Le sujet traité dans Victor Hugo vient de mourir est à la fois attrayant du fait de son ancrage historique, émouvant par l’illustre personnage dont il est question et fascinant, puisqu’il s’agit de faire de funérailles un roman. Alors j’ai voulu découvrir moi aussi les jours suivant la mort du grand Victor Hugo dont les rares images aperçues témoignent de la liesse populaire.

Résumé de l’éditeur

Le poète vient de rendre son dernier souffle et, déjà, la nouvelle court les rues, entre dans les boutiques, les ateliers, les bureaux. Paris est pris de fièvre. Chacun veut rendre un dernier hommage et participer aux obsèques nationales qui mèneront l’Immortel au Panthéon. Deux millions de personnes se presseront sur le parcours du corbillard en ce jour de funérailles intense et inoubliable.

Mon avis

Il faudrait tout de même décortiquer ce que regroupe le terme « roman », car après lecture je ne rangerai pas ce texte sous ce terme. Non pas du simple fait qu’il retrace un évènement historique comme si on y était, mais plutôt dans sa forme qui rappelle davantage le reportage, la chronique journalistique. Le flux romanesque est très léger.

L’histoire s’ouvre sur l’agonie d’Hugo, longue et impatiente, qui met en branle le Tout-Paris et le peuple, le mot « mort » au bord des lèvres. L’attente rassemble des milliers de curieux devant la demeure du poète, les choses s’organisent, il faut préparer les funérailles. Autour du malade, sa famille, dont de trop nombreux membres ne sont présents que comme esprits bienveillants, et ses fidèles amis ; l’ Église est mise de côté, Hugo refuse l’extrême onction, au grand dam des ecclésiastiques. Les bulletins de santé annoncent l’état du souffrant plusieurs fois par jour, les journaux sont au diapason, le peuple se transmet l’information avec l’efficacité du téléphone arabe. Puis Victor Hugo s’en va. La machine se met en branle. Toutes les couches de la société veulent célébrer leur Hugo, ses ennemis d’un jour s’en emparent, le glorifient, lui prêtent des paroles, des actes de bonté à eux destinés, tandis que ses admirateurs de toujours crient leur amour et pleurent celui qui a changé la face du monde.

Le mort est à peine refroidi que l’on s’arrache son corps. Sera-t-il enterré au cimetière du Père Lachaise comme les siens, ou entrera-t-il au Panthéon ? En ce cas il faut virer l’Église des lieux. C’est ce qui est prévu. La foule chipote, on leur vole leur Hugo, il ne sera plus accessible, ils ne pourront se recueillir librement. Et tous supputent sur ce qu’aurait souhaité Victor Hugo. C’était un bourgeois, oui, mais un bourgeois ami du peuple, pour preuve ses romans mettant en scène la vie des plus misérables, et ses poèmes engagés.

Nous suivons les groupes anarchistes, qui hésitent à faire esclandre — est-ce bien le moment et l’endroit pour se faire entendre ? — puis les syndicats, les ouvriers, qui veulent que le jour des funérailles soit au moins férié si ce n’est un dimanche, il y a la police et ses mouchards disséminés dans les quartiers généraux des dissidents, il y a les politiques, les moins émus depuis leur place de privilégiés, il y a aussi les journalistes, il faut vendre du papier, et les plus proches, ceux qui connaissaient le Hugo intime.

Ainsi, pendant que l’écrivain repose, l’enjeu à l’extérieur est de taille. Avait-il prédit une telle effervescence ? La bataille est contenue, on se tient un minimum, par respect pour le grand homme qui n’était pas un révolutionnaire, qui se situait au milieu de tous, et c’est pour cela qu’à présent on lutte pour mettre en avant son Hugo. Chacun a sa théorie sur le fond de l’homme, sur son essence, sur qui il était véritablement. C’était prévisible. Il est bien d’avoir ce genre de personnage comme symbole. Chaque siècle a le sien, il ne faut pas le louper.

