Les romans de Pierre Lemaitre sont devenus récurrents sur le blog. Il faut dire que de ceux que j’ai lus jusqu’à présent, je n’ai jamais été déçue. Avant de me plonger dans son dernier, Trois jours et une vie paru tout récemment, , je me fais un devoir d’avoir lu toute sa bibliographie. J’y suis presque puisqu’il ne me reste plus que Cadres noirs.

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

« Un événement est considéré comme décisif lorsqu’il désaxe complètement votre vie. Par exemple, trois décharges de fusil à pompe sur la femme que vous aimez. » Anne Forestier, la nouvelle compagne du commandant Verhoeven, est l’unique témoin d’un braquage dans une bijouterie des Champs-Elysées. Elle a été violemment tabassée et laissée pour morte.

Mon avis

Il faut bien une première fois à tout, et en littérature l’on n’est jamais aussi près d’une déception que lorsque l’on en attend beaucoup d’un écrivain. Et malgré un roman surpassant largement une myriade de livres du même genre publiés par divers auteurs insipides, je dois reconnaître qu’au regard de ce que j’ai pu lire précédemment de Pierre Lemaitre, Sacrifices fait exception. J’ai senti poindre la déception assez rapidement durant ma lecture, comme un brouillard s’emparant lentement de mon esprit et bloquant ma motivation à tourner les pages.

Car, à l’inverse de la frénésie avec laquelle j’étais habituée à dévorer les histoires de cet écrivain, ici une désagréable impatience mêlée à un ennui m’a rapidement submergée. Il faut dire que l’intrigue peine à démarrer, et dans ce genre de roman, l’on ne s’attend pas à devoir patienter quelques centaines de pages avant d’être pris par le feu de l’action. La scène initiale, à savoir le drame touchant Anne, la nouvelle compagne du commandant Camille Verhoeven, est d’une longueur inouïe. En témoignent les chapitres qui correspondent à des horaires précis dans l’action, 10h00, 10h15, 10h30 et ainsi de suite. Autant, si ce découpage temporel servait à rendre compte d’une tension dans le déroulé des événements il en serait nécessaire et pertinent, autant s’il s’agit simplement d’un repère pour le lecteur il en devient accessoire. Ainsi, voici un choix bien étrange à mes yeux que de diviser ce récit en tranches horaires.

L’intrigue se déroule sur trois jours. Le rythme se veut donc haletant, insoutenable, comme le ressent Verhoeven. Mais, je suis restée bien stoïque face à la succession des événements. Le fait que Camille soit touché de près par une tentative d’assassinat, et qu’il décide de s’emparer de l’affaire en camouflant son lien avec la victime, présageait une histoire spéciale par rapport aux autres. Ici, nous n’avons pas de cadavres vilainement esquintés, pas de tueur en série en cavale, ni même de risque d’un futur passage à l’acte, si ce n’est sur Anne. Nous avons juste un délinquant un peu trop obstiné qui a décidé de s’en prendre sauvagement à la seule témoin du braquage qu’il a commis, la compagne de Camille. S’ensuit donc la quête personnelle du commandant pour mettre la main sur cet individu.

Plusieurs éléments sont à soulever qui pourraient expliquer pourquoi je n’ai décidément pas accroché à cette histoire. Est-ce le fait que Verhoeven travaille cette fois-ci en solitaire, et qu’ainsi l’auteur ne nous fasse pas cadeau des émulations entre les membres de la brigade qui sont souvent l’occasion de dialogues savoureux ? Ou bien, est-ce cet état d’urgence entraînant avec lui le désarroi et la panique de Camille qui ne permettent pas à ce personnage, que j’apprécie tant, d’étendre toute la palette de sa personnalité, de son caractère ? Ou plutôt, est-ce tout simplement l’intrigue même du livre, qui repose sur la relation unissant Camille à Anne et dont je me sens éloignée ? Car Anne est inconnue des lecteurs, ils n’auront donc pu pleinement investir leur histoire sentimentale et ressentir tout le tragique de la situation. Toujours est-il que j’ai navigué dans ce récit à contre-courant. J’ai largement peiné à tourner les pages. Je ne savais plus où j’en étais,  quels étaient les aboutissants de l’intrigue,à quel dénouement j’étais censée m’attendre. J’ai été totalement désintéressée par ce qui se déroulait sous mes yeux, par le semblant de course-poursuite essoufflant le commandant mais ne m’embarquant pas avec lui. Je n’ai pas été saisie par l’urgence de la situation, ne me rendant pas bien compte de l’importance d’agir vite dans de telles circonstances. Au final, je suis passée à côté de tout ce qui aurait dû me maintenir en haleine.

