Il était temps que je reprenne un abonnement à la box littéraire d’Exploratology,  arrêté il y a plus d’un an. L’excitation d’attendre chaque mois un colis surprise me manquait. Pour décembre, j’ai donc reçu ce roman du 19e siècle se déroulant dans l’Angleterre victorienne. Bon, je n’ai pas sauté au plafond. La perspective de lire un si gros pavé mettant en scène une romance à la Jane Austen ne m’enchantait pas vraiment, je n’étais pas d’humeur pour une telle histoire. Mais sachant que si je laissais de côté ce livre il y aurait de fortes chances qu’il prenne la poussière, je l’ai entamé le jour même, décidée à le terminer au plus vite.

Résumé de l’éditeur

Après une enfance passée dans un village riant du Hampshire, Margaret Hale, fille de pasteur, s’installe dans une ville du Nord. Témoin des luttes entre ouvriers et patrons, sa conscience sociale s’éveille. John Thornton, propriétaire d’une filature, incarne tout ce qu’elle déteste : l’industrie, l’argent et l’ambition. Malgré une hostilité affichée, John tombera sous son charme.

Mon avis

Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué n’est-ce pas. Quoique, au fond de moi je ne devais pas être si catégorique puisqu’il ne m’a pas fallu longtemps avant que l’atmosphère authentique du texte m’emporte. Et puis, cette jeune Margaret Hale n’est pas si dénuée d’intérêt que ce que je craignais, elle est même plutôt vive et pertinente. Le récit démarre à l’aube d’une nouvelle vie pour elle. Tout d’abord, elle doit retourner chez ses parents, dans un presbytère de campagne, après avoir vécu plusieurs années chez sa tante londonienne, dans le luxe, le confort, tout se qui constitue le propre de la haute société bien pensante. Puis, suite à une prise de conscience de son pasteur de père quant à la religion, ils sont contraints de migrer au nord du pays.

Tout ceci fait beaucoup pour une jeune fille ayant passé la majeure partie de sa courte existence dans un cocon douillet. Le Nord représente à leurs yeux un nuage brumeux, planant au-dessus d’un paysage industriel, où les gens sont aigris, tristes et peu commodes. Ils n’échappent pas aux préjugés, le Nord et le Sud s’envoyant à la figure des images stéréotypées constituées des on-dit, et autres rumeurs de ceux qui y sont revenus. Les Hale emménagent à Milton dans une maison austère au pire de la saison, dans le brouillard et la grisaille. La mère, qui désirait plus que tout quitter la campagne, désespère de se retrouver dans un tel environnement, tandis que le père est rongé de culpabilité de faire vivre un tel calvaire à sa petite famille.

Ce dernier est un être tout en fragilité. Margaret le préserve scrupuleusement de ce qui pourrait altérer son humeur. Il est un homme érudit (dans cette nouvelle vie il est devenu précepteur) et réfléchi, et non un homme d’action. Sa tempérance n’a d’égale que sa bienveillance exacerbée à l’égard de son épouse et de sa fille ; il est un personnage bien loin des stéréotypes virils, ni robuste, ni ambitieux, ni imposant. Je dois dire qu’il m’a beaucoup touchée.

Margaret est finalement la plus lucide, faisant preuve d’une grande maturité et d’un sens critique aiguisé face à la situation. Elle fait contraste avec sa mère, qui se morfond, se plaint et n’entrevoit qu’un avenir sombre et incertain pour tous. Bien vite, celle-ci se laisse décrépir, elle se dessèche et meurt lamentablement, n’ayant pas fait le moindre effort pour s’adapter.

Margaret m’est ainsi apparue comme un petit oiseau, volage et libre elle s’acquitte de son devoir, faisant œuvre de charité auprès des plus pauvres, elle ne pense plus guère à elle et fait passer ses intérêts au second plan. Elle s’amourache d’une famille d’ouvriers, rustre mais attachante. Elle leur devient essentielle, surtout auprès de la jeune fille, malade et condamnée. Elle est à leur côté comme un ange sauveur.

Margaret se soucie aussi des questions adultes au sujet de la situation économique de la région. Car la ville est touchée par une grève sans précédent qui paralyse les manufactures. Dans un tel contexte anxiogène les tensions sont palpables, les ouvriers abhorrant et prenant en otage les patrons, tandis que ces derniers n’osent les affronter face à face. Margaret, elle, dans une scène admirable et héroïque risque sa vie pour protéger Thornton, un industriel, le patron fier et autoritaire mais toujours responsable et clairvoyant ; quoiqu’un peu idéaliste parfois.

C’est avec ce Thornton que se dessine la romance de l’intrigue, bien que celle-ci ne représente guère un des thèmes principaux du récit. Margaret a d’autres priorités, elle a déjà refusé une première demande en mariage, ce n’est pas pour s’engager auprès d’un homme qui incarne tout ce qu’elle déteste. Et pourtant face à Thornton, qui la déstabilise, elle manifeste tout de même un rejet et un élan d’effronterie qui sont caractéristiques du cœur épris mais tenu à se taire car ne se sentant pas encore en sécurité. Il lui faut d’abord sonder ses motivations, dessiner les contours de ses personnalités publique et privée afin de s’assurer que l’une ne rentre pas en conflit avec l’autre. Elle ose intervenir dans des discussions réservées d’ordinaire aux hommes haut placés, divertissement dont se moque bien sa mère, et même plus sa cousine et sa tante.

Le texte c’est tout autre chose qu’un récit amoureux, avec ses longues tirades torturés, ses dialogues de sourd, ses rêveries inconsidérées. Non, Nord et Sud est une épopée sociale sur fond de révolution industrielle. En cela, ce roman me rappelle Zola, dans la peinture d’une époque à travers les différentes couches sociales qui la caractérisent, dans l’affrontement entre populations rurale et citadine, dans ces vies qui se croisent et se mêlent, et dans la destinée de notre héroïne.

Le langage est étonnement moderne, les dialogues sont éloquents et très vrais. Je suis restée stupéfaite devant une telle maîtrise du sujet, une telle recherche d’authenticité et d’impartialité. De nombreuses problématiques sont exposées et je me suis surprise à constater que, mon dieu, certaines choses n’ont vraiment pas évolué. Le récit est haletant, fourni, dense et parfaitement rythmé. Ni descriptions à rallonge, ni dialogues éreintants, ce petit monde s’agite et vit, pris dans le tourbillon d’un drame social, chacun englouti dans ses propres considérations, son jugement et sa pratique, mais tentant de se défaire du carcan de sa position sociale, qu’il soit riche ou pauvre. Le dénouement est optimiste, tout se résout assez aisément, dans la bonne humeur et la convivialité. Il ne pouvait en être autrement avec des personnages de caractère mais profondément humains et bons, qui sont prêts à revoir leur position et leurs opinions pour le bien général.

Nord et Sud m’a fait passer un agréable moment, en témoigne la vitesse à laquelle j’ai dévoré ces près de sept cents pages. C’est un roman d’un seul bloc, concis et clair, mais qui manque peut-être un peu de violence, de brusquerie, de hargne, pour être selon moi suffisamment mémorable.

Et vous, quel est votre rapport à la littérature victorienne ?

Je vous souhaite à tous d’agréables fêtes, en compagnie de livres bien sûr !

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