Classique parmi les classiques, je n’avais encore jamais lu l’oeuvre d’Oscar Wilde. Peu portée sur la littérature de l’époque victorienne, c’est surtout le genre fantastique du récit qui m’a incitée à le découvrir. On connaît tous l’histoire de ce portrait qui vieillit à la place du modèle. Lire ce roman m’a permis de revoir cette idée préconçue ; le portrait ne fait pas que vieillir, non, il prend sur lui les stigmates du vice. 

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Résumé 

Dorian Gray, jeune dandy séducteur et mondain, a fait ce vœu insensé : garder toujours l’éclat de sa beauté, tandis que le visage peint sur la toile assumerait le fardeau de ses passions et de ses péchés. Et de fait, seul vieillit le portrait où se peint l’âme noire de Dorian qui, bien plus tard, dira au peintre : «Chacun de nous porte en soi le ciel et l’enfer.»

Mon avis

Une centaine de pages est passée sous mes yeux avant que l’histoire prenne pour moi de l’intérêt. J’ai bien failli reposer ce monument littéraire pour lequel j’éprouvais si peu de choses, ou bien plutôt de l’agacement face à un récit ennuyeux porté par trois personnages odieux et pompeux qui, dès le début, forment un trio pervers m’inspirant la répugnance.

Des dizaines de pages furent nécessaires pour planter le décor, pour introduire la fascination que le jeune et beau Dorian produit chez ses aînés masculins. Imaginez deux adultes vantant les qualités physiques d’un adolescent sans gêne ni tabou, admirant les courbes et la blancheur du corps tout juste sorti de l’enfance. Basil est peintre et considère le garçon comme son idéal, s’en inspirant pour créer les plus fabuleux tableaux. Dorian est sa muse, interdiction de le lui voler. Lord Harry est un riche noble orgueilleux à l’esprit mesquin et aux idées fixes ; une sorte de mécène. Dorian sera son apprenti aux domaines du bien vivre selon lui. Assistant à une joute verbale des plus douteuses, lorgnant du côté de la pédophilie, j’ai été troublée par le contexte et me suis sentie de trop dans cette histoire aux prémices incommodes. L’idolâtrie masculine pour un corps si jeune a de quoi susciter le malaise.

De plus, les interventions incessantes de cet odieux Lord Harry ont poussé mon épuisement à son paroxysme. L’homme s’écoute parler, se gargarise de phrases envoyées comme des piques à un auditoire, heureusement pour lui, enclin à attraper au vol ces aphorismes percutants. Oui, Lord Harry possède l’art de la dialectique en sachant pousser le dialogue dans les recoins qu’il désire. Il est vif et intelligent. Pourtant, son personnage, bien loin de posséder sympathie et altruisme, verse dans la condescendance et n’a cessé de m’irriter en manipulant ses interlocuteurs ; Dorian étant la première victime de sa parole. Mais il est difficile d’excuser les agissements de ce dernier sur le simple constat qu’ils ont été en grande partie influencés par la conviction d’un autre homme. Malgré son don pour le prêche, Lord Harry est un coupable de secours, car Dorian  apparaît dès le départ comme un être dénué d’esprit critique. Il reçoit comme du pain bénit toutes les indications sur quelque manière de vivre dès lors qu’elles sont pétries dans des éloges et des compliments mielleux. Mais il faut bien admettre que Lord Harry ôte en Dorian toute compassion, tout remords, toute nécessité du passé. Il lui enseigne une vie de futilités et de luxure. Il lui apprend à utiliser les autres, à n’en faire qu’à son bon vouloir, à glorifier le plaisir immédiat.

Le portrait de Dorian Gray fait la part belle à l’égoïsme comme valeur primordiale dans l’existence. Pour vivre heureux, vivons d’abord pour soi, semblent indiquer nos protagonistes. Autrui étant une marche sur laquelle s’appuyer pour gravir l’escalier de la gloire selon ses propres principes. La vie que mène Dorian – les années écoulées à la suite de sa rencontre avec Lord Harry – est si scandaleuse qu’elle est sacrifiée par l’auteur. De la débauche, du stupre, des excès de Dorian, nous ne saurons jamais rien. Plusieurs décennies à jouir sans scrupules ni morale. Mais l’assurance de Dorian n’empêche pas les rumeurs de circuler parmi les gens de la bonne société anglaise. On commence à se méfier de lui, à le fuir, à redouter sa présence. Des hommes trouvent le malheur à ses côtés, d’autres disparaissent brusquement. Une jeune actrice qu’il a lamentablement éconduite se donne la mort dans la misère.

