Stephen King et moi, c’est une rencontre qui n’a jamais vraiment eu lieu. Un rendez-vous manqué pourrait-on dire. Après Simetierre, qui ne fut pas pour moi la bonne porte d’entrée de son univers, j’ai décidé de lui redonner sa chance. Car, voyez-vous, je reste persuadée qu’il a tout pour me plaire. J’ai pu voir un certain nombre de films adaptés de ses romans, et tous m’ont captivée. Cet auteur sait créer des histoires, de bonnes histoires. Alors, si j’aime tant son imaginaire, pourquoi ne pas apprécier ses livres ? D’autant que le choix est loin d’être restreint. J’ai donc jeté mon dévolu sur Marche ou crève, fascinée par l’idée originale proposée. Après un périple sur la banquise, je vous propose une longue marche dans le Maine.

Résumé de l’éditeurMarche ou crève - Stephen King

Garraty, un adolescent natif du Maine, va concourir pour La Longue Marche, une compétition qui compte cent participants. Cet évènement est très attendu. Il sera retransmis à la télévision, suivi par des milliers de personnes. Mais ce n’est pas une marche comme les autres, plutôt un jeu sans foi ni loi… Garraty a tout intérêt à gagner. Le contraire pourrait lui coûter cher. Très cher…

Mon avis

Simple, limpide, complète, cette idée toute bête porte en elle un début et une fin certaine. Placez cent jeunes garçons en compétition dans une marche à travers le pays. Le but ? Terminer premier pour avoir la vie sauve et le droit de demander ce que bon vous semble. Les autres ? Ils seront fusillés au fur et à mesure ; qu’ils s’arrêtent, ralentissent, sortent des rangs, et bim ! une balle dans la tête. Tous sont volontaires, sélectionnés parmi des milliers de candidatures. La gloire est assurée au vainqueur. De la première à la dernière page, nous voici embarqués dans une marche macabre qui n’a rien d’un parcours de santé. Le pied sur la ligne de départ, il ne vous reste plus qu’à marcher, marcher et marcher encore. Aucun retour en arrière n’est possible, l’abandon n’est pas toléré. La machine mise en route, vous n’avez pas le choix : mettre un pied devant l’autre.

C’est à travers l’expérience de Ray Garraty que nous participons à cette course pour le moins éprouvante. Il est un adolescent comme les autres, et s’est lancé dans le jeu sans en mesurer les conséquences. Bien vite, un petit groupe se forme autour de lui. Les garçons discutent, se chamaillent, se mesurent, s’entraident, se livrent à tour de rôle, mais ne cessent d’avancer, droit devant, traversant bourgs et villages, au son des cris et applaudissements d’une foule enfiévrée qui s’enivre au passage des marcheurs, bientôt épuisés, hagards, meurtris. Le cortège avance, les spectateurs jouissent. Les cameramans capturent chaque instant de cet événement annuel.

Faire un roman sur des jeunes qui marchent ? L’idée peut paraître un brin moribonde. Oui, mais, il ne s’agit pas seulement de suivre l’avancée d’un peloton jusqu’à la ligne d’arrivée (qui n’existe pas). L’oeuvre de Stephen King est beaucoup plus que la retranscription d’une épreuve « sportive ». Elle est la mise en scène d’un cauchemar qui joue sur la familiarité avec notre réalité. Divertissement, effet de masse, compétitions extrêmes, télé-réalité, triomphe populaire, embrigadement, tout est là, doublé d’une règle terrible : la mort en direct, l’exécution de sang froid. Ainsi, le lecteur croit lire une fiction décalée, mais le décorum de la marche lui rappelle constamment qu’un petit pas de plus seulement a été franchi pour rendre le récit, aujourd’hui, heureusement irréaliste.

