Décidée à lire Lucie ou la vocation dès sa sortie l’année dernière, j‘ai patiemment attendu qu’il paraisse en format poche. Il y avait surtout cette couverture, celle du broché, mystérieuse et attractive où l’on voit une silhouette immaculée se fondre dans l’obscurité d’une forêt. À la fois fantomatique et mystique, cette couverture n’a cessé de me hanter. Alors, l’histoire est-elle à la hauteur de cette image ? C’est la version portrait lisse et sage qui me l’a racontée… 

Résumé de l’éditeur

À vingt ans, Lucie est avide de passion. Elle tombe amoureuse pour la première fois. En dépit des pleurs de sa famille, des reproches de sa meilleure amie, Lucie choisit de se consacrer entièrement à son Seigneur. Entre les quatre murs du couvent, elle résiste à toutes les brimades, guidée par la foi. Seule la découverte d’un secret la fait chanceler : et si la pureté n’était pas là où elle le pensait ?

Mon avis

Ce roman est une immersion angoissante dans l’antichambre d’un pseudo-paradis artificiel. Le fil de l’intrigue possède la force des grandes histoires, de celles que l’on ne peut oublier tant elles se distinguent des autres. L’idée originale porte sur l’ordination d’une jeune fille à l’ère du tout numérique, de l’urgence et de la fugacité des relations. Attirée comme un aimant par le sujet en lui-même – offrir sa vie à Dieu – j’ai vu plus qu’une énième réflexion sur le sens d’un tel choix, étant annoncé qu’une amitié forte viendrait mettre en relief l’absurdité de la décision de Lucie.

La jeune femme est brillante. Étudiante en Khâgne, elle a appris à apprendre, bachotant sans relâche des connaissances qu’elle juge stériles. Lucie doute, suit-elle le bon cursus ? Ne pourrait-elle pas s’épanouir ailleurs ? À quoi bon aligner les théories si l’on n’enseigne pas la réflexion intime et libre ?

Au milieu de ces questionnements pratiques dans lesquels chaque étudiant en classe préparatoire aura un jour versé, Lucie cultive sa foi avec ferveur, aidée par Mathilde, une camarade de promotion. Très vite Lucie choisit. Une congrégation réputée de Paris l’accueille à bras ouverts. Lucie devient sœur Marie-Lucie en un claquement de doigts ; en un égrenage de chapelet elle se place sous la coupe de la despote mère Marie-Thérèse. Le reste de l’histoire, puisque l’avant de Lucie résidant dans une existence estudiantine somme toute classique est oublié, s’écoule sur plusieurs années durant lesquelles suit la montée en grade de la jeune sœur au sein du prieuré.

Sous forme d’interludes, sa meilleure amie Juliette confie son désarroi et son incompréhension en face du choix décisif de sa confidente. Juliette observe de loin les pratiques douteuses de cette religion fermée pour laquelle elle n’éprouve qu’aversion, pleurant sa nostalgie au visage couvert de Lucie. L’amitié à l’épreuve de la radicalité religieuse est le thème plafond de cette histoire austère se déroulant dans le plein Paris de l’année 2016. Difficile à croire que quelques jeunes filles fassent le choix d’un renoncement à tous les plaisirs des vingt ans dans une ville et un pays où la jeunesse est pétillante et respectée. Ils sont loin les siècles d’avant où il était plus que courant d’envoyer la fille de la famille se faire dresser par des religieuses.

Maëlle Guillaud fait du prieuré un lieu hors du temps et de l’espace citadin et vivant parisien. Il est régi par ses propres règles et lois, possède une hiérarchie séculaire et, bien sûr, n’est pas exempt de rébellions, d’injustice et de corruption. Le couvent, dont l’on ne sort pratiquement pas de tout le récit, est un univers fermé et lugubre, inamical et infernal bien loin de l’image rêvée par Lucie. La prière et la méditation se font en silence, seule et continuellement. Le vœu de silence est l’un des piliers du bon fonctionnement de la congrégation. La parole doit seulement être offerte à Dieu. Happée par l’austérité de l’atmosphère, j’ai retenu mon souffle durant ma lecture, étouffée par les multiples récitations et extraits liturgiques abondant de la bouche de Lucie ou des autres, et finissant par être vides de sens. À force d’en appeler aux figures de la Sainte-Trinité, j’ai été prise de tournis et n’ai vu dans les prières gentiment apprises qu’un magma enivrant de paroles décousues et idiotes avec lesquelles on bourre le crâne des pauvres ouailles égarées. Écœurant.

