Je vous présente un roman écrit par un médecin urgentiste, qui a créé sa propre maison d’édition, Dolomite Éditions, afin d’assouvir plus librement sa passion première. Je n’avais que peu d’indications avant de me plonger dans ce livre au titre mystérieux, et ceci n’est pas plus mal. J’ai déjà évoqué l’émotion suscitée par la première lecture d’un auteur méconnu, cette impression d’être un voyageur sur une terre encore inexplorée. Cette expérience est toujours un immense plaisir, à la saveur particulière lorsqu’elle succède ou précède une lecture soumise à de trop nombreuses critiques.

Mot de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Après l’avoir dévoré, lorsque à regret vous le refermerez,  votre vie aura définitivement changé. Et pourquoi me  direz-vous donc ?  Simplement,  parce qu’une partie de Soilhas   Ribeiro, le limpiabotas, le si modeste cireur de chaussures, sera passée en vous, comme lors d’une transfusion. Lorsqu’en à peine six semaines, comme dans un rêve,  il a écrit ce roman magique, Joseph INGRASSIA m’a confié à l’oreille qu’il n’avait aucun mérite, puisque Soilhas existait depuis toujours dans son cœur et, qu’il n’avait rien fait d’autre  que de lui donner vie,  juste en le  couchant sur des pages blanches. 

Mon avis

Alors que je m’attendais à lire un roman, au sortir de ma lecture je crois plutôt avoir parcouru un conte, ou bien une nouvelle à visée philosophique et sociologique. Disons que je n’ai pas retrouvé les codes classiques du texte romanesque. Soilhas Ribeiro nous narre le récit de ce jeune homme, Soilhas, un orphelin colombien  possédant une malformation, il lui manque un bras, sa main est ainsi directement reliée à l’épaule. Il travaille dans la rue, cire les chaussures d’hommes beaucoup riches que lui, il est aussi un fervent croyant qui se rend quotidiennement à l’église dont le curé est à la fois son confesseur et son banquier. Il est en quête perpétuelle de réponses quant à son handicap inexpliqué, est-il une punition divine ou bien un cadeau dont il n’a pas encore compris l’usage ?

Jusqu’au jour où il sauve la vie d’un petit garçon, en l’extirpant de justesse d’une voiture enflammée. Par ce simple contact avec l’enfant, Soilhas le guérit d’un eczéma fulgurant qui affolait sa mère ; docteur en médecine, celle-ci refuse dans un premier temps de croire à ce qui s’apparente à de la sorcellerie. La nouvelle vie du jeune cireur démarre à cet instant précis, lorsqu’il se rend compte qu’il dispose d’un pouvoir surnaturel faisant rapidement de lui le guérisseur le plus renommé de Bogota. Tous les infirmes de la ville se pressent devant son office, mais Soilhas est un homme humble, bienveillant et protecteur, qui refuse toute rémunération, il exerce dans le calme et sans aucune précipitation.

En parallèle à son histoire nous découvrons plusieurs destins, des individus affaiblis par de lourdes maladies, certains condamnés à court terme. L’auteur a fait le choix de nous les présenter d’une traite au début du récit, avant même que le lecteur ait connaissance du pouvoir de Soilhas. Il m’a tout d’abord été difficile de mémoriser les parcours de vie de ces personnages, rapidement évoqués avant de passer au suivant. Peut-être me serais-je sentie davantage concernée si l’auteur nous les avait exposés de manière plus graduelle. Car, un excès de souffrance et d’infortune empêche de ressentir une émotion et une compassion unique pour chacun d’eux ; j’ai eu comme l’impression de feuilleter une sorte de catalogue médical dans lequel nous sont présentés des cas cliniques. Pour autant, l’auteur environne la maladie d’un contexte familial, professionnel et social, permettant de situer chacun des individus dans une strate de la société colombienne, fortement contrastée comme la majorité des états sud-américains ; ce lamentable phénomène est particulièrement saisissant dans les grandes villes. J’ai eu envie de découvrir plus en profondeur ces multiples vies, la femme de ménage exploitée, le millionnaire désabusé, le plombier entrepreneur, le policier véreux, le jeune orphelin surdoué. Le récit veut que l’on se les représente à un moment crucial de leur existence, sous le prisme de la maladie ; il devienne alors soit plus humains, pour ceux qui ont la chance d’évoluer dans un milieu favorisé, soit plus pitoyables, pour les moins lotis.

