Je reviens parmi vous. Jusqu’à quand… telle est la question ! Je crois avoir déjà dit mille fois que le rythme de publication du blog était catastrophique. Ces derniers temps j’ai bien failli arrêter net. Je n’ai pourtant jamais cessé de lire, au contraire. Il y a environ une dizaine de livres dont je ne vous ai pas parlé… J’aurais tant de choses à vous dire à leur sujet, notamment sur Dans la forêt de Jean Hegland et Les garçons de l’été de Rebecca Lighieri, qui m’ont bouleversée ! Un manque de temps lié à un manque de motivation ont fait que j’ai laissé les jours s’écouler pour ensuite avoir l’excuse de « C’est trop tard, je ne m’en souviens plus ! » pour ne pas écrire d’article.

Tout ça pour dire que ma dernière lecture en date est celle qui fait actuellement le plus parler d’elle sur les réseaux (Ah ! Instagram !). Je ne vais pas présenter Agathe. Si vous êtes blogueurs, vous devez sûrement la connaître, pour les autres, vous la découvrirez à travers mon article. Agathe a récemment publié son premier « roman ». Au vu des très nombreux commentaires dithyrambiques, voire carrément fanatiques, que j’ai lus, je m’étais promis de laisser passer un certain temps avant de le découvrir. Puis, sont venus se glisser des avis positifs de lecteurs anonymes vantant l’histoire et son auteure. J’ai finalement cédé plus tôt que je ne le pensais. Et puis, Agathe tient un blog littéraire et a publié un premier roman, je tiens un blog littéraire et j’ai publié un premier roman, je serais bien vilaine de ne pas la lire 🙂 !

Résumé de l’éditeur

L’une est blonde, secrète et bourgeoise. Au lycée, on la surnomme Brigitte. L’autre, extravertie et instable, répond au nom de Brune. Toutes deux sont encore des jeunes filles pleines d’avenir. Ensemble, elles se le promettent, elles pourront tout vivre. Traversant les années folles de la jeunesse, elles découvrent la joie d’aimer, de danser, de rire et de boire jusqu’au petit matin en rêvant à leurs destins de femmes. Mais un étrange jour d’été, tout s’arrête brusquement. Sans donner aucune explication, Brigitte rompt leur amitié et disparaît.
Les années passent mais n’effacent pas la douleur de l’absence. Lorsque Brune tombe enceinte, le moment est venu de comprendre ce qui s’est joué entre elles, ce qui les a unies puis séparées. D’autant que Brigitte, dont elle n’avait plus la moindre nouvelle, revient la hanter : dans ses rêves, elle aussi attend un enfant… 

Mon avis

En premier lieu, je ne peux qu’applaudir le talent d’Agathe Ruga. Elle sait écrire. Elle sait bien écrire. Plusieurs fois, je me suis arrêtée de lire pour admirer sa maîtrise de la narration. Sa plume est sublime, son texte est fluide, dense et parfaitement rythmé. Elle allie avec brio les descriptions, les images, les références, les envolées, attrape le lecteur pour ne plus lâcher. Elle séduit avec intelligence ; connaît son texte, sait exactement quelles voies emprunter pour attirer et accrocher. La construction est étudiée, d’une finesse hallucinante. Les chapitres se succèdent avec un naturel déconcertant, dans des allers-retours temporels qui représentent des pirouettes souples et gracieuses, mettant toujours plus en avant les personnages de cette histoire qui alors se détachent du papier pour devenir de parfaits êtres de chair et d’os. Pour un premier écrit, je suis stupéfaite de tant de perfection.

J’ai lu cette histoire sans pouvoir lâcher le livre, parce qu’Agathe a tout fait pour ne pas qu’il en soit ainsi. Je ne voulais pas la quitter. Si elle n’avait été cette blogueuse dont on parle tant, à la carrière millimétrée et presque écrite, si elle n’était ce personnage adoré d’un lectorat quasiment sectaire, si Brune n’était pas elle, s’il s’agissait d’un vrai roman, j’aurais continué à le vanter, à vous sommer de le lire, absolument. Mais…

Vous vous doutez bien qu’il y a un mais, un gros Mais imposant et de plomb qui ne se réduit pas à un simple bémol vite oublié. Ce mais réside dans la nature même de cette oeuvre, dans ses racines, dans son essence, dans ses motivations, dans son objectif. ; dans tout ce qui l’entoure et en même temps tout ce qu’il contient. La forme est excellente, sans erreur, précise. Le fond m’est insupportable.

Le peu que je sais d’Agathe, c’est-à-dire ce qu’elle dévoile d’elle et de sa vie sur Instagram, se retrouve dans son roman : son âge, son physique, sa première fille (son âge, sa description physique, même le petit grain de beauté sous l’œil), ses études de médecine, son métier d’avant, le fait qu’elle ait eu un premier mari, sa passion des bouquins et de l’astrologie, son blog, son éditrice ! Bref. Il me semble qu’Agathe fait tout pour que l’on sache que ce qu’elle écrit est véritable, qu’il ne s’agit non d’un roman mais bien d’une auto-fiction. Sans jamais l’avouer vraiment, et en nous baladant à coup de
« réalité et fiction s’entremêlent, il ne faut pas chercher à savoir ce qui est vrai, bla bla bla… ». Il n’empêche, si elle avait réellement voulu raconter une histoire en préservant son entourage et sa propre intimité, elle aurait camouflé les éléments majeurs constituant son identité sur le net (et très simples à retrouver) ! De fait, si tout ce que je connais d’elle se retrouve dans le livre, inévitablement le reste ne peut qu’être vrai. Et c’est là que je suis gênée, embarrassée, mal à l’aise. Dans ce déballage impudique, il y a un
« regardez-moi » odieux, en plus d’un acharnement injuste, un peu pervers même, envers ceux qui ont croisé sa route ; j’en ai été écœurée.

