Il y a deux ans déjà j’ai découvert Tracy Chevalier avec sa très célèbre Jeune fille à la perle. J’avais aimé l’ancrage historique, la douceur du texte et l’héroïne, fraîche mais combative, mais reprochais au texte un certain nombre de petites choses. J’ai décidé de renouer avec l’auteure dans une histoire qui prend pied, elle aussi, dans le réel puisqu’il s’agit de la biographie romancée d’une paléontologue.

Résumé de l’éditeur

Dans les années 1810, à Lyme Regis, sur la côte du Dorset battue par les vents, Mary Anning découvre ses premiers fossiles et se passionne pour ces « prodigieuses créatures » qui remettent en question les théories sur la création du monde. Très vite, la jeune fille issue d’un milieu modeste se heurte à la communauté scientifique, exclusivement composée d’hommes.

Mon avis

Nous sommes à Lyme Regis, dans le sud de l’Angleterre, au début du 19e siècle. C’est un site fécond pour les chercheurs de fossiles, les os de dinosaures et autres ammonites semblent sortir de la terre et des roches comme des champignons. La première à s’intéresser de près à ces vestiges d’êtres vivants disparus est la jeune, très jeune, Mary Anning. Au début du livre elle n’est encore qu’une enfant, solitaire, passionnée, acharnée dans sa quête de fragments d’os. Elle possède la naïveté de son âge et des occupations d’adultes. Moquées, critiquées, parfois même détestées par les gens du bourg, elle et sa famille vivent dans l’indigence, sur ce que leur rapporte la petite boutique de fossiles, tenue par le père avant sa mort, puis la mère, par dépit.

Mary Anning va faire la connaissance d’une nouvelle venue dans le coin, une bourgeoise de Londres accompagnée de ses sœurs, Elizabeth Philpot. Vieille fille âgée de quinze ans de plus qu’elle, droite et rigide comme une souche, elle oriente elle aussi son visage vers le sol en quête de ces étranges débris. Moins érudite, moins prédisposée à faire partager ses connaissances, elle est fascinée tandis que Mary est passionnée. Les poissons ont sa préférence, elle leur trouve une beauté cachée et les traite avec le respect que ses contemporaines consacrent aux bijoux.

Prodigieuses créatures raconte dans un récit où les voix des deux femmes alternent, l’histoire de celle qui apportera une connaissance nouvelle à cette science réservée aux hommes, comme tout ce qui était, à l’époque, un tant soit peu scientifique ou intellectuel. Une femme préoccupée par les fossiles c’est tellement vulgaire et dégradant. La femme doit plutôt avoir le visage levé vers l’autre, avenant, souriant, éclairé par le soleil, et non sans cesse orienté vers le sol humide et rocailleux du bord de mer à la recherche de traces d’un passé reculé sur lequel viennent se fracasser les conceptions religieuses des fervents catholiques. Si Dieu, dans sa perfection, a créé un univers tout aussi parfait, il est impossible que des espèces aient disparues. Ce serait là preuve d’une erreur dans sa création, or Dieu ne commet pas d’erreurs.

Ce roman était présenté par la collection Folio comme portant sur l’amitié, avant toute autre chose. Je ne savais à quoi m’attendre, l’histoire de deux femmes animées par la même passion, ou le récit unique d’une destinée hors norme davantage scientifique. En réalité, ce n’est ni véritablement l’un, ni pleinement l’autre. Là où le récit pèche c’est dans son rythme. L’auteure le reconnaît dans le post-scriptum : relater l’histoire, et donc le quotidien d’une paléontologue, c’est risquer de sombrer dans une narration linéaire, puisque les journées de l’héroïne se déroulent monotones et se ressemblent. La quête d’ossements mobilise un degré de patience dont peu peuvent se prévaloir. Alors l’écrivain, pour contrer cet obstacle, a redessiné la chronologie des évènements, a ajouté quelques intrigues collatérales, sentimentales ou familiales. Néanmoins, et ça m’embête de le reconnaître, une lassitude est venue poindre le bout de son nez à mi-parcours, tandis que j’avais l’impression de relire un même chapitre. Je ne sais combien de fois Mary découvre un ichtyosaure ou un plésiosaure (les deux spécimens présents sur les côtes). Passé l’ébahissement de la première trouvaille, qui m’a parfaitement tenue en haleine, les suivantes n’ont plus la même saveur.

Pour en revenir à l’amitié unissant ces deux femmes aux caractères et aux origines sociales opposés, j’ai beaucoup de mal à la considérer comme telle justement. Je n’y ai pas vu les traits de l’amitié. Il faut dire, leur relation nous est décrite dans le silence. L’auteure suggère qu’elles se côtoyaient régulièrement, cherchant côte à côte des vestiges sur la plage, un rapprochement par la force des choses donc, du fait de leur intérêt commun atypique et critiqué. Dans l’adversité, les ennemies de la majorité se tiennent la main. Du côté d’Elizabeth, nous trouvons un immense respect pour Mary, elle en a fait sa protégée et osera bousculer les convenances pour faire entendre sa voix. Mais elle ne pourra se départir d’une jalousie tenace, envers sa jeunesse, son intelligence et ses charmes. Du côté de Mary, peut-être voit-elle en Elizabeth une grande sœur, qui admoneste mais encourage.

J’ai regretté que leur camaraderie ne nous soit pas exposée autrement que sous cette forme ankylosée. Leur relation est rigide, fixe, austère même ; la raideur de deux vieilles filles, la sécheresse des fossiles. Mary, qui pourtant était pétillante, explosive et obstinée, s’amoindrit, s’appauvrit à ses côtés, se fane. Je soupçonne son célibat d’avoir été en partie causé par la présence d’Elizabeth dans sa vie, le gris de son cœur a déteint sur elle.

Je ne me suis pas reconnue dans leur histoire, leur affection n’a pas résonné en moi, elle est trop prude, tristement étriquée pour m’émouvoir. Je retiendrai la personnalité de l’héroïne et son combat admirable puisque sincère et mu par une passion enfantine. Mary est touchante car tenace. Elle ne lâchera jamais ses fossiles, sauf peut-être quand elle connaîtra sa première déception amoureuse ; elle s’enfermera un temps. Elle a su préserver ce qui faisait battre son cœur dès son plus jeune âge, et ne peut la trahir puisque résolument mort. Quand d’autres femmes s’enferment dans un moule convenu, certes mariées et mères de famille mais à l’existence moins vibrante, elle galope sur les plages jamais rassasiée. Et ces femmes aux vies peu attractives n’ont certainement pas marqué l’Histoire comme Mary Anning – quoique ses travaux aient été reconnus bien tardivement –. J’ai aimé la découvrir, une personnalité unique qui, par passion véritable, a réussi à imposer son nom dans un milieu fermé de son sexe. Une femme prodigieuse pour laquelle l’auteur éprouve indéniablement respect et admiration. Son roman est un très bel hommage.

De Prodigieuses créatures je me souviendrai d’un moment de lecture paisible, sans émotions fortes, sans intensité dramatique, dans un rythme lent et lénifiant qui aurait mérité quelques secousses. Ce récit manque de caractère malgré une héroïne attachante et percutante ; parce qu’elle a réellement existé j’ai su trouver en elle force et détermination. La lecture vaut aussi, sans doute, pour son contexte historique et son enseignement autour des théories scientifiques de l’époque : la paléontologie a provoqué une avancée majeure pour l’histoire naturelle en face d’une religion ébranlée dans ses certitudes.

Et vous, avez-vous lu ce roman ? Connaissiez-vous Mary Anning ?

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