Il m’est difficile en ce moment de lire autant de classiques que je le voudrais. Je les délaisse au profit de lectures contemporaines dont ma PAL est bien fournie. Et pourtant, j’aimerais pouvoir vous parler d’un classique par mois. Aussi, j’ai voulu me lancer, que dis-je, me relancer dans la lecture des Liaisons dangereuses. La première tentative, d’il y a quelques années, s’est soldée par un cuisant échec. Cette fois-ci, ça n’a guère été mieux car le livre m’est tombé des mains à la cinquantième page. Non. Ce roman ne passe pas, je n’y arrive pas. Ne voulant pas rester sur cette note décevante, j’ai souhaité poursuivre dans le genre épistolaire, et c’est en compagnie de Balzac que j’ai trouvé mon bonheur. Je pensais, j’espérais, ne pas être déçue et dépasser les cinquante premières pages. Le roman sous forme de lettres me pose bien des problèmes, je m’y perds souvent, je m’ennuie aussi.

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Elles sont deux, Renée et Louise, qui, à peine sorties du couvent, vont suivre des destinées contraires. Faut-il mettre de la passion dans le mariage ? Ou y chercher un bonheur raisonnable ? Derrière cette « dispute », menée par correspondance, une lutte sourde oppose deux ambitions : Renée la sage n’exige pas moins de la vie que Louise la folle.

Mon avis

Mémoires de deux jeunes mariées est la retranscription d’un long échange, sur plusieurs années, entre deux amies, qui se considèrent comme sœurs. La chose est simple ; elles se racontent leur vie sentimentale, leur mariage, leur quotidien.

Louise, la parisienne, mène une existence légère et frivole. Après les années de couvent, elle découvre les mœurs de la noblesse dont elle est originaire, les bals, le regard des hommes, le devoir des femmes, le goût des beaux vêtements, du paraître. Louise est déçue par le peu d’attirance qu’elle suscite chez la gent masculine, elle les trouve dégoûtants, vulgaires, sans grand intérêt. Louise rêve du véritable amour, de la passion, de se donner tout entière à un homme qui lui serait dévoué. Elle rencontre Felipe, un bel espagnol, avec lequel elle s’engage dans un mariage soudain, ivre, emporté. Felipe se positionne en esclave de sa dame, totalement soumis à elle, il est fou d’amour. L’on découvre alors une Louise manipulatrice, exaltée et puérile. Elle conçoit le mariage, ne l’accepte, que comme une passion éternelle dans laquelle elle reçoit tout sans jamais donner. Sa stratégie est de toujours soumettre l’amour de l’autre, en obtenant des gages quotidiens de son total asservissement.

Face à elle, en réponse à ses mots égoïstes, d’une naïveté enfantine déplacée mais non sans être réfléchis, son amie Renée lui parle de son mariage de convenance. Renée est douce, posée, pondérée, elle conçoit l’amour comme un travail de chaque instant, un arbre sur lequel les fruits tardent à pousser mais qui, une fois sortis, sont impérissables. Elle calcule son existence, elle ne s’effraye pas d’un quotidien ennuyant, d’une union sans passion, d’une absence de secousses émotionnelles comme les états amoureux savent en provoquer. Renée croit au pouvoir de la maternité, elle met tous ses espoirs dans le vœu d’une future famille gage de son épanouissement. Renée répète inlassablement à Louise que, comme tous les mariages, le sien suivra la même voie, celui d’une langueur, d’une attente, d’un éternel labeur.

La maternité justement, est ce qui va faire basculer les deux amies. Quand Renée tombe enceinte, quand elle accouche d’un adorable petit garçon, Louise déchante, devient jalouse, elle qui n’arrive pas à concevoir. La convoitise s’immisce doucement en elle, la dévore à petit feu. Et puis, elle perd brutalement son mari, la laissant sans enfant à choyer, à dorloter. Face à ce constat, elle s’engage aussi férocement qu’inconsciemment dans une nouvelle union, aussi virulente que stérile. Elle ne cessera de croire en ses idéaux, vivant dans l’excès, tantôt possédée, tantôt possesseur, ne concevant l’union que sous la forme d’un servage aveugle.