J’ai détesté l’héroïne, j’ai détesté Brigitte, j’ai détesté beaucoup de monde dans cette histoire, j’ai détesté cette jeunesse qui s’enivre de champagne à seize ans tout juste, qui baise, qui boit, qui vit dans une ivresse permanente, des sens et des corps, qui fume comme elle respire, qui se regarde dans le miroir, se maquille, se démaquille, s’habille de paillettes, chute avec des talons, est injurieuse, provocante, se croit déjà adulte et raisonnée… Cette jeunesse somme toute bien éloignée de celle que j’ai eue, et de celle de nombre d’entre nous, puisque puant l’argent ultra facile, mais qu’importe, on ne lit pas pour revivre son passé, ce serait beaucoup trop triste. En outre, j’ai moi aussi entretenu ce genre d’amitié adolescente extrême et possessive, j’ai subi la rupture, j’ai ruminé des jours, des mois, des années avant l’apaisement, aussi j’ai parfaitement compris le message, l’urgence de mettre en mots les contradictions, de revenir sur les plus belles années d’une des périodes les plus riches de sa vie, j’ai été touchée par la fulgurance des colères, des amours, des corps en éveil…

Cependant, dans ce contexte, il m’est pénible de détester l’héroïne, car après ce que je viens de dire, cela m’amène à constater que c’est sans doute vers l’auteure elle-même que ce sentiment se dirige. Ce texte m’a beaucoup questionnée sur l’injustice émanant du pouvoir d’écrire sur les autres, quand eux n’ont ni le talent, ni la prétention, ni l’envie, ni les capacités, ni les connaissances pour le faire et être publiés. Ainsi, le succès instagramé et formaté de ce livre me dérange profondément. Je suis d’ailleurs très étonnée que personne n’ait réellement mentionné la problématique que je soulève. Comme si les individus réels, qui sont le sang du livre, étaient contraints de terminer leurs jours sous les traits de purs personnages, qu’il fallait les considérer comme tels et laisser de côté la possible souffrance, ou le mal être, que ce pavé jeté dans la mare ne manquera pas d’induire ; pour moi, c’est comme un crime.

Tout n’est pas bon à dire, tout n’est pas bon à être diffusé. Il me paraît peu sain d’exposer sa vie aussi ouvertement et de régler ses comptes sans laisser la possibilité à l’Autre de donner sa version, de contredire, d’émettre des précisions, de dire « Oui, mais… » . Car, c’est selon moi bien l’objet de ce texte. La narratrice a une fâcheuse tendance à remettre la faute sur toutes les personnes qui l’ont entourée, à se rendre superbe, supérieure, divine, celle qui a pu renaître de ses cendres, s’élever socialement, professionnellement, sentimentalement. Je plains Brigitte… qui aura sans aucun mal découvert qu’elle se retrouve l’un des personnages principaux d’une histoire torturée, la sienne, qu’elle n’aurait certainement pas souhaité voir étaler de cette matière, et donc être jugée, critiquée, remodelée, transmise comme un fait divers pour nourrir les remords d’anciennes adolescentes. Je suis peinée pour cette jeune femme, ainsi que pour l’ex-mari, la mère, le père, même le conjoint actuel, et la petit fille… Je ne supporte pas l’idée de raconter malgré elles des personnes bien vivantes, qui se souviennent et n’ont rien demandé. Qu’en est-il de la bienveillance ? Je crois d’ailleurs avoir soulevé ce problème avec le magnifique Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan. Parfois, il vaut mieux garder pour soi ce genre de texte, ou bien disperser ce qui a trop besoin d’être écrit dans d’autres récits, de manière à rendre l’évidence moins visible, autrement dit
« Ceux qui savent se reconnaîtront, les autres ne le sauront jamais
». Or, là, tout le monde sait, tout le monde reconnaît, puisque c’est écrit sous des photos aux centaines de likes ; les clefs de l’histoire sont livrées sur un plateau par une Agathe qui a l’air de s’en moquer. Le pouvoir cathartique de l’écriture n’est pas une nouveauté, mais il vaut mieux être discret afin de ne pas heurter les êtres que l’on détrousse. Le lecteur doit ignorer ce qui foisonne en nous et nous pousse à écrire.

Si un jour Agathe nous offre une fiction, une vraie, j’aurais grand plaisir à la lire. Mais je devrais oublier le fait que, peut-être, je ne pourrais être amie avec l’auteure. Jamais je n’aurais dû me poser la question, car la réponse m’indiffère, mais Agathe nous force à prendre position : pour une première confrontation avec son lectorat c’est plutôt osé. Cette amitié déchue devait rester dans son cœur, dans ses souvenirs, mourir dans les conversations du soir avec son conjoint, dans ses carnets secrets, c’est tout.

Sous le soleil de mes cheveux blonds me place dans une situation totalement inédite, qui surpasse carrément le champ de la littérature et renforce ma position selon laquelle : pour apprécier un récit il vaut mieux ne pas connaître l’écrivain, et la littérature que j’aime n’est certainement pas celle qui se contemple le nombril.

Et vous, l’avez-vous lu, prévoyez-vous de le lire ?

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