Dans le cadre des Matchs de la Rentrée Littéraire #MRL organisés chaque année par Rakuten (gloups, ce changement de nom… ) j’ai reçu ce roman, sélectionné sur la base de quelques retours positifs. L’auteure m’était inconnue tout comme la maison d’édition, que je découvre avec ce livre.

Résumé de l’éditeurTrois fois la fin du monde - Sophie Divry

Après un braquage avec son frère qui se termine mal, Joseph Kamal est jeté en prison. Gardes et détenus rivalisent de brutalité, le jeune homme doit courber la tête et s’adapter. Il voudrait que ce cauchemar s’arrête. Une explosion nucléaire lui permet d’échapper à cet enfer. Joseph se cache dans la zone interdite. Poussé par un désir de solitude absolue, il s’installe dans une ferme désertée.

Mon avis

Cette histoire se scinde en deux parties, qu’un intermède relatant poétiquement la catastrophe nucléaire à l’origine du changement de ton, de narration, de lieu et d’intrigue relie. Joseph est tout d’abord, pour nous lecteurs, un détenu fraîchement arrivé dans une sordide prison, suite à sa complicité dans un braquage commis par son frère, décédé sous les balles des policiers. Le jeune Joseph ne connaît rien au milieu carcéral. Il y découvre l’absurdité et l’injustice des lois qui y règnent, la terreur des gangs, la violence venant des deux côtés : geôliers et prisonniers, le rythme aliénant, l’insalubrité des cellules, etc.

Cette première partie ne présente pas les traits d’un début d’intrigue classique annonciateur de rebondissements à venir, elle impose une situation d’un bloc, avec forces et vigueur. L’écriture à la première personne nous immerge d’emblée quand l’incompréhensible situation du narrateur nous rappelle un héros kafkaïen, tombé là par hasard, hagard et malléable. Aussi, sans chercher à comprendre le but de cette amorce de récit quelque peu originale, j’ai suivi les premiers pas de Joseph dans son nouvel environnement ; découvrant avec lui ce qu’est la prison, me révoltant des conditions infernales dans lesquelles les malfrats sont jetés, et trouvant dans cette manière de raconter figurant un journal intime matière à suspense. Sophie Divry propose une immersion parfaitement réussie dans son intime représentation du monde carcéral, exagérée ou non, romancée ou non, ainsi que dans un esprit innocent rongé par la mort d’un frère et devant subir des épreuves inédites que seule la prison impose. Le texte a une teneur en réel prodigieuse, le lecteur y est, y croit, essuie les insultes des gros bras tatoués et lèche la gamelle comme un chien.

Ainsi, je m’attendais, enjouée, à assister à la lente progression de Joseph dans un écosystème certainement pas fait pour lui, curieuse de voir comment il s’en sortirait, quelles armes il utiliserait pour qu’on le respecte, de quel côté il accepterait une main tendue. Joseph est sur la corde raide, d’abord naïf et amical puis soupçonneux, solitaire, muet ; déjà imbibé par l’air saturé circulant entre les barreaux.

Et quand la folie le guette, l’auteure interrompt brusquement son récit afin d’introduire la clé de voûte de son histoire : une catastrophe nucléaire anéantissant la moitié de la population française. Nous retrouvons Joseph, survivant, qui a, comme de nombreux détenus, profité du chaos ambiant pour fuir la prison ; on ne lui en voudra pas. Trois années se sont écoulées depuis son incarcération, Joseph est un autre homme marqué au fer rouge par cette expérience, heureusement mais fatalement écourtée.

Quittant avec regrets le récit inaugural qui me satisfaisait pleinement, je croyais, et espérais, ce revirement scénaristique être l’occasion d’un nouveau souffle. Je ne pouvais douter que l’auteure ferait une croix sur un texte porteur et si bien mené pour proposer un texte commun et plat me faisant bâiller alors que juste avant je tournais les pages avec frénésie. Après la sur-population et l’excitation de la prison, voici la solitude, le calme et la quiétude. Joseph s’y est mieux adapté que moi. Devenu homme des bois, il s’est créé un foyer, vivant de ce qu’il trouve dans les maisons abandonnées et d’une nature foisonnante qu’il tente de dompter. Plein de discipline, notre Robinson s’organise et parvient à vivre confortablement en travaillant comme un acharné mais en étant libre, et c’est à ses yeux bien là l’essentiel. Il en vient même à adopter un mouton, puis une chatte, qui nous font découvrir un Joseph tendre et sentimental.

Cette ultime partie, constituant le miroir déformé de l’existence d’avant, qui était déjà un après, nous embrouille l’esprit sur ce que l’on sait de Joseph, ce qui le constitue, ce qui l’anime et le motive. Ce personnage évolue, sur un roman court, dans des situations démesurément opposées et amenées avec une trop grande brusquerie pour que l’on se le figure correctement. Je découvre un début d’histoire qui m’amène à une autre beaucoup moins convaincante et racontée dans un rythme saccadé et lourd m’ayant fortement déplu. De plus, j’ai cherché sans succès la nouveauté dans ce récit de survie et d’introspection post-apocalyptique, thèmes ô combien traités et retraités, dans lequel il ne se passe rien. Il m’a semblé qu’après une phase d’excitation, l’auteure se noyait dans une lenteur favorisant la facilité narrative à travers des scènes où questionnements et ravissements se heurtent.

Pourtant, je crois comprendre le propos. Raconter la déchéance d’un homme puis sa reconstruction au lendemain de l’anéantissement du monde tel qu’il l’a connu avant la prison est alléchant et plein d’ambitions. Il y a dans l’opposition entre les deux univers et l’errance de Joseph dans l’un et l’autre de nombreuses choses à analyser. L’auteure n’a vraisemblablement pas pu écrire deux récits si distincts sans intention de faire émerger de leur antagonisme une toile pour faire sens. Dans le premier, voici l’homme versus l’Homme, dans le second, l’homme versus la Nature. ; et c’est dans cette dernière que Joseph puisera le plus d’humanité, un retour en arrière vers l’essence du monde et les origines de la vie. Le pilleur-cueilleur qu’il est devenu connaît ses petites victoires et ses grandes défaites et, en un sens, reproduit la fresque de l’évolution à son échelle ; développement physique de l’humain qui se redresse et s’active, développement mental avec l’introduction de croyances primitives et une quête acharnée de vérité.

Trois fois la fin du monde est un récit initiatique qui plaira aux lecteurs philosophes et adeptes de l’errance au détriment de l’agir. Il faut apprécier les ruptures brutales dans la narration, les longs cheminements de pensée et le vide, parfois. Je reste, pour ma part, sur l’immense déception de ne pas avoir lu le roman attendu une fois les cinquante premières pages goulûment avalées.

Et vous, est-ce le genre de récit qui vous séduit ?

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