Judith Perrignon retranscrit avec un souci de clarté et de vérité époustouflant les journées autour du décès de ce génie français. Les funérailles ont été photographiées, chroniquées, bavardées, les sources d’information sont multiples. Aussi l’auteur a exposé les évènements de manière chronologique et véridique, en suivant précisément plusieurs personnages clefs.

Mais il m’a manqué du romanesque ; j’ai plutôt eu l’impression de lire un article au plus près de la tragédie nationale, comme si la mort de Victor Hugo datait d’hier. Les funérailles de l’écrivain sont ici plus qu’un contexte, elles sont telles quelles, elles ne servent aucune intrigue. Les enjeux de chacun, une fois exposés, sont étirés, rabâchés tout au long du texte. Ces répétitions sont gênantes. Mais l’évolution n’est pas de mise car en quelques jours la France s’est figée, les idées aussi. Peut-être aurait-il alors fallu aller plus loin dans l’après pour mieux comprendre. Le récit est à la fois statique, on reste bloqué sur un évènement unique, et dynamique, on suit plusieurs individus.

À vouloir coller à la réalité de ces journées hors du temps dans leur déroulé le plus strict, l’auteur ne déborde pas du cadre politico-social qu’elle a choisi ; les personnages sont trop vrais, ils n’ont pas de dimension fictive, ils sont droits dans leurs bottes. Dans la manière d’écrire les faits, plume intéressante qui parfois décolle du trop réel, demeure toujours le ton emprunté par celle qui a le nez dans les archives. La mort de Victor Hugo est prise très au sérieux, c’est glacial, c’est bouleversant car l’on croirait y être. Les moindres détails du défilé nous sont dévoilés. C’est à la minute près que l’on a connaissance du programme de la journée. Alors, oui, bien sûr j’ai été émue et fascinée par ce grandiloquent, cette démesure qui, de nos jours, ne pourrait plus entourer le décès d’un intellectuel. C’était une autre époque, celle des grands hommes admirés de tous.

Si l’auteur souhaitait immiscer son lecteur dans les coulisses du drame elle y est parvenue avec brio, élégance et précision. Si elle aspirait à écrire un roman, je doute du résultat. Là où elle aurait pu insérer de la fiction c’était, par exemple, en piochant dans le peuple amassé dans les rues. Elle en aurait extrait des personnages, leur aurait inventé une existence, des ambitions, des idées, pour tisser une intrigue en parallèle au protocole des obsèques. En lieu et place de cela, elle se balade dans le Paris pour décrire des clichés, prenant en photo les personnages importants pour témoigner de leurs faits et gestes au lendemain des derniers souffles de Victor Hugo. Je ne dis pas que cet exercice n’est pas pertinent, puisque j’ai frémi à la lecture, plus devant l’ampleur des faits que par la construction narrative, mais élever les obsèques d’Hugo en y inscrivant des histoires intimes aurait été une manière autrement appropriée de rendre hommage à l’écrivain. Il aurait alors fallu écrire tout autre chose.

Victor Hugo vient de mourir est un livre pas forcément nécessaire, mais justement écrit et instructif sur l’un des décès ayant le plus marqué la France et les Français ; ou comment un enterrement devient à la fois politique et social. Je n’aurai pas vibré au gré de péripéties inventées, d’une trame finement élaborée, mais du fait de la grandeur du sujet abordé. Victor Hugo paraît plus imposant encore sur son lit de mort. Touchée j’ai été par la vague de tristesse submergeant toutes les classes sociales. Je vais rendre à l’auteur ce qui lui appartient, sa plume a aussi largement contribué à mon émoi. Si vous souhaitez vivre l’évènement tel qu’il s’est produit en 1885, ce livre sera idéal. Il questionne sur l’influence de l’homme qu’était Victor Hugo de son vivant. Ici mort, on veut le connaître vivant. Et c’est en plongeant dans son œuvre que l’on y parviendra. Mais comme ses contemporains, on ne fera que supposer, car il était de ces personnes qui savent se faire aimer de beaucoup. La mort de Victor Hugo est tout aussi fascinante que sa vie, ceci en dit long sur sa grandeur.

Et vous, ce sujet vous intéresse-t-il ? Avez-vous lu ce livre ?

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