Mais pour autant ce serait mentir, et être un peu trop sévère avec l’auteur il est vrai, que d’affirmer que j’ai détesté Sacrifices; car malgré une histoire qui n’a guère suscité mon intérêt, Pierre Lemaitre a au moins réussi là où il n’a encore jamais échoué, à savoir sur son dénouement, enfin plutôt sur l’explication finale apportée à son intrigue policière. J’ai persévéré dans ma lecture car je savais, j’espérais, que viendrait le moment tant attendu de la révélation, qui mettrait enfin en lumière ce qui m’avait tant ennuyée, et qui peut-être parviendrait à redorer mon impression générale. Ainsi, j’ai tourné les pages sans fournir le moindre effort pour relever quelque indice, quelque élément me permettant de deviner le fin mot de l’histoire. J’ai préféré jouer la fainéante, me reposant entièrement sur la construction habituelle de ce genre littéraire, où la révélation du coupable et du mobile est servie sur un plateau par l’auteur. Mais alors, ce dénouement m’a-t-il pour autant convaincue ? A-t-il rehaussé le niveau général du livre ? A la première question, je répondrai oui. Pierre Lemaitre m’a une fois de plus abasourdie par son final, par le mécanisme régissant son intrigue. Je dois applaudir son immense talent pour construire des rouages indécelables, mais qui tiennent, qui fonctionnent. J’ai vraiment adoré le mobile dont il a affublé le fameux braqueur.

Si Lemaitre m’avait davantage maintenue dans un suspens prenant, ce roman aurait été une véritable réussite. Et c’est ainsi qu’à la deuxième question soulevée, je répondrai non. Car l’explication, bien que relevant du génie, ne peut pas effacer d’un coup de baguette magique une lassitude, un dépit, aussi marquants que ceux ressentis durant les 300 pages qui précédent la révélation, malgré toute la surprise que cette dernière a suscitée. Lemaitre m’avait habituée à une attente insoutenable, à une tension allant crescendo, formant un piédestal de choix pour un final grandiose, résonnant comme un feu d’artifice. Mais la seule mécanique invisible et révélée en toute fin ne saurait constituer un élément déterminant pour qualifier le roman de réussite,  car la saveur d’un livre réside dans un mélange équilibré et homogène d’ingrédients divers. Ainsi, je reste sur cette impression qui m’a tenaillée dés les premières pages, à savoir que l’intrigue principale est fade et bien loin de tenir en haleine le lecteur.

De plus, Lemaitre excelle particulièrement dans l’art de nous dresser des portraits vivants d’individus en marge de la société, des personnalités écorchées, empreintes d’un passé souvent lourd. Ici, je n’ai pas eu ma dose de finesse psychologique. L’auteur a fait le pari de jouer davantage sur l’action plutôt que de s’épancher sur le dessin de ses personnages. Voici une autre raison qui vient s’ajouter à celles qui m’ont fait passer à côté de ce roman.

Sacrifices est à ranger du côté des immenses déceptions, de celles qui sont difficiles à digérer car intervenant après une suite de très belles surprises, des réussites littéraires. Mais ce qui rend cette déception d’autant plus amère est que Sacrifices constitue le dernier volet de la trilogie « Verhoeven ». Je n’aurai ainsi plus le plaisir de retrouver ce personnage dans de nouvelles aventures, et lui dire adieu sur une note aussi négative me frustre énormément. J’espère que mes prochaines lectures de Pierre Lemaitre sauront me faire oublier ce petit écart dans sa bibliographie.

Et vous, avez-vous lu la trilogie de Lemaitre ?

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