L’évolution de Dorian suivant une ligne directrice incontestable et tracée pour sa propre jouissance, le jeune garçon emprunte naturellement la voie du crime. Devenu un être impulsif et sans cœur, massacrer un homme se dressant entre lui et son « choix » de vie s’impose comme une évidence. Dorian Gray est le meurtrier convaincu de son innocence, se répétant inlassablement que de crime il n’y a point eu, la mort était méritée. Il n’accepte ni la sincérité à son égard, ni les questions sur ses motivations et encore moins les doutes sur ses projets. Seuls les préceptes de Lord Harry trouvent grâce à ses yeux. En Narcisse du 19e siècle il contemple ce qu’il est devenu, sacralisant l’apparence intacte qu’il a conservée. La délicatesse de ses traits témoigne pour ceux qui ne le connaissent pas encore d’une pureté de cœur, tandis que lui se moque du portrait hideux lui renvoyant toutes ses fautes sous formes de déformations et de rides. En peinture, il se fane et s’enlaidit. En chair et en os il conserve sa juvénilité.

Dorian Gray est la parangon de la jeunesse éternelle. Il croit marcher sur la route du bonheur et de la félicité, selon l’enseignement de Lord Harry, mais emprunte le chemin de la désolation et de la ruine de soi. Dorian ne restera pas impuni. Pris dans les entrelacs de la folie intime qui ne se reconnaît pas comme telle, le lecteur assiste à une descente aux enfers dorée et luxueuse qui donnerait presque envie d’y tremper le pied. Mais qui, à part Dorian, peut se leurrer sur ce qui attend le meneur d’une existence centrée sur elle-même ? Après être monté si haut dans l’estime de soi et l’égocentrisme, la chute sera terrible et fatale. Avec quel soulagement, quelle satisfaction, j’ai assisté à la mort méritée de Dorian Gray.

Quant au portrait peint par Basil, il reste méconnu de tous, objet d’une expérience troublante revenant régulièrement dans le récit, un miroir déformant qui, pour une fois, dévoile la réalité des traits. L’intrigue devient sérieuse dès son apparition. Dorian le craint comme la peste tout en étant fasciné par son pouvoir dont il comprend bien vite l’utilité. Le cachant dans une pièce secrète, il n’ose s’approcher de lui pour y lire les empreintes de ses plus vils agissements.

Le portrait de Dorian Gray est une oeuvre singulière et dérangeante ; elle met en scène les penchants humains les plus ordinairement camouflés et les moins acceptables en société. Dans l’esprit d’un être fabriqué et guidé par une volonté naturelle ici poussée à son extrême – vivre pour soi – le lecteur est pris à la gorge et, s’il est courageux, regarde son propre parcours à travers un prisme qui ne fait pas de cadeau. Les conduites inspirées par des encouragements qui n’ont rien de sincères, les idées construites sur des fondations pourries, Dorian s’aveugle sous les vices. Ici, on sacralise le beau et la jeunesse, les faisant garants d’une vie réussie et pleine, la seule valant d’être vécue.

Oscar Wilde propose des réflexions sur l’art, l’esthétisme, la morale, le beau, le juste, le vrai. Bien souvent à travers les lèvres d’un Lord Harry détestable. L’histoire de Dorian Gray est suffisamment symbolique en elle-même pour se passer de bavardage. Je regrette un rythme initial assez pauvre, l’intrigue prenant son envol dès le pouvoir du portrait révélé ; mais il faut patienter. Porté par une atmosphère londonienne lourde et oppressante où les rares personnages secondaires sont des pantins sans âme et sans couleurs, où les ruelles sont glauques et désertes, ce roman est la photographie sévère et cynique d’une humanité creuse et dangereuse, sans morale ni ambition, hormis celle de jouir des biens, des substances et des corps. Plongeant dans l’horreur, le crime et le policier, il m’a harponnée, tardivement mais violemment, et je n’ai plus décroché. Je suis heureuse d’avoir enfin découvert ce si réputé classique, d’autant que j’ai été agréablement surprise par la tournure de l’intrigue, flirtant avec le fantastique et le thriller psychologique ; où folie, amour-propre et désinvolture ne font qu’un.

Et vous, avez-vous lu Oscar Wilde ?

 

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