Terreur n’est pas un roman dont j’ai beaucoup lu le genre, à savoir les récits d’aventure à forte teneur historique. Je l’ignorais pourtant avant d’en ouvrir les pages. À l’instar de ces hommes pris au piège des glaces, il m’a fallu patience et persévérance pour en venir à bout. Je suis d’autant plus satisfaite de l’avoir terminé que j’ai bien failli l’abandonner ; ce qui aurait été une grossière erreur !

Terreur - Dan Simmons

Résumé de l’éditeur

Vétéran de l’exploration polaire, Sir John Franklin se déclare certain de percer le mystère du passage du Nord-Ouest. Mais l’équipée, mal préparée, tourne court ; le Grand Nord referme ses glaces sur Erebus et Terror, les deux navires de la Marine royale anglaise commandés par Sir John. Tenaillés par le froid et la faim, les cent vingt-neuf hommes de l’expédition se retrouvent pris au piège des ténèbres arctiques. L’équipage est, en outre, en butte aux assauts d’une sorte d’ours polaire à l’aspect prodigieux, qui transforme la vie à bord en cauchemar éveillé. 

Mon avis

700 pages, denses et longues comme un jour sans pain, composent un récit dense et long comme un jour sans pain. Je m’attaque à la critique de ce pavé non sans craintes, et avec l’impression de devoir désosser le travail colossal d’un écrivain qui ne mérite sans doute pas qu’on émette la moindre réserve sur son histoire. Car avant d’être le récit d’un calvaire humain, Terreur est une brique de connaissances : historiques, scientifiques, géographiques et techniques. S’il faut lutter pour percer la solide carapace de cette intrigue montée comme une cathédrale, c’est que celle-ci ne livre tous ses trésors qu’aux plus patients de ses lecteurs.

Terreur nous raconte l’exploration polaire de Sir John Franklin durant les années 1840 ; expédition ayant marqué les esprits des contemporains et alimentant encore nombre de spéculations. De ce drame je ne connaissais strictement rien, Franklin étant pour moi une tortue ou, un peu mieux, l’un des fondateurs des États-Unis. Dan Simmons a ressorti les archives du périple, passant sans doute plusieurs années de sa vie à se renseigner sur le contexte de l’époque afin de dresser le décor le plus exact dans lequel les deux navires de la Royal Navy se sont encastrés, en plus de maîtriser parfaitement les termes de navigation et le fonctionnement de ces bateaux. Ainsi, la première partie (cette découpe du texte est de mon fait) sera difficile à lire pour tous ceux qui ne se prétendent ni historien, ni ingénieur en construction navale, ni scientifique à l’Institut polaire français. Pour moi, cette lecture a tout d’abord eu une allure de supplice. Heureuse de me retrouver en terre hostile, dans le froid et la glace, j’ai peiné à comprendre l’avalanche de termes, et donc à saisir les enjeux pour les deux navires en proie à la banquise. L’alternance des points de vue, le capitaine, un médecin, des officiers, le commandant, et un brouillage dans la chronologie des faits (qui ne persiste heureusement pas) rendent l’appréhension des évènements d’autant plus ardue.

Une bête féroce s’attaque aux membres de l’équipage – on parle d’un ours géant – démembre et s’amuse avec les corps. Une jeune esquimaude, recueillie gracieusement à bord du navire, fait des va-et-vient sur la banquise et semble entretenir une étroite relation avec la Chose des neiges. Ce pan de l’histoire est sans nul doute celui qui m’a le moins convaincue. Déjà, parce qu’il ne constitue qu’un petit morceau de l’intrigue entière, ensuite parce qu’il coule doucement vers le fantastique. S’agissant de l’apport fictif de l’auteur – qui interprète le drame à sa façon pour en faire un pur roman – je suis bien désolée de ne pas avoir accroché à son idée d’un monstre polaire.

