Il est des écrivains incontournables, Gustave Flaubert en fait partie. Et pourtant, de lui, je ne connais que Madame Bovary; c’est assez léger pour se forger un avis sur l’auteur.  D’après mes souvenirs, j’avais passé un agréable moment en sa compagnie, et l’impression qu’il me reste de ce roman c’est surtout l’agacement ressenti pour Emma, dans son insatiable quête d’amour, et la compassion pour son époux Charles au destin tragique. J’ai souhaité découvrir autre chose de Flaubert, et ai été bien attristée de constater le peu de choix proposé dans les librairies ; à croire qu’il n’a écrit que Madame Bovary et L’éducation sentimentale. C’est finalement le petit livre Trois Contes qui a atterri dans ma bibliothèque. Le titre m’a plu, me laissant présager de jolies histoires…

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 Les « trois contes » résument tout l’art flaubertien : un coeur simple, c’est la psychologie intimiste; Hérodias, c’est l’historien, le peintre; saint julien, l’amateur de fables et de surnaturel. Tour à tour son enfance, l’Antiquité, le Moyen Age, fournissent le décor. Derrière tant d’art, la tendresse de qui a écrit : « Je veux apitoyer, faire pleurer les âmes sensibles, en étant une moi-même. »

Mon avis

J’ai choisi de vous présenter les trois contes séparément, le nombre restreint me permet de les aborder correctement.

Le premier s’intitule Un cœur simple et nous parle d’une servante, Félicité, travaillant au service d’une certaine Madame Aubain et ses deux enfants, Paul et Virginie (en référence au célèbre roman ?). Ce roman est avant tout féminin, en effet, il met en scène essentiellement les trois femmes de la maison, et le sujet « Elle » désigne tantôt l’une, tantôt l’autre. Je dois dire que l’alternance des sujets a été parfois assez difficile à saisir. Mais le personnage principal, celui que Flaubert a choisi de mettre en lumière, est Félicité. J’ai été vraiment émue par son histoire, marquée par les abandons, les trahisons et les deuils successifs. Le tragique de ces évènements est accentué par l’indifférence des autres dont elle est victime. Le titre Un cœur simple correspond parfaitement à la personnalité de Félicité, qui trouve du plaisir  dans les petites choses que la vie lui apporte, et dont la main est toujours secourable et bonne. A l’opposé des servantes viles et brutales, nous avons ici un portrait touchant qui vient adoucir les traits communs des domestiques souvent dépeintes de manière rude et toujours en référence à leur position par rapport aux maîtres. Ici, le passé de Félicité est mis au grand-jour, bien plus que celui de sa maîtresse dont on ne sait rien ou presque; les évènements de la vie de la maison sont saisis à travers son unique regard et sa sensibilité. Cette différence de perception, par rapport à de nombreux romans de cette époque, m’a énormément touchée et je me suis prise à intervertir les rôles. Félicité, malgré ses malheurs et sa solitude, m’a donné l’impression qu’à l’inverse des gens plus riches et respectés qu’elles côtoie, elle peut saisir ces petits riens qui sont imperceptibles aux cœurs trop rongés par des ambitions vénales. Son attachement final à un perroquet prénommé Loulou a achevé de me rendre toute chose. Félicité finira sa vie dans une foi chrétienne mise en exergue par la ressemblance entre son Loulou et une représentation du Saint-Esprit.

