Valentine Goby, je l’ai mise de côté après ma lecture quelque peu décevante de Banquises. Mais, bien souvent, j’ai pensé avoir fait une erreur, en lisant des avis contraires à mon impression initiale. Après tout, je n’avais peut-être pas choisi le roman le plus adéquat ; je me souviens d’une histoire aussi gelée que le paysage dans lequel elle se déroule. Pour mesurer plus justement le talent de l’auteure, j’ai décidé de lire sa dernière parution, qui a reçu nombre d’excellentes critiques.

Résumé de l’éditeurUn paquebot dans les arbres - Valentine Goby

Au milieu des années 1950, Mathilde sort à peine de l’enfance quand la tuberculose envoie son père et, plus tard, sa mère au sanatorium d’Aincourt. Cafetiers de La Roche-Guyon, ils ont été le cœur battant de ce village des boucles de la Seine, à une cinquantaine de kilomètres de Paris.

Mon avis

Le sujet, a priori, ne m’évoquait pas grand-chose. La tuberculose, en France, au 20e siècle, voilà qui est étonnant. La tuberculose, racontée par une gamine, fille de malades, dont un père gravement atteint, voilà qui est déjà plus intéressant. Nous sommes dans les années 50, dans une France rurale mais pas trop, la capitale n’est pas bien loin. Cette famille tient un café populaire, du genre qui anime un village entier, insufflant aux âmes parfois un peu rustres de la campagne joie de vivre, légèreté, optimisme. Le père, surtout, est un phénomène. Harmonica en bouche, l’homme fait danser le monde, sa fille aînée en tête, rythmant les soirées sans jamais s’essouffler, jusque tard dans la nuit. Mathilde est fascinée ; cachée dans un coin, elle l’observe, lui et les autres, le sourire aux lèvres.

Et puis, l’annonce fatale tombe comme un couperet. Le mot fait peur, pire que la peste. La tuberculose se transmet avec la facilité d’un courant d’air, quelques particules de salive seulement pour rendre le plus coriace des hommes aussi faible qu’une brindille. Alors, se dresse autour du père une zone à ne pas franchir, les gens auparavant proches s’éloignent et se méfient. On craint la contagion. La famille de Mathilde devient bannie, malgré l’attachement et les souvenirs.

Prise dans un engrenage médical et social, les cinq membres font front à leur manière. Les parents, inséparables, prennent leurs quartiers, et commencent une nouvelle vie, dans un sanatorium proche. La grande sœur se met en ménage, devient infirmière et songe à la maternité. Restent Mathilde et son petit frère, tous deux mineurs, très vite ballottés par les services sociaux, qui ne savent que faire d’eux et les placent dans des familles d’accueil peu aimantes.

Un paquebot dans les arbres raconte une enfance volée par une société encore balbutiante s’agissant de protéger ses citoyens. En pleine période de prospérité et de croissance économique, les inégalités sont féroces et encore, et toujours, peu surmontables. Quand un mal, pensé entériné, surgit dans des existences paisibles et a priori sans danger, la tornade incontrôlable ravage tout sur son passage. La voix de la jeune Mathilde, tout juste enfant au moment de l’annonce, porte à elle seule le drame de la maladie. Avec maturité, intelligence et beaucoup de contrôle, la gamine prend en charge le poids matériel et émotionnel de la situation, renonçant à la fatalité, renonçant à l’éclatement familial et à l’isolement.

Le sujet de la tuberculose, au matin de sa prise en charge médicale par une France rassérénée, est traité dans l’intimité avec beaucoup de pudeur et de recul. Ce roman est à la fois le profond examen social d’une époque, aurore d’un nouveau départ économique, et le drame intense et injuste d’une famille écrasée, comprimée, victime d’une grande machine salvatrice pour tous mais ne l’ayant pas encore intégrée dans ses rouages : la sécurité sociale. On appelle cela des laissés-pour-compte, qui ont pourtant beaucoup donné à cette France mi-rurale, mi-urbaine.

Cette ère pourtant moderne rappelle la misère du siècle précédent. L’auteure creuse des zones oubliées, rendant hommage à des éclopés du système avec déférence. Le constat fait froid dans le dos, mais possède une portée romanesque que Valentine Goby est parfaitement parvenue à saisir. L’histoire est puissante et scandaleuse.

J’ai été particulièrement touchée par le couple parental, soudé comme jamais dans l’épreuve, batifolant parmi les malades, toujours follement amoureux, et aveuglé, ignorant de la galère dans laquelle est plongée leur propre fille. Ce sont de grands enfants qui, sachant l’un d’eux être condamné, profitent à leur manière du temps qui leur reste à vivre. Leur quotidien rythmé par les soins, alangui, contraste avec l’état de survie que Mathilde tente de sauvegarder. Ils sont bien bêtes cette mère et ce père. On pourrait les abreuver de reproches, eux qui s’effacent si facilement dans la maladie et laissent des enfants livrés à eux-mêmes ; pourtant, c’est avec pitié que mon regard s’est posé sur eux.

Mathilde, quant à elle, admirable et forte, est un être en surcharge, elle a trop vécu pour son âge, son enfance atomisée par des événements funestes. Car trop adulte, j’ai observé son courage et sa détermination sans pourtant m’émouvoir ; ne demeure en elle plus aucune trace d’innocence. Cette héroïne, propulsée dans un monde cruel, a provoqué en moi des sentiments raisonnés auxquels j’aurais préféré une émotion davantage spontanée. À sa sécheresse, un peu d’eau fraîche aurait été bénéfique.

De plus, le récit souffre de nombreuses longueurs, à teneur descriptive ; c’est un peu essoufflée que j’ai refermé ce livre. Conquise par la trame générale de l’histoire, les thèmes abordés et l’aspect historique, je suis restée sur ma faim d’un point de vue émotionnel ; mon cœur est demeuré froid. Il n’empêche, j’ai renoué avec une écrivain que j’avais délaissée sur un coup de tête. Me voici prête à la lire de nouveau…

Et vous, avez-vous déjà lu Valentine Goby ?

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