La seconde partie (une fois les navires abandonnés) est quant à elle un amoncellement de catastrophes ; c’est une hécatombe. J’ai été tenaillée par l’effroi, ne sachant plus comment respirer normalement, pour ensuite cauchemarder que je perdais mes dents (symptôme du scorbut). Cette partie transcende la première, et de loin. On pleure chaque membre de l’équipage dont le quotidien a pu, jusque-là, nous ennuyer. Les relations entre les marins sont ici puissantes. On s’attache aux figures d’autorité, qui sont dans ce livre magnanimes et héroïques, on déplore leurs faiblesses, leurs incapacités, quand vient le moment de s’avouer vaincus. Il n’y a rien de plus terrible qu’un meneur contraint de rendre les armes parce que les circonstances l’exigent. Ce périple sur la glace, après le confort tout relatif des navires, donne lieu aux pires excès, aux comportements les plus mesquins, à une mutinerie sauvage entreprise par des êtres vils. L’auteur met en scène une expédition dantesque – faisant suite à la longue attente sur le navire – qui m’a prise de court pour ne plus me faire lâcher le livre jusqu’à la dernière page. La fin n’est pas un point de mire heureux, dénouement optimiste plein de soulagement, mais la chute du dernier domino de l’horreur ; les hommes sont au bout de leurs forces, abordent les limites du supportable, devenant des figures amaigries sous des couches de vêtements qui avancent pour se sentir encore en vie. On les imagine bien, petites fourmis noires sur fond blanc. Jamais je n’ai autant ressenti la douleur des personnages, leur épuisement, leur immense solitude ; c’est à se demander comment ils peuvent encore avoir le courage de se mouvoir alors qu’aucune terre d’accueil n’est visible à l’horizon, et encore moins celui de croire en un retour dans leur pays. J’ai été totalement harponnée par ce récit sur leur errance et ai dévoré les pages, fascinée par cette explosion d’extrêmes. Je n’avais jamais rien lu de tel.

En observant bien, ce roman est une affaire de décomptes. On dénombre les membres de l’équipage survivants, on mesure les rations de nourriture restantes (rhum, conserves, eau, biscuits), les degrés Celsius, les milles à parcourir, les jours passés, et les pages aussi, du moins durant la première partie. Tout en regrettant cette irrégularité dans le rythme, je constate qu’elle était, d’une part, essentielle, d’autre part, subjective, du fait de mon inintérêt pour la chose technique et, dans une moindre mesure, pour les ravages de la bête meurtrière. De plus, je pensais être détachée du destin individuel de chaque membre de l’équipée, et puis, magie de la littérature, je me suis retrouvée à pleurer le renoncement d’un homme, puis l’abandon d’un autre par les siens. Dan Simmons m’a bluffée.

En lisant ce roman, vous serez au plus près des expériences de faim, de soif, de froid, d’épuisement ; vous vivrez toutes les privations les plus pénibles qu’un corps humain peut supporter. Vous vous sentirez minuscule face à l’immensité hostile et aux éléments déchaînés. Terreur nous rappelle que nous ne sommes pas grand-chose, et que l’Histoire de l’Homme c’est aussi son combat inutile en face d’une Nature qui n’est pas toujours propice à son épanouissement. Aveugle et sourd aux dangers venus du ciel, des mers et de la terre, l’homme fait preuve d’un excès d’orgueil, se croyant tout-puissant du fait de son intelligence. Les marins et officiers du Terror et de l’Erebus ont vécu l’épreuve de la cohabitation et du nombre en plus de celles imposées par les glaces polaires ; nous ne sommes pas loin de l’Enfer.

Terreur est un roman dont l’on déteste la longueur mais que l’on regrette d’avoir terminé. Dan Simmons nous raconte une histoire terrible avec la générosité d’un historien méticuleux pour qui chaque détail compte. Aussi, vous ressortirez de cette lecture en ayant reçu une dose d’instruction que dix romans ne sauraient vous apporter. Vous aurez frémi, de froid et de peur. C’est un roman sur la survie en milieu extrême, retraçant une tragédie bien réelle avec la conviction et la voix d’une pure fiction. Un livre grandiose qui vous occupera de nombreuses soirées. Terreur m’a donné le goût des aventures humaines contextualisées, des grandes histoires qui nourrissent l’imagination de milliers d’esprits curieux. Après une réflexion qui aura duré le temps d’écrire cet article, je fais de ce roman mon premier coup de cœur de 2018 !

Et vous, connaissez-vous Dan Simmons ? Ce genre de récit mêlant fait historique et fiction vous plaît-il ?

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