J’ai découvert Ken Liu avec son surprenant L’homme qui mit fin à l’histoire, récit court à la fois original et intense. Ne voulant pas en rester là avec un auteur si prometteur, et à l’univers si peu investi par moi dans la littérature, à savoir la science-fiction/anticipation, je me suis tournée vers son dernier « roman », paru en 2017 et intitulé Le Regard. Plus nouvelle que roman, à l’instar du précédent, qu’ai-je pensé de cette histoire ?

Résumé de l’éditeur

Dans son registre, celui de l’investigation, Ruth Law est la meilleure. D’abord parce qu’elle est une femme, et que dans ce genre de boulot, on se méfie peu des femmes. Parce qu’elle ne lâche rien, non plus, ne laisse aucune place au hasard. Enfin, parce qu’elle est augmentée. De manière extrême et totalement illégale. Et tant pis pour sa santé, dont elle se moque dans les grandes largeurs — condamnée qu’elle est à se faire manipuler par son Régulateur, ce truc en elle qui gère l’ensemble de ses émotions, filtre ce qu’elle éprouve, lui assure des idées claires en toute circonstance. Et surtout lui évite de trop penser. À son ancienne vie… Celle d’avant le drame…

Mon avis

Avis à ceux qui, comme moi, ont dévoré la série Black Mirror, vous trouverez dans Le Regard, son pendant littéraire ; la longueur du récit rappelant, en outre, le format des épisodes. Histoire se situant dans un futur proche où la technologie dans ce qu’elle a de plus intrusive s’est développée à outrance. Ken Liu met en avant plusieurs évolutions : les implants oculaires permettant de photographier à l’infini, un régulateur d’émotions pour les métiers à risque tels que policiers, des améliorations physiques permettant de gagner en capacités musculaires. Pas de doute, nous sommes dans une société proche de la nôtre en temporalité.

L’intrigue se concentre sur la mort d’une jeune prostituée, dont l’enquête sera menée par une détective privée spécialisée dans les adultères, les fraudes fiscales, etc. La première a un œil implanté, la seconde un régulateur et un corps augmenté. Les chapitres alternent les points de vue entre celui de l’assassin et de l’enquêtrice.

Quoique sympathique, l’histoire en elle-même ne m’a pas franchement convaincue. Espérant davantage d’audace, à la fois dans le déroulé des évènements que dans les prises de positions mobilisées (que le premier roman avait, lui, soulevées), je suis restée étrangère face à la platitude de la résolution de l’enquête qui ne met pas suffisamment en avant l’aspect futuriste amené par les multiples avancées technologiques. Implants ou régulateur, ils ne sont selon moi pas exploités de manière approfondie, ceci étant largement dû à la longueur du texte qui ne laisse guère la place à des épanchements sur le sujet. Quatre-vingts pages, c’est peu pour dérouler une histoire de science-fiction sans laisser le lecteur sur sa faim.

Je suis d’autant plus déçue que l’idée du régulateur d’émotions m’est apparue particulièrement prometteuse et lumineuse. L’auteur s’avançant sur une pratique encadrée et professionnelle, ici au sein de la police, j’en attendais beaucoup et reste persuadée que quelque cent pages supplémentaires aurait permis un développement passionnant. Le passé de Ruth, dévoilé en pointillés, sert d’amuse-bouche à une histoire qui ne sera jamais écrite et qui restera à l’état d’embryon dans mon esprit. Il n’y a rien de plus rageant.

Pour ce genre de livre, la fin se doit d’être tonitruante pour être mémorable. Le format court suppose une intensité condensée, ponctuée par une dernière page magistrale, d’autant plus que le genre dans lequel évolue Ken Liu est idéal pour offrir de beaux rebondissements ultimes. Mais ici point de cela, rien qui vienne mettre en perspective l’intrigue. Les éléments technologiques ne sont là que pour faire pétiller les yeux des lecteurs, attiser leur curiosité et densifier presque faussement une histoire classique de meurtre. La parenthèse politique sur le gouvernement chinois est elle aussi un ajout trop pauvre pour susciter l’intérêt.

Alors que le roman L’homme qui mit fin à l’histoire ne m’a que légèrement fait regretter un ajout de pages, ici le constat est autre, il y avait matière à davantage, oui, mais l’exposé de la matière est en lui-même mal exécuté. La richesse de son imaginaire dessert Ken Liu puisque, fourmillant d’idées, il éparpille des ficelles pour ne jamais solidement les nouer. Le synopsis de l’intrigue aurait largement pu faire l’objet d’un roman plus complexe, plus développé, plus argumenté. La fin, justement, qui clôt le récit sur une scène d’action, témoigne d’une absence ; l’auteur s’est comme arrêté en milieu de chemin. Aussi, j’ai l’impression de devoir juger une ébauche plutôt qu’un résultat final.

Et vous, si je vous dis Black Mirror, science-fiction, roman d’anticipation… ?

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