Ma rencontre avec ce roman a commencé par une rencontre humaine. C’est à l’aéroport de Pointe-à-Pitre, alors que mon avion était prévu huit heures plus tard, qu’à un angle de table, sirotant un énième café, je me suis retrouvée à côté de Néhémy Pierre-Dahomey. Je ne le connaissais pas encore. C’est en surprenant une conversation, comme je sais si bien le faire, et en m’immisçant dedans, comme je le fais rarement, que l’auteur et son roman se sont présentés à moi. Quelques semaines plus tard, le voici dans ma boîte aux lettres. Un grand merci à Néhémy et aux Éditions du Seuil.

Résumé de l’éditeur (tronqué)

Belliqueuse Louissaint, jeune Haïtienne au caractère intrépide, tente une traversée clandestine de la mer des Caraïbes pour rejoindre les Etats-Unis. Le voyage échoue. Elle y laisse un enfant. De retour sur le sol natal, elle est forcée de s’installer sur une terre désolée, réservée par l’Etat aux infortunés rescapés. L’endroit est baptisé Rapatriés.

Mon avis

Petit préambule utile. Mon approche de l’Haïti littéraire se résume à une bien mauvaise expérience avortée il y a plusieurs mois avec La femme qui avait perdu son âme, que je n’ai pu terminer.

Ici, c’est nettement différent puisque l’auteur est lui-même un natif du pays.

Dans Rapatriés nous suivons Belliqueuse Louissaint, alias Belli, jeune haïtienne cahotée par la vie âpre et aléatoire de son bout d’île. L’histoire commence par un drame, elle jette son nourrisson à la mer, telle une déesse maritime procédant à je ne sais quel rituel. Mais ici c’est au cours d’un naufrage, alors que tous ses espoirs étaient tournés vers la terre promise, comprenez l’Amérique. Retour à la case départ, échouée sur la plage, étouffée par le sable et l’eau salée. Il est temps de ramasser les lambeaux de sa vie pour retisser quelque chose, pour sa progéniture, restante et à venir.

À travers ce personnage, martyrisé au possible, auquel l’auteur n’offre que très peu d’espace émotionnel, de tendresse et d’intellectuel, c’est l’histoire récente de tout Haïti qui est mise en mots. Haïti, cette contrée réputée pauvre, malheureuse et isolée, sous les feux des projecteurs voyeuristes de tous les pays dits « riches » durant l’année 2010, suite au dramatique séisme, nous est présentée ici comme une terre turbulente, peu hospitalière, dont les habitants figurent des naufragés condamnés à y faire leur nid, loin de tout. L’on s’étonnera pourtant d’un manque cruel de descriptions naturelles, l’auteur préférant porter l’attention du lecteur sur les traces de l’Homme, sur ses conditions peu commodes, sur ce qu’il fait par là-bas. De cette île, l’on ne peut véritablement ici admirer la beauté car Néhémy nous propose une étude sociale, à travers plusieurs personnages proches de notre héroïne. Indigence, mal-être, débauche, éclatement familial, labeur vain et avenir sous forme d’éternelle interrogation ; le décor s’éloigne de celui d’une carte postale. La lecture procure un malaise palpable. Qui sont donc ces gens, dont le mode de vie aigre semble séculaire ?

J’ai été étonnée du choix fait par l’auteur, celui d’une amplitude chronologique très vaste sur un roman relativement court. L’auteur sautille dans le temps, piochant des évènements au gré de l’existence de Belli. La naissance de ses enfants, les deux petites qu’elle fera ensuite adopter, son histoire tourmentée avec Nènè, un pauvre hère infidèle, le devenir de son délinquant de fils. Souvent, l’auteur s’arrête sur des personnages, prend des clichés, à coller plus tard dans l’album de famille. Le résultat souffre par moments d’un aspect brouillon et maladroit. Le lecteur ne saura plus qui suivre. Trop de personnages pour un nombre insuffisant de pages semble-t-il. Ça déborde du cadre. Ce qui en ressort est inévitablement, pour ma part, un manque d’attachement envers les uns et les autres, et principalement Belli ; sauvageonne incomprise dont l’auteur lui-même ne sait que penser, ne sait comment nous la présenter, quel visage lui peindre. Il alternera les points de vue, et osera même un retournement brutal lors d’un final déroutant.

L’épilogue est sinistre, suggérant que la vie, la vraie, solide et tournée vers l’avenir, passe par l’exil ; que toutes velléités de vivre mieux en Haïti sont exclues. Il condamne, à travers le personnage ambivalent de la française Pauline, un humanitaire hypocrite qui ne va pas si bien que cela. Le livre se termine sur la vision réduite de l’île à travers le hublot d’un avion. C’est pénible et révélateur. Néhémy a quitté Haïti, il vit à présent en France, à Paris. Cette image d’une terre délaissée et livrée à elle-même fait mal au cœur.

Quant à la plume de l’auteur, elle est éminemment poétique (il a fait ses marques en tant que poète avant de se lancer dans le roman). Je l’ai trouvée intime, extraite du cœur de l’enfant haïtien qu’il était. Néhémy raconte des souvenirs, c’est certain. L’écriture n’est pas toujours accessible, tantôt mystérieuse, tantôt foisonnante, elle se cherche, tourne autour de ce qu’il y a à dire, s’emmêle parfois. Le résultat est curieux, mais sans égale beauté.

Rapatriés ne m’a pas touchée par le récit déroulé – l’histoire de Belli et ses enfants – mais par la tristesse infinie du portrait, un pays abandonné et maltraité, au regard de celui qui tient la plume. Savoir l’auteur natif de là-bas est suffisant pour soulever des interrogations légitimes sur ses motivations à décrire un tel enfer sur Terre. Oui, car pour moi il a décrit l’Enfer. Où la folie passe inaperçue, où la sexualité est laide et débridée, où les enfants sont dispersés, déracinés (qu’ils grandissent en foulant le sol haïtien ou qu’ils s’envolent pour l’Occident), où les adultes sont aux prises avec un mystique instable. Il n’y a rien de beau. Pour s’en convaincre il n’y a qu’à constater ce que l’auteur fait de son héroïne. Quant à la petite Bélial, gamine effrayante de lucidité, elle forme avec Pauline un duo improbable, qui n’est guère celui d’une mère et sa fille ; le reflet sarcastique de la matrice initiale, une manière étrange de faire écho au désastre haïtien personnifié par Belli. Il n’est pas question d’apitoiement, ni de regard en arrière. Bélial aura au moins appris à danser ; ses racines prenant la forme de mouvements corporels inspirés du vaudou.

En conclusion, j’ai simplement envie d’encourager Néhémy Pierre-Dahomey, qui signe avec Rapatriés un premier roman ambitieux, dont je n’ai certes pas saisi toute l’intensité mais aux nombreuses qualités littéraires.

Un point, plusieurs fois soulevé chez d’autres, grand mystère du monde de l’édition. Pourquoi, grands dieux, pourquoi étaler en quatrième de couverture les trois quarts, sinon ici l’entièreté du roman à lire ? Mon avancée dans le livre y était suivie de près, et je m’étonnais chaque fois plus que le résumé ne s’arrête pas. Tout est dit, ou presque. Ceci est incompréhensible.

Et vous, avez-vous croisé la route de ce premier roman ? Connaissez-vous peut-être des écrivains haïtiens ?

 

 

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