Voici un livre que j’ai choisi consciencieusement. Le titre, la couverture, le résumé, tout me plaisait. J’aime les récits, les thrillers surtout, se déroulant en haute montagne ; ils sont ceux qui me font le plus frémir, de froid et de peur. La neige, le vent, le vide sont un décor propice à l’éveil de l’imagination et de l’instinct qui mettent à nu les hommes pris au piège. C’est tout ce dont j’avais envie.

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Le mal rôde depuis toujours dans ces montagnes maudites. Mathias le sait, lui « le sacrificateur » chargé d’éloigner les mauvais esprits des villages. Bien sûr, ces superstitions font sourire Lou et ses compagnons, randonneurs impatients d’arpenter les crêtes enneigées. Et pourtant… Egarés dans une effroyable tempête, terrifiés par la mort de l’un d’entre eux, ils vont voir leurs certitudes se dissoudre, une à une, dans la peur.

Mon avis

Tout d’abord, première surprise, l’action ne se déroule pas dans nos montagnes françaises mais en Albanie. Je pensais retrouver les Alpes, suivre un groupe de randonneurs perdus à proximité du Mont-Blanc, mais il n’en est rien. Il faut dire, ce paysage est déjà largement vu et revu ; changer d’air n’était en soi pas une déception. Pourtant, peu d’indications sur les montagnes albanaises nous sont données, il n’y a aucun nom de col, pic ou mont. Le décor aurait très bien pu être français finalement. Ne me représentant pas nettement le paysage d’Albanie, je me suis quand même imaginé les Alpes…

Le récit est écrit à deux voix. Il y a d’abord Mathias, un sacrificateur, solitaire, taiseux et maussade. Sa profession consiste à jeter de pauvres brebis depuis la montagne afin d’éloigner les mauvais esprits, ceci à l’occasion de mariages, naissances, baptêmes etc. C’est un drôle de métier, qui reposerait sur une sorte de sixième sens quant au choix de la victime à quatre pattes. L’affaire est sérieuse, les locaux ne se frottent pas à Mathias, il porte en lui le destin des habitants de la région. Et puis, nous suivons Lou et son conjoint, Elias. Ils sont les premiers, avec cinq autres, à tester une randonnée en haute montagne destinée aux amateurs. Ils ne sont pas des randonneurs chevronnés et croient participer à une balade gentillette de trois jours dans la poudreuse.

Mais bien vite, les éléments se déchaînent contre eux ; le guide, au lieu de rebrousser chemin, les enfoncent toujours plus dans la tempête qui semble interminable. Le froid devient glacial, le vent lacère la peau, le peu de sommeil et l’éreintement des corps ralentissent considérablement l’avancée et nos marcheurs se retrouvent piégés, engloutis par la montagne, égarés dans un labyrinthe d’une blancheur pure dénué de toute végétation, de tout abris, de toute trace de vie humaine, voire même animale. Les corps se refroidissent mais les esprits s’échauffent, la bonne humeur des premières heures laissant place à une angoisse dont la teneur est propre à chacun mais qui tourne autour d’une même question que personne n’ose prononcer, vont-ils survivre ?

Plusieurs éléments sont parfaitement maîtrisés pour offrir un récit à la capacité immersive et au réalisme incroyables qui ne vous feront pas lâcher le livre avant la dernière page. Il y a les personnages, finement étudiés, dans lesquels le lecteur pourra aisément se transposer. Ils ne sont pas des alpinistes pour qui la montagne est une amie, qui la connaissent parfaitement et dont les pièges sont familiers ; non ils sont des citadins un peu naïfs, en quête d’aventure et de sensations afin d’alimenter les pauses café de retour de leur petite expédition. Ainsi, leur périple prend des allures de « marche du condamné » une fois le vent levé, la nuit tombée, les espoirs amincis. Leur inaptitude et leur méconnaissance participent à l’inquiétude qui rapidement s’insinue dans les esprits. Dans de telles conditions, peu suffit à mettre les sens en éveil, à les tromper aussi ; le murmure du vent comme chuchotement du Diable, un mur de pierre comme abri confortable, un arbre esseulée pour une forêt, un raisin sec en guise de festin. Le guide est, lui,  un individu qui ne manquera pas de vous questionner, s’imbriquant parfaitement dans ce décor qu’il arpente en toute confiance, mais ne se souciant pas vraiment du niveau de ses élèves et peu porté sur l’anticipation et la prévoyance.

Le deuxième élément est l’omniprésence de la nature, ici un personnage à part entière ; un compagnon d’infortune insaisissable et lunatique qui vous colle aux pattes. La montagne, la tempête et la neige forment un tout homogène dont l’unique but est ici de dévorer le groupe, de le faire disparaître. L’auteure ne rentre pas dans des descriptions riches en détails pour dessiner l’environnement ; comme je l’ai dit les indications géographiques sont pauvres. Elle choisit plutôt de peindre des ressentis et ainsi de recréer le tableau à travers les yeux des personnages et l’empreinte des épreuves sur leurs corps. Ils ressentent le froid, la faim, la fatigue, cela suffit à imaginer un paysage inhospitalier. De cette manière aussi, elle insiste sur l’aspect lisse et répétitif de la montagne, désespérément blanche, dont au début on apprécie la beauté satinée hypnotique mais qui finit par écœurer et donner le tournis.

Enfin, il y a l’intrigue, simple comme tout, résidant dans l’égarement du groupe de randonneurs. Le moindre incident devient un événement dans cet enfer immaculé. Ce thème aurait pu à la longue susciter l’ennui du fait d’une pauvreté des rebondissements. Mais il suffit d’instaurer dès les premières pages un attachement aux personnages pour que leur aventure devienne aussi la nôtre, et alors la chute de l’un d’entre eux sonnera comme un drame. Et puis, l’on suit Lou au plus près, au cœur de ses doutes et pensées, parfois vaines ou idiotes ; avec elle on tremble, on craint, on envisage le pire. Les réactions des uns et des autres ne sont jamais exagérées, mais toujours plausibles ; bien qu’il paraisse difficile de mesurer  l’authenticité de leurs comportements dans de telles conditions. Néanmoins, l’auteure fait un effort pour encadrer les prises de décision, les choix à faire, d’un minimum de réflexion collective, d’émulation du groupe dans laquelle les personnalités de chacun sont clairement définies. Elle ne se contente pas de jeter en pleine nature ses personnages et de laisser l’environnement les animer ; non elle convoque les avis, les idées de chacun.

Le périple est entrecoupé par le récit de Mathias, dont on attend impatiemment qu’il rejoigne celui de Lou. Bien que le décor soit sensiblement le même, le rythme est tout autre, plus saccadé, il joue sur l’urgence de la situation de Mathias, quelque peu empêtré dans une sombre histoire où sa vie est en jeu. Ces mésaventures introduisent parfaitement le récit de Lou, qui est celui qui m’a le plus tenue en haleine.

J’émettrai tout de même quelques réserves sur la fin, qui m’a clairement déçue.  Aucun dénouement à l’horizon, nous quittons nos personnages en pleine action. J’attendais pourtant quelques explications sur certains points. De ce qu’il advient des personnages survivants rien ne nous est dit et c’est bien dommage.

Six fourmis blanches est un thriller efficace et réussi, à l’atmosphère propice aux sueurs froides jouant avec la peur de la solitude, du vide, du silence éternel et de l’étouffement. Un roman qui tient la route, d’une simplicité déconcertante mais c’est bien ce qui fait sa force, le complexifier l’aurait altéré.

Et vous, les histoires se déroulant en montagne, vous aimez ça ?

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