Terminerai-je un jour la Comédie humaine de Balzac ? Sachant que cette série ne compte pas moins de 90 récits, et mon rythme de lecture étant de deux ouvrages par an, je crois qu’il va me falloir un certain nombre d’années. Mais j’avance, je me balade tranquillement dans son Œuvre en regardant à droite à gauche, en m’arrêtant sur des paysages qui m’attirent. Cette fois-ci c’est Ursule Mirouët qui m’a appelée. Cette demoiselle n’est pas très connue, à côté d’Eugénie Grandet et cie, elle fait bien pâle figure. Et j’ai vite compris pourquoi…

Résumé de l’éditeur

Une histoire de revenus ou comment, dans la petite province vipérine de Balzac, des « héritiers alarmés » parviennent à voler le testament d’un vieux médecin et tentent de ruiner la jeune fille qu’il a adoptée.

Mon avis

La scène se déroule à Nemours, petit bourg proche de Paris. Comme tout village, les habitants n’ont que peu de secrets les uns envers les autres ; les rumeurs et autres bruits circulent au gré du vent dans les ruelles, les dimanches à l’église sont l’occasion d’un rassemblement hebdomadaire où les langues se délient, où les regards épient. L’ambiance malsaine et hypocrite des lieux saute aux yeux du lecteur dès les premières pages. Nous découvrons une poignée de villageois, tous cousins – Balzac nous explique le comique de la généalogie qui produit un canevas ridicule de patronymes où des Minoret-Levrault se mèlent aux Massin-Levrault ou Minoret-Massin – qui, telle une nuée de moineaux attend en pépiant le décès de leur aïeul, un vieux médecin de plus de quatre-vingts ans.

Les on-dit vont bon train, sans aucune gêne puisque le concerné ne loupe rien de leur macabre manège et se rit de cette situation où plus les années passent moins sa santé décline (confer Le Viager). Il est ingambe et sain d’esprit, aussi vivant qu’un jeunot ; ce qui a de quoi agacer la descendance, affamée de l’argent à venir. Car ce Minoret possède une sacrée fortune, dont l’utilisation est elle aussi sujette à commérages. Il ne s’agirait pas que l’or devant leur revenir soit dilapidé dans des actions charitables. Alors quand ce vieux monsieur s’amourache d’une orpheline et l’entretient dans un luxe déplacé, les héritiers s’étranglent. Le bonhomme n’oserait quand même pas léguer sa fortune à cette pauvrette issue d’on ne sait où ?

L’enfant tombe elle follement amoureuse de son voisin incarcéré qu’elle fait libérer grâce à la bonté de son parrain. La jeune fille fraîche éclose ne vit plus que dans l’espoir d’un mariage futur, mais les héritiers ont d’autres projets pour elle. Voici l’intrigue d’Ursule Mirouët. L’orpheline, couvée par la bienveillance du médecin, est au cœur d’une bataille acharnée où seule la bande d’héritiers dégénérés lutte, prêts à tout pour apparaître sur le testament du vieillard.

L’histoire est séduisante, le contexte est idéal, l’ambiance villageoise est parfaitement retranscrite. J’ai apprécié le rythme du livre marqué par la circulation des groupes entre les maisons. Les héritiers se déplacent en troupeau d’une habitation à l’autre, pour extraire toujours plus d’informations afin de mieux manigancer. C’est comique, c’est bouffon ; d’autant que les caractères sont légèrement caricaturés. Certains ont le droit à quelques répliques bien placées, pour souligner leur imbécillité, leur ignorance. Balzac ne fait pas de cadeau à ceux qu’il considère comme des charognards abrutis. Mais même à une bande d’idiots il faut un leader, alors plusieurs têtes se font lutte pour mener les ouailles. Ils exposent leurs idées, leur plan finement réfléchi, afin de recueillir le plus de voix.