La foule, par exemple, est identique à celles que l’on peut rencontrer dans nos divertissements. Stephen King l’a bien compris : une foule reste une foule, quel que soit le spectacle auquel elle assiste, qu’il soit sérieux, comique ou sanguinaire. Elle est irraisonnée, folle, débridée, dangereuse. Elle n’est pas un appui ; les garçons le découvrent quand l’un d’entre eux souhaite s’y noyer pour échapper aux soldats armés. La foule est sans doute l’épreuve la plus terrible ; omniprésente, oppressante, imprévisible, elle se délecte du malheur et de la souffrance. Pas un spectateur ne viendra au secours des malheureux condamnés. Enfants et adultes s’amusent de les voir tomber comme des dominos.

Les morts jalonnent ce récit. Au début ils ont le caractère de ce qui est exceptionnel, pour ensuite devenir banals, attendus voire espérés. Les heures défilent, puis les jours, Garraty et ses camarades continuent de marcher. Comment est-il possible d’avancer sans s’arrêter ? Comment un corps peut-il supporter plusieurs jours sans repos horizontal ? À quel moment l’esprit bascule-t-il dans l’aliénation ?

Parmi la centaine de participants, les personnalités de dessinent. Nous trouvons les solitaires, qui se taisent et avancent, les meneurs, décidés à rester en tête, les drôles, qui apportent le rire au groupe, les provocateurs, qui alpaguent la foule et les soldats, les conquérants, prêts à tout pour gagner, les tourmentés, les lâches, les solidaires, les défaitistes, les cyniques, les bavards, etc. Garraty est le bon camarade, juste mais déterminé, il n’est pas celui qui souffre le plus, ni le plus costaud. Au cœur de cette traversée, et de manière curieuse, se créent des amitiés ; sans doute pour rendre le calvaire plus supportable. Mais la concurrence règne, chaque exécution est une chance supplémentaire de survie. Alors, que valent les confessions, les gestes de soutien, les parties de rigolade, quand la mort de l’un est le salut de l’autre ?

À mesure que le nombre de marcheurs se réduit, la fin se fait inconcevable. On l’imagine, pourtant, on en élabore plusieurs, sans oser en préférer une seule car, quelle qu’elle soit, la fin sera sinistre. Et puis, on la lit et l’on se dit : « Très bien, c’est un choix », sans la remettre en question, on l’accepte telle qu’elle nous est présentée ; soulagé d’en avoir fini avec cette Marche sans nom.

Les dialogues des romanciers américains m’apparaissent décidement assez peu familiers ; d’autant plus quand il s’agit de faire parler la jeunesse. J’ai du mal à m’identifier à ses idéaux, et trouvent dans chaque échange un côté trop réfléchi, trop adulte, qui me dérange et m’empêche de me sentir concernée. Ces jeunes sont trop bavards pour être crédibles. Cette bande de garçons tient des propos improbables, curieux, qui semblent toujours contenir un sens caché en manquant de spontanéité, de limpidité. Aussi, je dois avouer qu’à mi-parcours j’ai soupiré, un peu lassée par ces phrases bizarrement inspirées. De plus, le mystère plane quant aux motivations de ces garçons. Difficile de vraiment les sonder. Néanmoins, l’idée d’un suicide à retardement, quelquefois soulevée, me plaît assez.

J’aurais, en outre, poussé un peu plus le dérèglement mental et l’absurdité des comportements. Stephen King est relativement sage, en restant sur une ligne de conduite raisonnée là où d’autres auraient profité de la pénibilité psychique pour sombrer dans la pure folie.

Marche ou crève est le livre que j’attendais pour me réconcilier avec Stephen King. Une idée originale, osée et diablement malsaine, menée à terme avec brio, réalisme et intelligence. J’aime quand des auteurs vont au bout des possibilités qu’ils ouvrent. Ici, la boucle est bouclée ; Stephen King a exprimé l’étendue de sa réflexion sur le sujet, ne se moquant pas du lecteur en lui offrant, à travers des personnages variés, une panoplie d’éventualités à explorer pour son propre compte. Car oui, en lisant son roman, vous vous demanderez sûrement : Jusqu’où irais-je à leur place ? Serais-je l’un des premiers à mourir ? Je souhaite à notre humanité de ne jamais avoir à créer une compétition de la sorte.

Et vous, avez-vous lu ce roman ? Êtes-vous un adepte de Stephen King ?

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