Nous avons là, exposé de la plus belle des manières, à travers les mots de deux jeunes filles de leurs 17 ans à la trentaine, autrement dit durant leurs plus belles années, le conflit ancestral entre le cœur et la raison. Quoique ce combat ne soit pas aussi trivial. Balzac relate un cheminement complexe, une réelle réflexion, des convictions et non simplement des engagements imposés par les milieux sociaux et familiaux. Il décortique ses personnages, les fait se livrer à travers le prisme de leur condition ; les rendant maîtresses d’elles-mêmes et de leur existence. Elles se répondent, mettent en parallèle leurs deux conceptions, parviennent à théoriser leur vie comme un cas d’étude. Louise et Renée représentent finalement deux modèles féminins derrière lesquels peuvent se ranger une grande partie des femmes de l’époque. Balzac bien sûr ne se départ pas d’un jugement, à travers la destinée qu’il offre à ses héroïnes, mais peut-on lui en vouloir ? L’une des deux, on se doute de laquelle, périclite, se délite, à l’aube de l’automne de sa vie, inféconde, elle reste vide. Il offre à la seconde l’existence qu’elle avait depuis toujours envisagée, épouse et mère comblée.

Cet échange virulent peut, par moments, mettre mal à l’aise, et susciter la colère. Car chacune défend sa position comme l’on négocie un objet, alors qu’il s’agit de l’essentiel de leur vie, de leurs choix les plus importants ; toutes choses qui ne méritent a priori ni d’être débattues, ni d’être jugées, mais respectées. Ainsi, lorsque l’une condamne sèchement les décisions de l’autre, j’ai éprouvé un certain malaise ; car je n’ai pas toujours vu la bienveillance amicale, le respect, le soutien, l’appui, mais une compétition perverse dont la gagnante sera élue sur son lit de mort. Souvent les mots sont durs, les sous-entendus cruels, mais leur amitié perdure car elle vient conforter les choix de chacune, qui voit en l’autre un double dont l’existence répugne tout en suscitant, inévitablement, l’envie.

Laquelle a le mieux fêté l’amour et la famille ? Pour laquelle l’existence aura-t-elle été la plus épanouissante ? Laquelle aura épousé le meilleur parti ?

Passé cette petite amertume, je dois dire que l’échange entre ces deux jeunes filles est éblouissant de clarté, de vérité et de discernement. Malgré la violence du procès, car c’est bien d’un procès, celui du mariage, dont il s’agit, Renée et Louise ont le mérite d’être transparentes, honnêtes l’une envers l’autre. Cette sincérité, cette absence de crainte d’un jugement, cette totale confiance est touchante, presque irréelle ; alors que la convenance, la pudeur voudrait qu’elles taisent les trois quarts de ce qu’elles livrent. Elles offrent une version de l’amitié dérangeante mais qui ne peut être condamnée tant elle est pure et indéfectible. Une amitié rare qui met de côté toute acrimonie, toute retenue, toute méfiance ; le lecteur ne doutera à aucun moment de la véracité du contenu de leurs missives.

Comme je l’ai déjà souligné précédemment, Balzac est un génie du féminin. Les écrivains du 19ème en général sont particulièrement méticuleux et concernés lorsqu’il s’agit de décrire les émois, les troubles maternels, les illusions de jeunes filles. Balzac est ici dans ce qu’il connaît bien, il nous montre toute l’étendue de son talent ; et pour cela il ose s’attaquer à un genre difficile, laborieux, qui se doit d’être impeccable, le roman épistolaire. Pour cela, c’est au cœur de la femme qu’il se glisse, il s’immisce dans ses pensées, prend la plume à leur place ; fait montre d’une empathie incroyable pour arriver à un résultat sans défauts.

Ce texte offre un plaidoyer absolument sublime en faveur de l’allaitement, et plus largement, de la maternité. Quelques passages sont épatants de justesse. Balzac prouve une nouvelle fois son effroyable sagacité que j’aimerais percer ; comment un homme peut-il si bien dessiner le cœur d’une mère, d’une épouse ? Il ne pourrait certainement pas mieux décrire l’organe en l’ayant entres les mains.

Mémoires de deux jeunes mariées est difficile à aborder ; je le répète, l’écrivain n’aime guère la simplicité. Quelques phrases, quand ce n’est pas un passage entier, sont bien ardues à décrypter. Mais sa lecture vaudra même si vous n’en retiendrez que quelques idées ; ne serait-ce que la lettre de Renée où elle décrit son allaitement.

Et vous, les romans épistolaires vous repoussent-ils  ? En avez-vous déjà lu ?

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