Mais là où il est question d’héritage, il est question de droit. Et, s’il y a bien un domaine où mon ignorance est totale c’est celui-ci. Amatrice que je suis de la littérature française du 19e je ne peux passer à côté de ces considérations, qui reviennent d’un livre à l’autre, on n’y échappe pas. Il y a aussi l’aspect financier et ses rouages, mais c’en est un sous-groupe. Dans ce roman, en particulier, Balzac est bien obligé de s’appesantir sur le sujet. Usant et abusant de termes abscons pour moi, il fait déblatérer ses personnages. Aussi, il y a un pourcentage non négligeable de l’intrigue qui m’a échappé. Les manigances des descendants pour se procurer l’héritage ne peuvent être entièrement comprises que par leurs contemporains du métier ; car bien sûr le droit évolue.

Difficile pour moi de juger l’intégralité de cette intrigue. Fort heureusement elle ne se réduit pas à des observations juridiques. Les aventures amoureuses ont aussi leur place. Ursule Mirouët, quoique fort charmante, est de condition modeste, fille de musicien. Il faut donc calculer, que vaut un mariage avec elle ? Est-ce une bonne affaire ? Mais Balzac est un romantique, après moult rebondissements qui maltraiteront son pauvre cœur, la belle Ursule finira dans les bras de l’être aimé.

Ursule est une héroïne pour laquelle mon indifférence a été croissante. Je l’ai trouvée bien effacée. Rien d’anormal car l’histoire la dépasse totalement, elle est au cœur d’une bataille dont elle ne saisit pas la portée, et puis on la découvre très jeune, elle n’a que quinze ans. Ce dont on l’accuse, par cupidité et jalousie, est difficile à supporter lorsque l’on a grandi dans l’innocence et la pureté. Mais à mesure que les éléments se mettent en place, que le temps défile, au lieu d’éveiller en elle force et intelligence, les évènements la rendent plus fragile et délicate. Le vieux médecin en a fait une jolie poupée intolérante à la moindre secousse. Frêle et chétive, sa sensibilité est irritante. Le genre de demoiselle qui se rend malade à la moindre contrariété. C’est une figure féminine que l’on retrouve très fréquemment dans cette littérature me direz-vous. Ursule Mirouët est victime de son éducation, elle a de la chance que son créateur lui ait réservé un sort qui ne bouscule pas ses convictions.

Dans ce roman Balzac évoque longuement les sciences occultes, à travers le magnétisme notamment. C’est ce qui sauvera Ursule. Il croit en une libre circulation des pensées, aux morts qui nous parlent dans le sommeil, à la divination, aux rêves prémonitoires, etc. Érudit en la matière, il s’intéresse aux recherches faites sur le sujet et ne manque pas d’exemples pour appuyer ses croyances. Balzac aborde le surnaturel dans plusieurs de ses romans avec une très grande réussite. Je pense notamment à La peau de chagrin, un texte magnifique.

Ursule Mirouët est peut-être le roman qui m’a le moins convaincue. J’ai trouvé l’étude psychologique des personnages moins aboutie. Pour autant l’intrigue est, elle, extrêmement bien ficelée. J’ai été surprise, je crois, par le rythme haletant qui, du coup, grignote sur une analyse fine des individus. Le dénouement est plutôt abrupt, en quelques pages les êtres les plus mal intentionnés se repentent et suivent une honnête voie. Non, ce n’était pas un drame, c’était une comédie ; les méchants sont imbéciles, les gentils le sont trop. Le tragique est balayé par un final réjouissant. J’ai eu quelques soupçons quant à la véracité des caractères exposés, comme l’impression qu’ils manquaient de justesse pour présenter si facilement une facette bienheureuse ; Balzac a semble-t-il joué à pile ou face avec ses personnages. Il n’y a bien que cette Ursule pour arborer le même visage pur et virginal.

Et vous, êtes-vous un amateur de Balzac ? Avez-vous lu quelques fragments de la Comédie humaine ?

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