Vous savez peut-être, ou non, qu’entre Fred Vargas et moi c’est une longue, très longue histoire d’amour ; une quinzaine d’années je crois. Elle fait partie, selon moi, des écrivains indispensables au paysage littéraire français, par son atypisme dans le style et les histoires qui la rend reconnaissable entre mille. Donnez-moi deux lignes d’un de ses romans je saurai qu’il s’agit d’elle. Elle peut se gargariser d’avoir créé un nouveau genre. Car ses textes ne sauraient être qualifiés du simple « policier », dans lequel l’on trouve un fourbi de récits. Non, et je vais même vous dire une chose, je ne lis pas Vargas pour le suspens, pour l’intrigue policière, pour une enquête haletante ; je la lis avant tout pour elle-même, unique en son genre. Nulle part ailleurs je n’éprouve ce plaisir où se mêlent la gaieté de revoir des personnages si appréciables, la nostalgie douceâtre qui se distille entre les pages, la festivité du ton, l’affection ressentie pour la brigade la plus atypique et improbable du pays, et l’humour éprouvé de l’écrivain (répétitions, caricatures, jeux de mots, situations grotesques.)

Je remercie Flammarion (et en particulier une certaine Julie) pour cette nouvelle dose de bonne humeur, bien loin du roman noir.

 

Mon avis

On va passer sur mon avis final, puisqu’il s’inscrit, sans surprise, dans la continuité des précédents livres ; c’est encore une fois un très bon cru. Je n’en doutais pas. Fred Vargas maîtrise son truc, elle sait faire démarrer l’intrigue, elle sait faire parler ses personnages, elle sait comment tracer son histoire et l’aboutir.

Le lecteur pénètre un buisson dense qui le rend aveugle ; à la manière d’Adamsberg et ses brumes le lecteur n’est guère plus avancé. N’essayez donc pas de trouver le coupable avant l’heure. Car, à supposer que vous ayez envie de reconstituer le fil de l’intrigue, je parie que vous vous emmêlerez les pédales. C’est un dédale incohérent avant dissipation totale du nuage. Et le merveilleux c’est que seul le commissaire sait par où aller, avec ses protopensées comme il dit, ses bulles gazeuses qui se baladent dans son crâne. Suivez Adamsberg et vous arriverez à bon port, laissez-vous conduire, il vous mènera à sa manière. Ici, c’est lui qui prend les commandes, et peut-être davantage que dans ses précédentes enquêtes.

Nous avons affaire à une sombre histoire de morsures d’araignées. La coupable c’est cette petite demoiselle, la recluse, qui vit cachée dans des anfractuosités et n’attaque que rarement. De là à tuer un homme, il y a un monde. Et pourtant, le fait est là, plusieurs hommes âgés ont trouvé la mort, mordus par la bestiole. Il n’en faut pas plus pour que notre Adamsberg national se penche sur le sujet. Si meurtre étrange et insoluble il y a, le commissaire sera le premier au combat. Même si l’action se déroule près de Nîmes et non au cœur de Paris, là, pourtant, où il est censé exercer ses fonctions (On l’avait quitté en Islande, c’est vous dire). Mais connaissant la brigade, ses mœurs, son mode de vie, ses personnages, le lecteur ne s’inquiétera plus de savoir qui gère le commun du commissariat quand tous sont occupés ailleurs : ici avec des araignées. Nous sommes bien loin, très loin, du réalisme policier. Fred Vargas ne s’embarrasse pas trop de ce conformisme. Elle a décidé que cette brigade ferait ce que bon lui semble, et n’en démordra pas (c’est le cas de le dire). Adamsberg mène la barque à sa façon. C’est-à-dire mu par le tréfond de son être, un endroit obscur où se côtoient des idées, des images, des intuitions, que lui-même met un certain temps (le temps de l’enquête en réalité) à déchiffrer. Adamsberg est l’un des personnages les plus aboutis de la littérature actuelle. C’est un homme complet à présent, son portrait a été tracé sur des milliers de pages. Il n’a plus aucun secret pour Vargas, qui le raconte avec perfection, sans jamais faire ombrage à un pan de sa personnalité, sans jamais le trahir, sans jamais aller contre sa volonté. Et c’est face à ce genre de relation écrivain/héros que l’adage selon lequel les personnages font vivre l’histoire est le plus vrai. Ici l’on pourrait même dire qu’Adamsberg fait vivre Vargas.

Je m’égare. Parler des romans de Vargas en restant fixe dans sa direction est un sacré challenge. La dame ne se laisse pas appréhender facilement, ses histoires encore moins. Flammarion a d’ailleurs préféré passer outre une quatrième de couverture classique exposant le fil général du récit ; un extrait sera toujours plus parlant qu’une tentative de résumer. Retenez juste qu’il est question de morsures d’araignées.

Il est utile de souligner une chose, pour encore brosser le talent de Vargas dans le sens du poil, mais je l’aime tellement que voulez-vous. L’histoire frôle ici avec du plus classique, étant question (en sus des araignées) d’un orphelinat où de la mauvaise graine est mêlée à des viols collectifs. Ce thème abordé, je me suis dit : « Ha tiens, peu original pour une fois la Vargas ». Oui, car les orphelinats où il se passe de sordides histoires c’est du déjà-vu. Mais figurez-vous qu’en un tour de passe-passe l’auteur parvient à engloutir le commun dans son scénario, par des pirouettes habiles qui pimentent les pièces usées. Adieu orphelinat classique, bonjour bulles gazeuses et boules à neige.

Petit embêtement, dans cette histoire Danglard est mis au rebut, il brille par son absence, et c’est bien dommage car un Adamsberg sans son Danglard c’est comme Holmes sans Watson. Danglard est évincé de l’enquête par Vargas d’une drôle de façon ; elle n’en voulait décidément pas pour le reléguer aussi bêtement. Adamsbert se tourne finalement vers Veyrenc (son camarade béarnais aux mèches rousses) et Retancourt toujours (l’armoire à glace version femme). Finalement ça fonctionne quand même, mais Danglard m’a manqué ; lui, son érudition, sa mémoire d’éléphant et ses citations.

La meilleure manière de vous vendre Quand sort la recluse c’est d’affirmer que Vargas a ici fait du Vargas. Que les indécis resteront indécis. Que les non convaincus le seront encore plus. Mais que ceux qui l’ont aimée, l’aimeront davantage.

Cette écrivain est une artiste, une folle, une désaxée qui a son langage, son humour, sa littérature. En plus d’être cultivée, et de faire passer ses connaissances sous une forme plaisante, elle est fine observatrice, il faut l’être pour révéler d’aussi improbables détails, grande conteuse aimant la broderie fine et poétesse.

Et vous, êtes-vous aussi adepte de cette romancière ? Cette nouveauté vous tente-t-elle ?

 

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