Voici une autre petite merveille découverte dans cette pile de livres dénichée au Mans, après Balzac et la Petite Tailleuse chinoise. Je suis étonnée de la qualité des deux romans, qui m’ont tous deux narré de très jolies histoires. À quoi bon sélectionner attentivement sa prochaine lecture quand le hasard fait si bien les choses ? Je crois que l’on n’est jamais aussi ouvert quand ce ne sont que nos pas et un regard qui nous ont conduit à elle…

Résumé de l’éditeur15645736_10154861963558044_1818876650_n

Le « petit garçon » a grandi. Lycéen à Paris, il a quinze ans. C’est l’âge de la solitude, des rêves, de l’attente. Un inconnu, Alexandre, entre alors dans sa vie. Le charme slave, la grâce, l’élégance font de lui un être à part. Le narrateur réussit à devenir son ami intime et gagne le droit d’aller prendre le thé avec lui au sortir du lycéen, chez la vieille et curieuse « Madame Ku ». Alexandre a une sœur. Et peut-être le merveilleux jeune homme n’est-il qu’une pâle copie de cette Anna, beauté fantasque et secrète, dont l’innocent narrateur va tomber totalement amoureux…

Mon avis

Tout d’abord, il me faut préciser que j’ai un rapport conflictuel avec les textes initiatiques autour de l’adolescence et de ses perturbations. De mémoire, aucun roman n’a réussi à transpercer mon cœur s’agissant du thème, ô combien traité en littérature, de la sortie de l’enfance. Je ne me suis jamais reconnue dans ces textes, ou trop souvent le personnage est un jeune garçon ; trouvant ses déboires ennuyeux, le héros autocentré et l’adolescence exagérée dans son caractère « transitionnel ». Le monde adulte se réfléchit moins dans sa nature, et ça me convient.

Peut-être est-ce justement parce que j’ai vu en ce jeune héros de Quinze ans l’adulte en devenir plus que l’enfant en fuite que j’ai davantage été sensible à son histoire. Il faut dire, c’est l’auteur adulte qui raconte sa propre adolescence, certes romancée, mais tout de même ; et ce réalisme ôte, par rapport aux autres récits, tout l’hypothétique ennuyeux, le fabuleux avec lesquelles on peinturlure cette période de la vie. Philippe Labro nous raconte l’année de ses quinze ans, âge transitoire pour lui, comme sont les vingt ans pour les uns, ou les vingt-cinq ans pour les autres. Car au-delà de l’adolescence, il nous raconte un épisode marquant de sa vie.

J’ai beaucoup aimé le ton employé, à la fois bienveillant par rapport au jeune garçon qu’il était alors, amical et cotonneux. Il nous plonge directement dans une bulle, sortie de sa mémoire, porteuse d’un chapelet d’émotions et de souvenirs prégnants. À travers les descriptions des personnages et des lieux, il recrée l’univers de ses quinze ans, comme une scène de théâtre où chaque objet a son importance, où la place de chacun est millimétrée. Ça s’accompagne de couleurs précises, d’une atmosphère difficilement représentable autrement que par les mots. Et puis il y a l’état d’esprit du héros au début du livre, nous le rendant immédiatement sympathique tant il observe et décrit son univers avec amusement, et recul (celui que lui offrent les décennies ayant succédé aux événements ?). Moi qui, d’ordinaire, m’enquis des troubles de ces jeunes garçons avec une grande indifférence, ici j’ai été transportée dans ce paysage d’une époque et d’une enfance. Le jeune homme a pris vie sous mes yeux. L’écriture à la première personne participe grandement à l’intimité toute particulière qui s’est créée entre lui et moi, amplifiée par le fait qu’il s’agit de l’auteur parlant du lui-même âgé de quinze ans.

Cette année cruciale dans sa vie est marquée par une rencontre très romanesque. Si Philippe Labro a retranscrit au plus près ce qu’elle était alors je ne m’étonne pas qu’elle ait influencé son existence, car je dois reconnaître que le bel et envoûtant Alexandre, au début du récit un nouvel élève craint et admiré de tous, est ce genre d’individu que l’on croirait tout droit sorti d’un roman. Lui et sa sœur Anna forment une famille atypique et mystérieuse où les parents sont ombres ; les enfants sont ici tout-puissants. Notre héros va être totalement subjugué, tout d’abord par le frère, puis par Anna, son double féminin, peut-être le modèle originel de cette fierté toute slave qu’arborent les Vichnievsky-Louveciennes (des franco-russes) avec distinction et coquetterie. Il va s’immiscer dans leur univers, entretenant avec Alexandre une amitié franchement perverse si l’on considère la manière dont ce dernier ouvre les portes de son cercle pour y laisser entrer tout individu qui aura d’abord prouvé qu’il en était digne. Alexandre est détestable, le genre de jeune homme à qui j’ai envie de ficher mon poing dans la figure, un être dédaigneux et arrogant qui, à quinze ans, se croit divin. Il ne doute pas, n’admet ni le remord ni le regret, vous cause à la troisième personne, et s’il pose les yeux c’est parce qu’il pense que vous l’avez sagement mérité.

J’ai admiré le tempérament du héros, dois-je l’appeler Philippe puisque nulle part n’est fait mention de son prénom, piqué par la curiosité et surpassant ce que lui inspire son nouvel ami comme hostilité. Je crois pourtant qu’il l’aurait vite envoyé sur les roses si celui-ci n’avait pas une sœur aussi charmante. Mais là où l’arrogance et le pédantisme sont irritantes chez un homme elles deviennent, nous sommes dans les années cinquante, fascinantes chez la femme. J’ai tout autant détesté cette Anna, mais enfin je peux comprendre que le jeune homme ait difficilement pu y résister.

J’ai craint à certains moments de sombrer dans une histoire comme il en existe tant d’autres, du jeune homme éconduit mais amoureusement aveugle, ou aveuglément amoureux, qui se fait la carpette de la femme qu’il convoite. Mais ici le héros, fort heureusement, est loin d’être abruti. Il est certes plutôt docile et complaisant, mais non malléable comme une poupée de chiffon. Il possède ses propres ambitions, le journalisme, un esprit critique et un sens de la répartie beaucoup plus charmants et spontanés que cet éphèbe d’Alexandre. Il va sans dire qu’il est aussi mille fois plus sympathique. Quoi qu’il en soit, ces deux êtres ont semble-t-il laissé une trace indélébile dans le cœur de l’auteur, pour leur consacrer un livre tout d’abord, et pour en parler sans aucune animosité, sans aucune âcreté dans le ton alors que leur relation s’est terminée de manière plutôt abrupte. Philippe Labro en a retiré le meilleur, comme une leçon de vie.

Vous l’aurez compris, j’ai été fortement séduite par Quinze ans. Le côté « je parle au moi adolescent » est parfois cocasse, l’auteur s’autorisant quelques petites comparaisons entre l’adolescence de la moitié du 20e siècle et celle de la fin du siècle, pour en conclure que quelle que soit l’époque ce « passage » présente très souvent les mêmes caractéristiques ; interrogations, illusions, espoirs, attentes. Le récit est plein de petits éléments annexes à l’intrigue principale, comme l’intrigante « Madame Ku » ou le concours de journalisme, qui permettent de respirer un autre air, préservé du parfum d’orgueil des Vichnievski-Louveciennes.

Et vous, les romans sur l’adolescence vous agacent-ils aussi, ou bien y êtes-vous sensible ?

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