Je dois bien admettre que depuis un certain temps j’ai comme une envie de sordide dans mes lectures. Le temps de ma première jeunesse passé à engloutir des intrigues horrifiques a laissé la place à un horizon plus vaste et plus fécond. Mais toujours j’aimerai ce genre, car il a nourri mon adolescence. Pourtant, je n’ai pas appris à aimer Thilliez avec ses polars noirs, ceux lus à ce jour m’ont laissée froide : Deuils de miel  et La chambre des morts. Le commissaire Sharko apparaît être un personnage, sinon le personnage, récurrent dans l’oeuvre de l’écrivain. Découvert à travers une seule de ses aventures, j’ai eu idée de lire l’une de ses premières, pour laquelle l’auteur lui-même dit qu’elle est « un récit qui […] restera celui qui m’aura le plus marqué, de par sa noirceur et le peu de place qu’il laisse à l’espoir. »

Résumé de l’éditeur

Un cadavre en morceaux est retrouvé aux environs de Paris. La victime a été décapitée et son corps martyrisé a fait l’objet d’une mise en scène défiant l’imagination. Le commissaire Franck Sharko est dépêché sur les lieux. Les ténèbres, il connaît : sa femme a disparu depuis six mois. Aucun signe de vie, aucune demande de rançon. Et cette nouvelle affaire, en réveillant le flic qui dormait en lui, va l’emmener au cœur de la nuit, loin, beaucoup trop loin…

Mon avis

Vous voulez du gore, du sang par litre, des tripes à l’air, des membres arrachés et beaucoup, beaucoup de sadisme, avec ce roman vous aurez votre dose pour un long moment. Comme tout thriller qui se respecte, celui-ci pose son intrigue avec un cadavre grandiose. Le lecteur approche les personnages le nez dans l’hémoglobine et les viscères. Une femme, entortillée dans de solides liens, décapitée, tailladée de toutes parts, énuclée et j’en passe ; voici la première oeuvre d’un criminel particulièrement acharné.

Ce sera le premier meurtre d’une série ni trop longue, ni escaladant avec précipitation l’échelle de la surenchère. Le lecteur sera très vite prévenu : vous entrez ici sur le terrain de l’abomination, de la plus grande perversion qui soit.

En parallèle à cette ascension macabre, Sharko, le commissaire chargé de l’affaire, vit un cauchemar depuis six mois, depuis la disparition mystérieuse de son épouse, Suzanne. Comment faire avec un tueur en série quand son épouse se balade quelque part, et que la possibilité d’un kidnapping n’est toujours pas exclue ? En bon flic zélé, incarnant sans accroc le héros tourmenté et raboteux dont on imagine le caractère en parfaite adéquation avec l’horreur du milieu, le bonhomme s’entoure de tout un tas d’experts, autant de possibles coupables.

Le roman dans sa construction n’a rien d’original. Le lecteur fait front avec les enquêteurs pour tenter de mettre la main sur le monstre sanguinaire. Quatre cents pages d’investigation se déroulent en ligne droite. Une enquête de terrain, les mains en plein dedans. Rarement j’ai vu un commissaire agir dans un tel isolement. Il n’est jamais bon de se retrouver seul à explorer un abattoir désaffecté ou une cave obscure. Nous passerons sur le courage aussi effronté que stupide de notre Sharko. Ses pérégrinations l’amènent – et ceci caressera pour sûr les poils pervers des lecteurs affamés – à inspecter les milieux les plus sordides du grand Paris. L’auteur s’amuse à jouer avec le virtuel, usant et abusant de l’outil informatique et des débuts d’internet (nous sommes en 2002). Franck Thilliez nous rappelle toutes les dix pages qu’en matière d’horreur, la toile fourmille de sources surprenantes et exacerbe les pires penchants ; rien de bien nouveau, mais il suffit de se replacer dans l’époque pour comprendre les enjeux et les inquiétudes nés avec ce nouvel interface.

« Bienvenue dans un monde pourri » nous crache à la figure ce fichu Sharko. Franck Thilliez a  donc choisi de s’intéresser aux tendances sadiques, un peu de sexe, beaucoup de violence. Il épluche les pratiques les plus douteuses, devant lesquelles on peut sourire, pour dévier sur la bestialité. L’analyse est peu fine, pour ne pas dire inexistante ; l’essentiel étant de faire étalage des monstruosités dont est capable l’homme pour satisfaire à des pulsions qui ici se résument vulgairement à un besoin de supériorité des plus communs. On teste les limites de la douleur, on écorche, on brûle, on coupe, on ouvre. Les femmes ne sont pas en reste, victimes pour certaines, spectatrices pour d’autres. Le meurtre est commis pour faire profiter les voyeurs, et ils sont nombreux. Qui sont les pires ? À vous de voir.

Le sujet est un sacré fourre-tout, fontaine à laquelle nombre d’auteurs viennent puiser. Les lecteurs devront être peu scrupuleux quant à de possibles amalgames maladroits. Pour ma part, je n’ai rien trouvé d’innovant dans la matière dont il est ici traité, à l’état brut, sans finesse, ni hauteur. La preuve en est le tâtonnement du héros qui ne sait plus très bien quelles motivations attribuer au criminel recherché. Plusieurs cadavres aux modes opératoires distincts, des victimes aux actes peu glorieux, pour une enquête qui piétine, piétine, piétine. Sharko la porte seul, accompagné d’une psychologue à la capacité analytique d’un bulot, et l’on s’en contentera. La grosse bévue de l’histoire réside pourtant dans un ajout – de dernière minute ? – d’ordre mystico-religieux. Comme ils m’agacent ceux qui usent les filons de la bible pour dessiner un criminel. On peut dire que le livre sacré en a inspiré plus d’un dans l’horreur. Thilliez s’emmêle un peu les pinceaux avec ses théories fumeuses dont il finit par se moquer, et je l’en remercie.

Quant à Sharko, il est dommage de traverser l’intrigue sans le décoller d’une semelle. On le suit de partout, au détriment des autres personnages, parmi lesquels nous fait coucou le coupable. En toute logique, l’auteur n’a pu dresser de solides portraits secondaires.

Il faut bien le dire pourtant, malgré d’énormes défauts impardonnables, Franc Thilliez mène la danse avec brio. Sa plume acharnée et épicée donne la mesure à l’histoire en liant les nombreuses péripéties avec humour, parfois, sens de l’observation, souvent. Je me suis retrouvée au bout du tunnel surprise de ne pas avoir vu défiler les pages. À l’annonce du coupable j’ai marmonné, l’ayant découvert beaucoup trop tôt, et ronchonné sur l’incrédibilité du personnage et du mobile dont j’attends toujours les explications, car celles qui nous sont fournies ne me convainquent pas.

Train d’enfer pour Ange rouge me fait écrire une chronique que j’ai l’impression de vous avoir déjà proposée. Puisqu’il n’y a rien ici que je n’avais lu auparavant. J’arrête là avec Sharko, ses aventures n’ont pas grande saveur à mes yeux. Je préfère le Thilliez plus entreprenant et créatif. Malgré ma fuite dans ce bas-monde – j’ai l’attrait facile quand il est question de meurtres graveleux – aucune image tenace n’a imprégné ma rétine. Suite à cette déconvenue, me voici tapotant sur Google « thrillers originaux » afin de dégoter la pépite de mon été. Pas assez rassasiée, j’en demande plus !

Et vous, avez-vous lié amitié avec le commissaire Sharko ?

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