C’est sur ce si joli titre, La nuit des enfants qui dansent, que mes yeux se sont récemment arrêtés ; pourtant, ma préférence va pour la concision s’agissant d’intituler un roman (cette mode des titres à rallonge avec sujet-verbe-complément me hérisse les poils, mais passons). Exception à la règle, et couverture élégante en sus, me voici à découvrir une histoire nonchalante à laquelle je n’ai, néanmoins, guère de gros reproches à faire.

Résumé de l’éditeurLa nuit des enfants qui dansent - Franck Pavloff

Ils se rencontrent à la frontière autrichienne. Zal va en équilibre sur un fil tendu, tête dans les étoiles et bras en balancier, Andras l’observe, pris au piège des souvenirs de sa vie d’avant dans une Hongrie quittée vingt ans plus tôt. L’un apprivoise l’espace avec sa tribu d’oiseaux, l’autre s’alourdit de trop de mémoire. Ensemble, ils partent pour Budapest où se retrouve la jeunesse d’Europe pour le grand festival d’été sur les îles du Danube, alors que dans l’ombre des gares campent des migrants en déshérence.

Mon avis

Cette histoire est, comme souvent, celle d’une rencontre. Ici, entre un jeune homme épris de vertige et de liberté, un slackliner comme on les appelle – vous savez, ces doux dingues qui naviguent dans les airs sur des lignes aussi épaisses qu’un doigt – et un vieux monsieur curieux et observateur, fasciné par l’envolé du garçon. On ne sait trop lequel va embarquer l’autre, toujours est-il qu’ils entreprennent un voyage direction Budapest pour assister au célèbre Sziget festival, en compagnie d’une jeune fille rebelle, amoureuse de son volatil Zal. Voici notre étrange trio, non pas cheminant vers des aventures rocambolesques mais vagabondant sur une route pavée des souvenirs de chacun. Quête intime, parcours initiatique, promenade d’un maître et son élève, d’un père et son fils : tout ce qui peut s’apparenter à un itinéraire.

Andras a fui sa Hongrie en 1989, pays alors à feu et à sang, Zal est un orphelin ayant grandi dans un luxueux pensionnat suisse. On parle d’orgues, d’oiseaux, de voltige pour raconter l’abandon, l’exil, la solitude. Nous sommes face à deux âmes paresseuses car ensuquées dans leur propre misère, leur propre passé, où une tonne de questions demeurent sans réponses. Peu bavards, timides, et renfermés, Zal et Andras sont des héros devant lesquels il est difficile de s’émouvoir. Leur douleur est discrète mais bien vive. Andras, pourtant, l’étale à tire-larigot, toujours loquace pour discuter des malheurs de son peuple dans l’après-guerre, pleurer leur mémoire, raconter les cicatrices d’un pays entier. Des décennies plus tard, l’homme se porte garant de souffrances qu’il se pense seul à subir encore. On ne lui demande rien, mais il revient sans cesse sur une Histoire morte et enterrée, incapable de tourner la page. Ce personnage en perpétuel recherche de sens, inapte à voir l’avenir sous un jour heureux, me rappelle trop ces gens qui ressassent et mâchonnent et, croyant servir une cause noble, ne font rien d’autre qu’entretenir la plaie. C’est pénible et culpabilisant. J’ai souvent plaint Zal, obligé d’écouter des sermons trop bien écrits, servis par petites portions quotidiennes.

Sa jeunesse paraît une insulte aux yeux d’Andras. Ce dernier n’est cependant pas violent dans ses propos, il sait dire les choses avec douceur et habileté ; mais sa démarche a quelque chose qui inspire l’emprise. Comme s’il fallait connaître les moindres anfractuosités de l’Histoire de son pays pour y vivre et y grandir, rire et faire la fête, aimer et fonder une famille sur un sol qui, immanquablement, en a vu d’autres. Andras ne tolère pas cette nouvelle joie qui, pour lui, se moque d’un passé dont il ne parvient pas à se défaire. Bien que non aisé à supporter, du fait d’une posture rigide d’enseignant, ce personnage est riche et habilement construit. La confrontation entre lui et Zal, opposé en tout point à ce qu’il est, est de celles qui créent de belles histoires. La rencontre de deux fatalistes, philosophes à leur manière.

Détonnant comme un orage d’été sur une prairie calme, le thème de l’immigration (problématique en Hongrie à l’époque du texte) éclate vers la fin, nous rappelant que l’errance des peuples n’a ni période ni frontière. C’est l’histoire sans fin et pour toujours répétitive des civilisations, il y a ceux qui restent, ceux qui partent, ceux qui envahissent par nécessité, ceux qui envahissent pour dominer, ceux qui subissent, ceux qui s’allient, ceux qui fuient, ceux qui se cachent… Andras n’a pas fini de théoriser sur le sujet.

Un poil déprimante, cette histoire aux allures de conte propose un discours un peu trop politique et donneur de leçons. La nuit des enfants qui dansent est un roman aux couleurs tendres mais dont le propos est, je trouve, scolaire et désuet. J’ai aimé la langue de l’auteur, très imagée, la nostalgie qui le hante et la délicatesse avec laquelle il manipule ses personnages. Le récit est agréable à suivre, ne se presse jamais, droit vers son but. Il soulève des problématiques, propose sa solution et une vision du monde pas si négative que ce que l’on pourrait croire. Aborder le thème de l’immigration massive sans verser dans l’indélicatesse et la provocation, c’est en soi une gageure. Aussi, je peux dire que le fond d’instruction est bienvenu.

L’écriture, poétisée à l’extrême, rend la lecture parfois difficile, une rêverie dont l’interprétation est douteuse. On hésite sur les images représentées. On voyage dans une atmosphère brumeuse aux vapeurs suaves et doucereuses, qui endormiront les lecteurs en quête de piquant, de vif et d’énergie. Ce récit n’est décidément pas ouvert à tous et plaira à un lectorat plutôt réduit, aimant une littérature cloisonnée et pauvre sur l’intrigue quand la forme fera tourner les têtes et rêvasser les plus sensibles. Non hermétique, car j’apprécie l’effort et le style, je dirais cependant que La nuit des enfants qui dansent ne s’est inscrit nulle part où je puisse avoir plus tard accès.

Et vous, aimez-vous les récits initiatiques, voyages intérieurs et autres cheminements de conscience ?

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