Lucie ou la vocation est l’histoire d’une dépossession et d’une mort psychique. L’auteure a son point de vue sur la question, que je partage largement, dont elle fait porter les points d’interrogation par le personnage de Mathilde, lointaine observatrice qui représente la jugeote et la vie. M’attendant à une confrontation et un rude combat pour prouver l’évidence du choix, j’ai été déçue par la quasi-absence de l’amie fidèle, dont la voix est la plupart du temps tue. Lucie et Mathilde échangent finalement peu, la première trop confinée pour se soucier de l’avis de la seconde. Ce que je prenais pour un conflit amical n’est qu’une légère anicroche. J’aurais voulu une lutte et des larmes, un acharnement et des regrets, mais l’auteur sert un plat fade à la saveur seulement apportée par l’ambiance glaciale des lieux.

Lucie, elle, fait son petit bonhomme de chemin dans cette prison sacrée. Et pourtant, si l’auteur fuit la confrontation avec les proches, elle exagère la dispute intérieure à laquelle se livre l’héroïne. Dès son entrée dans le couvent, Lucie voit et ressent l’incompatibilité du mode de vie avec son caractère et sa personnalité. Les premiers doutes ne sont pas longs à venir, Lucie s’interroge sans cesse, passant d’une soumission aveugle à une remise en cause de l’organisation du prieuré. L’évolution ne va pas dans le sens d’une acceptation totale car les mêmes difficultés surgissent à un rythme cadencé. Mais les années passent, cinq ans, dix ans, Lucie hésite encore. Est-il possible de sacrifier sa jeunesse pour une perpétuelle hésitation ? Donner sa vie au profit d’une foi inébranlable, je peux faire effort pour le concevoir, mais abandonner une existence rieuse et prometteuse pour une errance constante m’est plus difficile à tolérer. Lucie est prisonnière de son doute et, bien plus que les autres sœurs à jamais converties au silence, elle me paraît avoir la pire des situations.

Et puis, le récit s’oriente du côté d’une intrigue un poil policière avec la découverte d’un secret de paperasse et de trafic d’argent. L’auteur y mêle maladroitement le Vatican et introduit des manigances inutiles car sans surprises. Le secret n’en est pas un et ne sert pas l’histoire de Lucie dont j’ai apprécié le confinement. Il aurait été selon moi préférable de rester sur le huis clos en accentuant et étirant les relations perverses entretenues par les sœurs. Le cloisonnement inhérent au couvent est l’un des meilleurs décors qui soient pour raconter l’embrigadement, l’anesthésie mentale et la manipulation. L’intervalle de temps sur un roman relativement court m’a par contre déconcertée. Plus de dix années éloignent le début de la fin. C’est beaucoup trop pour intégrer la lente progression de Lucie. Le contraste est trop fort entre le monde qui continue de s’activer à l’extérieur et l’immobilité létale du prieuré.

Lucie ou la vocation, partant d’une idée de départ intelligente, se perd en chemin et enroule sur elle-même une intrigue peu étoffée et sous-exploitée. Appréciant la critique faite par Maëlle Guillaud d’une forme de pratique religieuse d’un autre âge, j’aurais voulu comprendre Lucie, m’en faire une amie et me battre à ses côtés. La fin, allant dans le sens contraire à ma volonté, est pourtant celle que j’attendais ; son opposée m’aurait fait grincer des dents. Malgré le manque d’identification à une héroïne condamnée dès les premières pages, j’ai trouvé les personnages secondaires forts et nécessaires. J’ai lu vite et bien ce texte mais reste désappointée par un manque de profondeur et l’exécution rapide d’une histoire par essence lente et paresseuse.

Et vous, avez-vous lu ce roman ? En connaissez-vous d’autres abordant le monde fermé des couvents et autres monastères ? (Ne me citez pas Le Nom de la rose, pitié)

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