Puis, la seconde partie du texte narre les guérisons miraculeuses, la célébrité soudaine de Soilhas, les rencontres marquantes, mais aussi le contrecoup de son pouvoir ; car en guérissant il ne fait qu’absorber le mal, qui change simplement de corps.

La force de ce récit est de nous exposer, sans jamais les confronter, deux conceptions des phénomènes organiques ; il y a ce qui est purement scientifique, cartésien, expliqué et explicable, ici c’est le médecin qui parle, et l’univers de l’énigmatique, ce qui sur terre ne trouve pas de logique, échappe à tout éclairage, plus obscur, désordonné, ce monde est difficilement admissible pour les esprits cloisonnés. Le récit déborde d’optimisme. Joseph Ingressia ne lutte pas, ne s’acharne pas, il détourne la condamnation, la mort prévisible, en exploitant la faiblesse d’un jeune homme. Il transforme l’atrophie en en faisant un objet unique,  convoité, glorifié, admiré. Le handicap, tout d’abord fardeau, devient cadeau providentiel, puis malédiction pour celui qui en est doté, le seul à ne pas pouvoir en bénéficier. Mais Soilhas, par cette main divine, se rapprochera d’une forme d’immortalité abstraite. Grâce à lui, des hommes autrefois condamnés retrouveront goût à l’existence, et en chacun d’eux brillera une petite lueur animée par le guérisseur, étincelle que seul ceux ayant été au contact de la main pourront percevoir. Ainsi, une communauté de nouveaux individus s’est créée, épanouie, insouciante et bercée d’espérance.

Si Soilhas Ribeiro s’éloigne selon moi du roman, c’est principalement par sa structure. En effet, nous avons une situation initiale suivie presque immédiatement d’un dénouement. Les deux parties, je les définis ainsi bien qu’elles ne soient pas officiellement distinctes, sont étrangement parallèles ; l’état des malades puis leur guérison soudaine, le fil directeur étant Soilhas, inébranlable jusqu’à la fin, il vit  sa métamorphose à distance sans jamais rechercher le profit, la gloire ou une tranquillité méritée. C’est un curieux personnage auquel on aura aucun mal à attribuer une mission messianique, il est venu sur terre pour sauver les hommes, il repart en « martyr », sans lutter puisqu’il a accompli son devoir, habité par une force supérieure à laquelle il n’oppose aucune résistance.

Ma « déception » est pourtant issue de la construction même du récit car elle atrophie la force de l’histoire. Le ton, parfois enfantin, naïf, insouciant, n’aurait pas souffert d’une dureté plus marquée. Je m’imagine la même aventure réécrite sous une forme davantage sujette aux péripéties, aux accents plus dramatiques aussi. Une telle refonte du texte m’aurait-elle séduite ? Je ne peux en être certaine, mais il me semble que l’exercice aurait été possible. Peut-être par l’ajout d’obstacles au dessein de Soilhas, ou bien par l’intervention d’un personnage foncièrement mauvais, le seul dont on peut douter de la probité est le curé cupide, mais guère inquiétant car vite effacé. Peut-être cette idée me vient d’un préjugé idiot portant sur l’auteur, auquel on ne soupçonne pas forcément un esprit innocent dont ce récit semble être le fruit. Cependant, j’ai passé un très agréable moment avec cette lecture, fraîche, douce et face à laquelle on ne peut que sourire. Ce récit m’a d’ailleurs, sous certains aspects, rappelé le Candide de Voltaire par le procédé, le héros, la structure, la philosophie, et l’optimisme bien sûr.

Et vous, avez-vous des lectures optimistes et insouciantes à me conseiller ?

 

Je suis embêtée en ce moment car je n’arrive pas à suivre un rythme de lecture et de publication d’articles qui me convient. J’ai l’esprit mobilisé par d’autres projets, ce qui m’empêche d’être assidue comme je le voudrais ! J’espère pouvoir continuer à vous fournir un article par semaine, mais j’aimerais plus….

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