme, soulagé de se savoir fécond.
Jusqu’à la fameuse scène de « la chambre », je croyais lire le simple récit d’une malheureuse destinée, celle de Céleste. Je pensais découvrir son combat pour faire reconnaître sa maternité, sa lutte contre Victoire, qui s’est autoproclamée mère d’Adrien sans avoir subi la grossesse et la violence d’un accouchement, alors même qu’à la découverte de la future naissance elle souhaitait faire avorter sa bonne. Victoire, figure jusque-là absente de l’histoire ; l’épouse soumise du maître de maison, triste, aigrie, désillusionnée, bien fade à côté de l’innocente et fraîche Céleste.
Puis, leur maternité partagée va tout bousculer. Les corps vont se réveiller, les émotions vont être exacerbées. C’est donc dans le secret d’une chambre de bonne, auprès d’un nourrisson ballotté, inscrit dans un schéma parental perturbé bien avant sa naissance, que Victoire et Céleste vont se rencontrer, se découvrir et s’aimer.
Je me suis tout de même interrogée. Passée la stupeur de cette révélation, j’ai eu besoin de comprendre ; y avait-il des signes annonciateurs ? La fascination pour leurs corps aurait pu me renseigner, l’intérêt de l’une pour les corsets de l’autre, la stupeur de Victoire face au ventre arrondi de Céleste devant lequel elle s’extasie. Mais non. Le regard des femmes entre elles est bien souvent porteur de désir, de convoitise, d’évaluation ou de reconnaissance ; elles ont besoin de ce miroir pour se sentir belles. Je n’ai pas soupçonné dans leur contemplation mutuelle la graine d’un amour véritable. Je croyais Victoire jalouse, et Céleste curieuse.
Aussi, leur premier contact, celui de deux amantes, m’a désarçonnée. C’était donc ça. Le récit a pris une tout autre tournure. Il m’a fallu de nouveaux repères. Anselme n’était plus le violeur pitoyable, il était aussi le mari trompé ; encore plus minable. Mais il ne pouvait lutter, dans l’ignorance de ce qui se tramait entre son épouse et la mère naturelle de son enfant. Nous assistons alors à l’éclosion de Victoire. Elle devient pétillante, enjouée, exaltée, amoureuse de la vie, de Céleste. C’est une tout autre femme, méconnaissable. Mais aux côtés d’Anselme elle reste froide, elle sait qu’elle ne pourra jamais l’aimer ; il ne peut rivaliser face à la candide Céleste.
Cette dernière à l’inverse se fane, dévorée par un amour naissant, qui la dépasse, dont elle ne saisit pas la portée, qu’elle ne peut expliquer, intégrer. Elle est si jeune. Et puis, il y a Adrien, cet enfant adultérin, sorti de son corps mais auprès duquel elle est mère seulement la nuit. Le jour, il est le fils adoré de Victoire et Anselme. Comment peut-elle laisser éclater ses sentiments puisque aucun ne serait toléré, hormis par celle lui vouant une adoration sans limite mais si naïve. Son cœur est déchiré, partagé entre Adrien et Victoire. Dans l’impossibilité de vivre ses amours elle n’a plus qu’une solution…
Amours est un roman complexe, surprenant, poignant, douloureux. Il convoque plusieurs images antinomiques autour d’un même personnage ; une maternité volée, une sexualité interdite, une passion impossible. Lorsque toute source d’amour est tarie que reste-t-il ? Malgré l’attachement charnel, puissant, soudain et possessif de Victoire, Céleste est irrémédiablement seule, confrontée à des événements sur lesquels elle n’a aucune maîtrise. Sa vie n’a aucun sens, son existence est soumise aux caprices égoïstes des uns et des autres ; on ne tolère ses désirs que s’ils sont réciproques. Elle est violée par Anselme mais aussi, d’une certaine manière, par Victoire ; celle-ci la force à ne désirer qu’elle, à être insouciante face à l’avenir, à croire en leur relation. Mais elle oublie Adrien, n’a que peu de considération pour lui…Ce petit être qui se lève entre elles deux, à l’origine de tout. Amours détruit la maternité, la maltraite, la dénie, bouleversant toute logique. Le roman se referme sur Céleste, tristement. Le lecteur la pleurera, il aura assisté à la mort de l’étoile.
Amours m’a étonnée et bousculée. Il aborde des thèmes forts de manière unique et osée. J’ai beaucoup apprécié le ton, juste et délicat, et la plume de l’auteure, sensible et précise ; elle est somptueuse dans la description des plaisirs, physiques ou fantasques, féminins. Je regretterais peut-être un manque d’approfondissement des rares péripéties. De plus, d’une page à une autre les sentiments changent, les idées évoluent. Certaines longueurs auraient été bénéfiques, le temps d’intégrer les événements, de souffler un peu. Le récit est court, aussi il aurait supporté quelques pages supplémentaires.
Ce roman est une très jolie découverte, m’encourageant à découvrir d’autres récits de l’auteure, qui m’était jusque-là inconnue. Il est parfois bon de se laisser tenter sur un détail…
Et vous, connaissez-vous ce petit bijou ?
J’ai lu plusieurs billets sur ce roman, qui ont titillé mon attention mais pas encore au point de me le faire noter ou d’aller l’emprunter à la bibliothèque. Mais tu es vraiment enthousiaste, c’est tentant…
Oui, je te le conseille vivement 🙂
J’avais bien aimé le fait que l’auteur aborde ce thème de l’homosexualité à l’époque, et des convenances et images à sauver ; j’avais apprécié aussi la plume, mais je n’avais pas été aussi surprise, chamboulée que toi : Je n’ai pas ressenti autant de choses à la lecture, je m’attendais à plus. Cela dit j’en ai gardé une bonne impression général du fait de ses atouts.
Oui, peut-être l’auteure aurait-elle pu davantage développer certaines émotions. Le livre est relativement court aussi.
Livre très visuel, très facile à lire et oublié aussi vite que lu (en 24 h). J’ai bien aimé les personnages d’Huguette et Pierre, couple au service de cette maison bourgeoise, qui subissent tout sans rien dire
Mais le côté manichéen de cette histoire d’amour m’a agacée : il y a l’affreux prêtre qui fait tout basculer. Les autres personnages manquent de nuances et ne m’ont pas convaincue. En somme, il y a plus de vide que de plein. Mon imagination a été bridée par ce manque de complexité des personnages, il n’y a pas de surprise.
Ha justement, je ne suis pas d’accord pour « le côté manichéen », je trouve au contraire les personnages plutôt composés car leurs pensées évoluent au fil de l’histoire. Pour le manque de surprise, hormis peut-être la scène de la chambre, il est vrai qu’il n’y en a pas vraiment.
Ce roman est en tout cas sujet à discussion, les avis sont en demi-teinte, c’est intéressant 🙂
[…] c’est finalement ce roman que je suis parvenue à achever. J’avais beaucoup apprécié Amours de la même auteure. Sa fine plume, sa sensibilité, ses personnages tourmentés m’ont séduite. […]
[…] par le merveilleux roman Amours, j’ai jeté un œil plein de convoitise sur la récente parution de Léonor de Récondo, […]