Le deuxième conte est Saint Julien l’Hospitalier, et se situe cette fois-ci au Moyen-Age. Nous suivons donc Julien, un personnage ambivalent, haineux, colérique et dangereux qui, dans des moments de folie, lui prend le désir aliénant de partir en chasse de tous les animaux des forêts alentours. Cet homme en perdition total, va rencontrer un grand cerf qui lui prédit que plus tard il tuera son père et sa mère. Il prend alors la fuite, et refait sa vie ailleurs, où il devient un guerrier reconnu de tous. Cette histoire m’a rappelé par de nombreux aspects évidents le mythe d’Œdipe, entre autres par l’appartition d’un oracle (sous la forme du cerf), la fuite, et le meurtre final et non prémédité du père (et de la mère ici). Julien représente l’ambiguïté même, il possède un visage sombre et diabolique, et un autre ambitieux et juste. Incapable de mesure et de tempérance, il se laisse totalement submerger par ses émotions, et lorsqu’il atteint un trop-plein, il prend la fuite. Julien est finalement un homme lâche, sauf lorsqu’il a une arme à la main, où  il devient alors capable des pires abominations. Tellement couard d’ailleurs, qu’il est incapable de se donner la mort (et encore moins de se crever les yeux), et attend celle-ci patiemment en devenant passeur sur les bords d’un fleuve. Julien se retrouve dans un entre-deux mouvant, représenté par cette eau qui passe et les gens qu’elle transporte, voguant d’une rive à une autre, comme il a navigué toute sa vie entre ses deux personnalités. Il semblerait qu’il ait trouvé un équilibre précaire dans cet état instable, mais la mort va le rattraper ici, et lui faire faire son dernier aller-retour ; mais sur quelle rive va-t-il finir sa course, la bonne ou la mauvaise ? Celle où il tue ses parents de sang-froid, ou celle où il culpabilise et s’enfuit loin d’eux ? Dans une scène finale fantasmagorique de rapports homosexuels avec cette mort, qui se présente sous les traits d’un lépreux, Julien expire son dernier souffle. Ce conte est sinistre et laisse place à peu de sentiments nobles. Julien incarne toute la bassesse de l’homme, toute sa faiblesse, dans la pulsion, dans la fuite, devant l’amour parental et devant le peuple.

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Concernant le troisième et dernier conte intitulé Herodias, je vais avoir un peu plus de mal à vous en parler. L’histoire se déroule dans l’Antiquité à Hérode. Je dois dire que j’ai rencontré certaines difficultés pour bien me situer, géographiquement parlant mais aussi à travers les différents peuples, et les conflits qui les animent. Les notes de fin de page m’ont apporté un complément d’information, mais insuffisant pour rendre ma lecture fluide. Ce récit raconte une période de la vie de Saint Jean-Baptiste, son emprisonnement et l’annonce de l’arrivée de Jésus Christ, du côté de Hérode Antipas. Malgré un décor séduisant, des personnages charismatiques et une réalité historique, je ne suis pas parvenue à m’imprégner de l’histoire. Le conte précédent m’a emmenée sur des terres fabuleuses et fantastiques, qui ont été trop contrastantes avec la réalité religieuse de celui-ci. La lecture a de plus été plus difficile pour moi, donc moins agréable.

Vous constaterez que ces trois histoires sont bien différentes ; elles abordent des thèmes variés, se situent à des époques éloignées et mettent en scène des personnages ayant peu de points communs. Cette diversité  m’a étonnée au premier abord. Autant, dans le premier conte on reste ancré dans le romantisme du 19ème siècle, autant dans les deux suivants on s’en éloigne pour approcher des histoires héroïques et surtout plus masculines. J’ai néanmoins ressenti des émotions fortes et surtout bien distinctes à chaque lecture. Félicité est l’antipode de Julien, d’un côté nous avons la bonté et la douceur, de l’autre, le caractère et l’instabilité. En ouvrant ce livre je m’attendais en réalité à retrouver une ambiance romantique et sentimentale. Or, même Un cœur simple, bien que récit contemporain de l’époque de Flaubert, a des élans de tragédie. Le lien entre ces trois contes est l’épaisseur des personnages principaux; Félicité, Julien et Antipas, nous sont présentés dans toute leur intégrité, sans que les aspérités de leurs caractères ne soient cachés. C’est surtout cela que je retiendrai, le talent de Flaubert pour nous décrire des personnalités complètes, évoluant dans des contextes bien spécifiques, et aux prises avec des situations complexes et tourmentantes, tâche délicate mais réalisée avec brio.

 Et vous, connaissez-vous l’oeuvre de Gustave Flaubert ? Avez-vous peut-être lu d’autres de ses romans, peu connus ?

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